jeudi 31 décembre 2020

2021 ! : « Les vœux des communistes et de leurs élu-e-s : Santé et espoir » !

 


Le moment est donc venu de dire adieu à 2020. L’adieu à cette année est sans regret. C’est même avec une furieuse envie de retrouver l’espoir que nous tournons la page. La page d’une année terrible.

Terribles les images des victimes du terrorisme islamiste. Terribles les images du flot de réfugiés fuyant la barbarie. Terribles les images de ces soignants et des premiers de corvée, laissés seuls au front. Terribles ces vies broyées par le chômage.

Dramatique et éprouvante pour chacune, chacun d’entre nous, aura été cette année 2020 marquée par le virus et toutes ses conséquences économiques, sociales et humaines. Les fêtes de Noël auront été un moment de douceur, de bonheurs simples, de chaleur partagée avec nos proches. Et aussi, une éclaircie, une espérance, une trouée dans le brouillard pour garder de la confiance et résister aux effets de la crise, aux risques qu’elle porte avec en première ligne les plus fragiles d’entre nous et les premiers de corvée.

Dans notre ville, la solidarité n’a pas été un vain mot. Nous rendons hommage à tous les bénévoles des associations, qui, avec le soutien de la majorité municipale, dont les élu-e-s communistes sont partie prenante, ont multiplié les initiatives pour apporter soutien et réconfort, en multipliant les actes solidaires.

Pour cette année 2021, les communistes et leurs élu-e-s vous souhaitent une « une bonne année, une bonne santé ». Jamais cette formule classique  du nouvel an n’aura sonné aussi juste qu’aujourd’hui, avec l’espoir chevillé au corps.

Car nous n’oublions pas que 2020, fut aussi l’occasion de mobilisations citoyennes importantes, autour des personnels soignants, dans les entreprises pour empêcher les licenciements, pour le climat et la survie de la planète, pour un autre modèle commercial que celui dominé par les géants du numérique, pour la culture, contre les dérives autoritaires du gouvernement.

Les temps politiques sont mauvais, cependant, n’abordons pas 2021, le cœur rempli de chagrin et de frayeur, mais avec nos raisons d’espérer, avec du courage et de l’envie. Soufflons plutôt sur les braises pour rallumer les feux du changement. Notre peuple n’a pas renoncé à tout. La France n’est pas seulement pleine de ressentiments, d’aigreur et de repli réactionnaire. Elle est aussi emplie d’énergie, de vitalité positive et progressiste qu’avec vous, les communistes vous proposent de cultiver, de nourrir, de faire prospérer. La crise sanitaire à laquelle nous faisons face ne doit pas masquer la crise d’un système : celui du capitalisme, des supers-profits, de l’argent-roi. Un système où les 10 plus grandes fortunes de France détiennent 240 milliards d’euros.

La société que nous voulons est celle qui osera clamer comme devise « Zéro chômeur, interdiction des licenciements ». Elle est celle, où chacune, chacun, pourra vivre dignement de son travail, de se loger décemment, vivre en bonne santé, faire des projets d’avenir et en décider librement, se former, se cultiver, changer de métier, d’activité, créer, participer et décider aux choix, dans son entreprise et sa cité. Elle sera celle du maintien et du déploiement des services publics. Elle sera celle d’un nouveau mode de développement ou social et écologie se conjuguent pour l’humain et la planète. Elle sera celle qui redonnera tout son sens à l’égalité, à la liberté, à la fraternité en refondant une République pour tous, dans les actes.

C’est le moment d’ouvrir des espaces de rencontres, de recherches, de constructions, d’innovation, de luttes. Faisons émerger des fabriques citoyennes, des coopératives populaires d’idées et d’actions. C’est ce mouvement populaire qui peut changer la donne. Pour tout cela, les communistes et leurs élu-e-s souhaitent que l’année 2021 soit une année combative et solidaire !

mercredi 30 décembre 2020

« 2021,une année à inventer »l’éditorial de Patrick Le Hyaric dans l’Humanité



À l’aube de l’année nouvelle, nous présentons à chacune et chacun nos vœux pour que l’année qui vient puisse être meilleure que celle qui s’achève.

À part les grands argentiers abonnés à la Bourse, les firmes numériques ou pharmaceutiques qui ont trouvé dans les événements l’occasion d’affermir leur pouvoir, l’immense majorité des citoyens du monde souhaite refermer l’affreux chapitre de cette année 2020. Tout en ayant une pensée émue et solidaire pour celles et ceux d’entre vous qui ont perdu l’un de leurs proches, nous vous adressons nos vœux de bonheur, d’épanouissement individuel et collectif, sans oublier cette santé si précieuse. L’actualité nous a justement rappelé cette phrase d’Héraclite : « La santé de l’homme est le reflet de la santé de la Terre. » Malheureusement, les mois qui viennent s’annoncent encore et toujours pris dans les griffes de cette pandémie qui sape les fondements de ce que l’on est en droit d’attendre de notre commune humanité. Le bonheur, il faudra aller le chercher, le débusquer par un surcroît de fraternité et de solidarité, par les luttes que le contexte exacerbe entre ceux qui vivent de leur travail et ceux qui l’exploitent, comme dans les niches de bien-être que la vie sait parfois nous réserver.

Au-delà, la violence de la lutte des classes menée par les forces du capital appelle à une union populaire de type nouveau contre l’exploitation renforcée du travail, les privations d’emploi la précarité, et la pauvreté galopantes, pour que les artistes et les créateurs puissent enfin sortir du silence auquel les contraint le pouvoir, et pour que la jeunesse, déjà privée des relations sociales et charnelles, cesse d’être la variable d’ajustement d’un « marché de l’emploi » atrophié.

Les combats nouveaux doivent intimement mêler régénération démocratique, création d’une garantie sociale du travail et des formations, respect des animaux, des espaces naturels et de la biodiversité et lutte courageuse contre les causes du changement climatique. La considération nouvelle devant être à la santé appelle tout à la fois une transformation des systèmes de santé et une nouvelle approche des manières de produire, de consommer, de travailler, de valoriser et d’élargir les biens communs publics, de respecter la nature. Le travail comme la nature ne doivent plus être considérés comme des « coûts » à compresser dans la meule capitaliste mais comme des apports de richesse essentiels pour le vivant et la vie, l’humain et la nature.

Le capitalisme tournera toujours le dos à ces objectifs. Le moment est donc à lancer un fécond et fraternel débat pour ouvrir le chemin au postcapitalisme, pour un partage des avoirs, des pouvoirs et des savoirs. Ce que nous appelons communisme et que d’autres désignent autrement, tout en partageant son ambition émancipatrice. C’est pour porter avec vous ces décisifs débats et soutenir les grands combats de l’heure pour les libertés, l’antiracisme, la paix, le désarmement et le mouvement féministe mondial que l’Humanité veut se rendre plus utile encore dans l’année qui vient. En ce sens, nous projetons d’ici quelques mois, après vous avoir consultés, d’améliorer encore les contenus et la présentation de l’Humanité, de l’Humanité Dimanche et de notre plateforme humanite.fr

Alors, si 2021 était l’année des surprises, du refus de la fatalité, du sursaut populaire ? Malgré tant d’incertitudes et devant tant de combats à mener, l’union populaire peut frayer son chemin si la colère se transforme en espoir. Et si, ensemble, on inventait 2021 ?

 

Actualité du communisme. Par Patrick Le Hyaric, directeur de l’Humanité

 


En cette année 2020 secouée par une crise sanitaire mondiale, et centenaire du PCF, l’Humanité a voulu explorer l’idée et la pratique en publiant le hors-série « Besoin de communisme », dont nous reprenons ci-après l’éditorial.

Voici un mot qui porte indûment une lourde et négative charge historique. Un mot galvaudé, piétiné, détourné, dénaturé. Un mot « profession de foi » qu’il faudra pourtant bien défricher et repenser pour affronter les temps présents.

Le monde entier se meut en effet dans un invraisemblable chaos où les êtres humains, les conditions de travail, les individualités, leurs aspirations esthétiques et culturelles sont passés au tamis de la marchandisation et d’une exigence de rentabilité insoutenable. Le régime d’inhumanité qui conduit le monde sous tutelle capitaliste engendre partout des réactions désastreuses. Ici ressurgissent les démons nationalistes, là s’enracinent les égoïsmes, là encore s’épanouit l’obscurantisme que l’on avait pu croire vaincu par le progrès des sciences et l’accumulation des savoirs. Au terrorisme et au règne de la violence succèdent les pandémies, et la guerre menace encore et toujours d’enflammer chaque continent.

La puissance du capitalisme a pour corollaire le malheur des sociétés. L’extension permanente du domaine marchand et le règne de l’argent roi s’accompagnent d’une perte de sens. À la grande question des Lumières « Qu’est-ce que l’Homme ? » se substituent les visées post-humanistes et « la gouvernance par les nombres » si bien décrite par le juriste Alain Supiot. Le « malaise » dont parlait Freud fait ainsi son grand retour dans la civilisation. Si bien que, désormais, pour tout esprit un tant soit peu sensible à l’avenir de l’humanité se pose une question brûlante : pourra-t-elle supporter encore longtemps le mode de développement qui lui est infligé et la dé-civilisation qu’il met en branle ? Poser une question si grave revient de fait à se confronter aux conséquences d’une réponse. Et si l’on s’accorde à penser que l’humanité et l’unité du vivant sont menacées, alors il ne faut pas se résigner, mais au contraire retrouver le sens de l’à-venir. Il faut oser imaginer un « après » au capitalisme, retrouver la force des convictions et le sens de l’engagement.

Car le reflux de l’idée, des combats et des partis communistes risque, si on n’y prend garde, d’emporter avec lui tout l’héritage révolutionnaire et humaniste. Et l’écume ne tend plus qu’à charrier science sans conscience, progrès sans humanité, démocratie sans peuple, travail aliéné et culture stéréotypée. C’est désormais 1789 et ses principes qui sont directement menacés : avec le recul des droits sociaux s’affaissent les droits politiques et les libertés démocratiques.

Il est plus que temps, pour l’humanité, de frayer un chemin viable pour ses membres, au risque de se perdre dans celui qu’elle suit aveuglément. Nous le devons aux générations à venir. Et quel autre nom donner au processus qui nous y conduira, si ce n’est le combat au présent pour le communisme ? On ne peut plus se satisfaire des confusions entre réalisme et résignation, se contenter de rechercher des améliorations à la marge du système. Il faut au contraire sonder les contradictions internes au réel qui travaillent à son dépassement, afin de saisir le possible connexe au présent. C’est cela que Lucien Sève, dont nous publions ici des pages inédites, appelait « la visée communiste ».

« Le communisme n’est pour nous ni un état qui doit être créé, ni un idéal sur lequel la réalité devra se régler. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l’état actuel. Les conditions de ce mouvement résultent des prémisses actuellement existantes » : il convient de mesurer la haute portée de cette affirmation de Karl Marx. Elle invite aux combats et aux réalisations immédiates s’inscrivant dans un processus de transformation structurelle. Elle est une invitation à agir tout de suite et en permanence vers cette proposition politique d’émancipation, de maîtrise de son travail et de sa vie, d’épanouissement, de mise en commun et de partage qui répond de la maxime déjà inscrite dans le Nouveau Testament : « À chacun selon ses besoins » ; ce communisme qui s’est fortifié dans le sillon émancipateur de la République sociale, de la démocratie communale, de l’autogestion ouvrière, de l’internationalisme et du combat pour la paix.

Il ne faut pas se résigner, mais au contraire retrouver le sens de l’à-venir.

Les résistances qui s’organisent, les multiples contournements de l’oppression capitaliste et impérialiste témoignent d’une trace toujours féconde du communisme, comme idée et pratique. On le mesure du reste par la vigueur d’un anticommunisme planétaire. Car, le développement même du capitalisme nous permet d’envisager les conditions de son dépassement. C’est l’une des leçons que nous lègue Karl Marx. Elle condamne autant les illusions réactionnaires de ceux qui « cherchent à faire tourner la roue de l’histoire à l’envers » que l’inoffensive fuite dans l’utopie ou dans l’idéal. Les contradictions actuelles sont telles qu’elles invitent à l’audace : l’accumulation des richesses produites aboutit à un océan de misère, alors même qu’elle pourrait l’assécher. Les inégalités se creusent de manière inédite, alors même que l’humanité n’a jamais autant été en situation de concilier ses différents membres. La mondialisation éloigne autant les peuples qu’elle les rapproche. Le niveau de compétences et d’éducation, les combats pour l’égalité, les formes nouvelles de la solidarité, les progrès scientifiques et technologiques, les aspirations au bonheur et à la baisse du temps de travail laissent percevoir un tout autre avenir, fondé sur le partage, la coopération et la démocratie véritable. Bref, une sécurité de vie riche et émancipée pour chaque être humain depuis sa naissance et dans un environnement sain.

Une invitation à agir tout de suite et en permanence vers cette proposition d’émancipation.

Mais le fruit ne tombera pas mûr. Il faudra que les travailleurs s’organisent eux-mêmes pour l’arracher à l’arbre en investissant le terrain de la lutte qui oppose chaque jour ceux qui jouissent du travail des autres et ceux qui en sont dépossédés, le terrain de la propriété capitaliste qui tient jalousement à l’écart toute forme de démocratie et d’intervention des travailleurs. Il n’y aura pas de « grand soir ». Mais rien n’empêche de s’atteler à une transformation révolutionnaire, qu’il s’agit de concevoir et de mettre en œuvre. C’est à un devoir d’invention que nous invitent les événements. Il ne s’agit cependant pas de faire « du passé table rase ». Le communisme tel qu’il s’est déployé au XXe siècle, notamment sous le nom de « socialisme réel », a connu ses parts de lumière, mais aussi ses terribles et injustifiables parts d’ombre. Il a, certes, permis des progrès sociaux et culturels aujourd’hui, mis brutalement en cause par un capitalisme revanchard, mais sans répondre à la splendide promesse d’une « association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous ».

Avec ce numéro spécial publié à l’occasion du 100e anni­versaire du Parti communiste français, l’Humanité a voulu explorer l’idée et la pratique communistes, leur passé, leur présent et leur avenir, en donnant à saisir leurs ressorts, à voir et comprendre les expériences qui s’en réclament, tout en sondant, dans le mouvement réel, leurs potentialités futures.

Le communisme a de l’avenir. À chacune et chacun de nous de lui donner substance et consistance dans les combats présents et à venir. Ces pages vous y engagent.

 

« Guerre sans fin », l’éditorial de Stéphane Sahuc dans l’Humanité



C’est une mauvaise nouvelle à double titre qui vient clore cette année 2020. La mort de trois soldats français est toujours et d’abord une tragédie pour leur famille et pour le pays. Mais c’est aussi un drame qui vient fragiliser les succès dont les autorités militaires et politiques s’étaient réjouies ces dernières semaines. D’autant que ces trois soldats ont trouvé la mort à Hombori, aux confins du désert du Gourma, en pleine zone des « trois frontières », entre Mali, Niger et Burkina Faso, justement là où le chef d’état-major des armées, ­François Lecointre, avait parlé de « bilan très positif » à propos de l’opération « Barkhane ». Il avait même commencé à évoquer l’hypo­thèse que le renfort de 600 hommes décidé à Pau en janvier 2020, lors du G5 du Sahel, soit rappelé en France. Le premier ministre, Jean Castex, qui va se rendre au milieu des troupes françaises au Tchad pour le réveillon du 31 décembre devait lui aussi, à la faveur d’une rencontre avec le président Idriss Déby, enclencher une réflexion sur le maintien des troupes françaises au Sahel.

Si la stratégie de Pau a permis de porter de sérieux coups aux groupes terroristes, force est de constater que « la guerre contre le terrorisme » semble sans fin. L’engagement de la France en 2013 pour bloquer l’offensive djihadiste au Mali avait un double objectif à plus long terme : Contenir la contagion salafiste et former les armées locales à prendre la relève. Mais « Serval » et « Barkhane » se soldent par un double échec : la zone d’instabilité provoquée par les groupes armés se revendiquant d’al-Qaïda ou de l’« État islamique » s’est étendue à l’ensemble du Sahel. Quant aux armées locales, elles se révèlent incapables de faire face au défi sécuritaire et essuient des pertes considérables.

La réponse française, strictement militaire, a suivi sans surprise la même trajectoire que les fiascos afghan, irakien et libyen. Le seul déploiement de troupes, loin de défaire les djihadistes, entretient désormais une dangereuse instabilité. C’est dire qu’il n’y aura pas dans la région de victoire militaire et de règlement politique sans de vraies politiques de développement et solutions africaines qui ne soient pas des paravents d’autres intérêts.

 

Sondage. Communisme, une idée jeune(s)



Julia Hamlaoui

Cent ans après le congrès de Tours, la perception du mot lui-même par les 18-30 ans reste marquée par l’histoire du XXe siècle, mais les principes et les valeurs qui en sont le socle sont jugés très positivement, selon notre sondage Ifop.

Depuis sa naissance au congrès de Tours, en 1920, le PCF a traversé un siècle d’histoire avec ses heures de gloire, comme ses heures sombres. Cent ans plus tard, c’est une nouvelle crise du capitalisme qui s’amorce et le communisme se présente toujours en alternative, sans pour l’heure parvenir à générer un mouvement assez puissant pour abattre le mur de l’argent. Pourtant, de la mobilisation pour le climat à la lutte contre le racisme ou les violences faites aux femmes, la jeune génération occupe le terrain du combat politique. Alors, à l’heure où une crise historique frappe à la porte, que pensent les jeunes du communisme ?

Premier enseignement de notre sondage Ifop auprès des 18-30 ans : si le terme reste négativement connoté, ses principes sont largement plébiscités. « Il y a une logique de mise à distance des idéologies, un rejet des mots en “isme”, capitalisme et communisme », observe le directeur général adjoint de l’Ifop, Frédéric Dabi. Avec « privatisation », les deux termes forment ainsi le trio des mots les plus négativement jugés : capitalisme par 60 % des sondés, privatisation par 61 % et communisme par 65 %. Pour ce qui est du capitalisme, il est d’ailleurs considéré comme le principal responsable du dérèglement climatique par 58 % des jeunes.

L’histoire pèse de tout son poids sur la perception du terme

Le communisme, de son côté, enregistre seulement 35 % d’opinion positive parmi l’ensemble des jeunes, mais la proportion s’élève à 42 % chez les 18-20 ans, 43 % chez les ouvriers, 50 % chez les lycéens et 53 % chez les non-diplômés. Quant au clivage gauche-droite, il opère à plein : les sympathisants de gauche sont 47 % à juger positivement le terme (51 % pour PCF-FI, 49 % au PS, 40 % chez EELV), un score qui tombe à 13 % chez les proches des « Républicains ». Ce discrédit est moins marqué chez les sympathisants de LaREM et du RN, qui respectivement pour 22 % et 27 % ont une opinion positive du communisme.

Même si les moins âgés des sondés sont nés après la chute du mur de Berlin, l’histoire continue de peser de tout son poids sur la perception du terme. Ainsi, 47 % des jeunes l’associent à « l’échec d’une idéologie en URSS et dans l’est de l’Europe » et 44 % à « la dictature »« D’autres éléments sont assez fortement cités et, quand on les additionne, ils contrebalancent presque la vision historique », note cependant Frédéric Dabi, estimant qu’il est donné « quitus au communisme d’avoir cherché à partager les richesses (33 %) et de mettre en commun les biens publics (35 %) ». D’autant que, pour 69 % des sondés, « les idées communistes ont été perverties par les crimes commis au siècle dernier en URSS ». Une vision cette fois « assez homogène, quelle que soit la proximité partisane », précise le politologue. À en croire un autre sondage, celui réalisé par Viavoice en 2018 pour la Fondation Gabriel-Péri, elle ferait en revanche l’objet d’un clivage générationnel : 28 % des 18-24 ans estiment ainsi que « les idées communistes n’ont plus aucune pertinence », contre 57 % chez leurs aînés de 65 ans et plus.

Interrogés sur les valeurs ou propositions qui forment le socle du communisme, les jeunes ont un jugement des plus positif. Partage (83 %), égalité (83 %) et progrès social (78 %) arrivent en tête de classement. D’autres assertions sont largement approuvées : « La lutte des classes est toujours une réalité aujourd’hui » (83 % des sondés) ; « les salariés, les travailleurs devraient pouvoir décider des choix de leur entreprise » (75 %) ; « des secteurs comme la santé, l’éducation ou le logement ne devraient pas être soumis à la concurrence et à la compétition économique » (78 %). Dans ce dernier cas, Frédéric Dabi évoque un « effet Covid ». On se souvient comment même Emmanuel Macron a dû au printemps dernier reconnaître qu’il « est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché », même si les actes n’ont pas suivi, loin s’en faut. Mais surtout, « comme pour le match nationalisations-privatisations (lesquelles sont jugées positivement respectivement par 57 % et 39 % des interrogés – NDLR), on retrouve le sentiment que la France n’a pas été bien armée pour faire face à l’épidémie », assure Dabi.

Le communisme est loin d’avoir dit son dernier mot

Néanmoins, ces jeunes ne sont pas exempts de toute « contradiction et ambivalence », relève le sondeur, qui pointe une certaine « dépolitisation » et « une connaissance de l’histoire parfois approximative ou parcellaire ». Les services publics sont ainsi plébiscités par 68 % d’entre eux, à peine davantage que la concurrence (61 %) et moins que le libre-échange (75 %).

Reste que le communisme est loin d’avoir dit son dernier mot : il est une « idée d’avenir » pour 28 % des 18-30 ans. Là encore, on retrouve à la fois le clivage partisan (39 % à gauche, 9 % chez LR et 32 % au RN) et de classe (14 % pour les cadres et les professions intellectuelles et 37 % chez les ouvriers). Le record est atteint parmi les lycéens (64 %) et dans une moindre mesure chez les non-diplômés (52 %).

Les jeunes dans leur ensemble sont également 28 % à envisager de voter en faveur d’un candidat ou d’une liste se réclamant du communisme. Certes, ce n’est pas une majorité, mais, estime le politologue, c’est « un socle qui n’est pas négligeable et qui s’élève à gauche, y compris au PS, à 4 jeunes sur 10 ».

 

mardi 29 décembre 2020

Histoire. 30 décembre 1920, nouveau parti et deux cultures.


Jacques Girault

Après de rudes discussions autour des trois motions les 26 et 27, et la venue de Clara Zetkin le 28 décembre (lire nos éditions de lundi et mardi), les délégués du 18e congrès de la SFIO votent majoritairement, dans la nuit du 29, la création d’une organisation communiste.

À la fin de la longue séance de nuit du congrès du mercredi 29 décembre, le secrétaire général, Louis-Oscar Frossard, affirme que «  le socialisme français continue ». Le lendemain, le 30 décembre, le futur Parti communiste s’organise mais s’intitule encore « Parti socialiste ». Voilà une belle ambiguïté ! Comment lire la nouveauté dans un ensemble discursif issu d’un même moule ? Puisque le résultat était déjà affiché, il peut sembler inutile de chercher à se différencier en empruntant des analyses d’origine étrangère ou en faisant appel aux propositions oubliées les plus radicales.

Dans tous les discours, le concept de « communisme » apparaît le plus souvent pour qualifier une expérience d’origine étrangère, signifiant division et distance par rapport au passé. Cette distance explique la recherche d’une voie neuve vers la révolution.

Présent partout, le concept de « socialisme », quelles qu’en soient les origines et les manifestations, reste permanent pour ceux qui s’opposent à l’adhésion immédiate à la nouvelle Internationale.

Si les droits des femmes sont très rarement évoqués, l’unique référence aux femmes se produit quand il s’agit de travailleuses. Cette marginalisation s’explique aussi par le souhait, formulé ou non et qui plane dans les débats, d’éviter la cassure entre reconstructeurs et partisans de l’adhésion à la IIIe Internationale. Apparaît – peut-être est-ce prémonitoire de changements ? – la présence de neuf femmes, majoritairement favorables à la motion d’adhésion à l’Internationale communiste, parmi les 370 délégués au congrès.

Quoi qu’il en soit, la ligne de cassure demeure incertaine dans ce congrès socialiste qui se lit comme un des actes de naissance du communisme français. Pour les forces en présence, les années de reconstruction confirmeront, accentueront ou inverseront les choix de Tours. La pratique politique et sociale structure les divers camps dans les années suivantes. La scission, aux multiples origines, révèle les difficultés et les contradictions de ces courants qui s’opposent depuis longtemps mais cohabitent dans diverses organisations. La scission s’éclaire par la séparation des forces politiques, souvent expliquée par les oppositions entre les conceptions réformistes ou révolutionnaires correspondant à deux grands courants politiques, à deux modes de pensée, à deux cultures. Ces conceptions s’affronteront, se rapprocheront ou s’allieront. Mais, durant un siècle, en dépit de quelques ouvertures, la réunification ne sera presque jamais à l’ordre du jour dans les organisations politiques.

 

« Sacrées sorcières », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.



Elles ont de la suite dans les idées, ces Argentines. Leur obstination pourrait faire date chez elles et clore 2020 sur une note d’espoir pour les combats des femmes d’ailleurs. Voilà des années qu’elles chahutent l’ordre établi pour que l’IVG, soit enfin légale, sûre et gratuite. Le Sénat doit aujourd’hui examiner un projet de loi en ce sens après l’aval des députés le 11 décembre. Avec elles, nous retenons notre souffle. Car cette neuvième tentative pourrait bien être la bonne. Le président de centre gauche, Alberto Fernandez, n’a pas hésité à mouiller la chemise face au poids démesuré de l’Église catholique et de son principal représentant, qui fut archevêque de Buenos Aires, le pape François.

Malgré le mépris et les insultes, les sorcières ont redoublé de talent pour sensibiliser et convaincre. Le foulard vert, symbole de la dépénalisation de l’avortement, s’est imposé dans l’espace public, comme ce 19 février 2018 où des centaines de milliers de personnes ont dénoncé l’hypocrisie consistant à détourner le regard de la réalité : 500 000 avortements clandestins ou légaux, 50 000 hospitalisations en raison de complications, des vies brisées, jetées en pâture. « Si le pape était une femme, l’avortement serait loi », avait alors tancé cette manifestation monstre.

Quelle que soit l’issue du vote au Sénat, ce mouvement a déjà marqué l’histoire de son empreinte. Il a bousculé l’agenda législatif pour imposer le sien. Il a explosé les cadres au point que la légalisation de l’avortement est désormais considérée comme un enjeu de santé publique qui concerne toute la société argentine. Il a réveillé des consciences, en invitant à respecter l’intégrité physique et psychologique des femmes. Le droit de choisir n’est plus un tabou. Pas plus que cette ignoble loi datant de 1921 qui criminalise les femmes, et singulièrement les plus pauvres, qui ne peuvent avorter dans des cliniques privées. Ce vent d’égalité qui souffle sur l’Argentine fait du bien au continent latino-américain, frappé par cette autre pandémie que sont les féminicides. Il réconforte les femmes qui, de ce côté-ci de l’Atlantique, revendiquent et défendent le droit légitime à pouvoir disposer de leur corps.

 

Photographie. « L’odeur de la nuit était celle du jasmin »


Magali Jauffret

Avec l’Académie des beaux-arts, l’artiste Flore expose à Paris son œuvre sur les traces de Marguerite Duras. Elle est double lauréate du prix Marc Ladreit de Lacharrière et du prix Nadar.

Quelle chance ! En ce temps de disette culturelle forcée, une exposition s’offre à la visite au cœur de Paris, en bord de Seine, dans le pavillon Comtesse de Caen de l’Académie, et l’entrée est gratuite ! L’artiste Flore, lauréate, en 2018, du prix de photographie Marc Ladreit de Lacharrière, y expose, sous le commissariat de Sylvie Hugues, « L’odeur de la nuit était celle du jasmin », une cinquantaine de tirages, fruits de séjours dans l’ex-Indochine sur les traces de l’écrivaine Marguerite Duras. Qui plus est, le livre éponyme, paru aux éditions Maison CF, est cette année le lauréat du prestigieux prix Nadar. Carton plein !

Lorsqu’on pénètre dans l’exposition, quai Conti, le noir est fait et c’est le choc tant on est soudain happé par l’atmosphère que la photographe, si inventive en matière de techniques au service de formes, d’écritures différentes, a su, une nouvelle fois, créer. Car lorsqu’elle creuse ainsi plus profond dans sa génétique familiale, du Maroc à Alexandrie ou Saigon, l’artiste se lance toujours dans une recherche, sinon, dit-elle, « j’aurais l’impression de me plagier ».

Ce ressac de Duras

Mousson, moiteur, Mékong… C’est la deuxième fois que Flore, puisant dans ses souvenirs d’enfance, s’autorise une incursion dans ce qui lui reste des récits de ses grands-parents, qui ont vécu à la même période et aux mêmes endroits que l’auteure de l’Amant. D’insondables mystères nourrissent ce qu’elle ressent aujourd’hui comme une part d’imaginaire commun entre elle et l’écrivaine.

Elle écrit en introduction à son livre : « La concession avait été abandonnée, abandonnées aussi les terres du barrage, images et écrits mêlés, le livre fini, épuisé, réimprimé, épuisé encore, le temps avait passé et, pourtant, les mots étaient toujours là, toujours présente absente Marguerite. Il restait à dire ce ressac de Duras. Cette femme et cette œuvre qui n’en finissaient pas, de nous quitter. La voix devenait plus lointaine, on s’entendait mieux soi-même. Quand l’Indochine est à deux générations de la France, c’est une photo de famille qui sert de marque-page à l’Éden Cinéma et ce qui pousse vers Saigon, ce sont aussi les récits qui ont envoûté l’enfance. Il ne suffisait pas d’y aller pour venir à bout de ce sujet-là, il faudrait y revenir. Et peut-être y revenir encore. »

Le Mékong, ses nénuphars, la forêt vierge débordent de ces images claires-obscures enchantées qui exhalent le parfum des manguiers, tamariniers ou flamboyants. Le temps s’écoule. On se croirait dans de la peinture, de la gravure tant les temps du passé et ceux du présent se superposent. Ces images sont imprégnées des romans de Flaubert, Théophile Gautier, des aquarelles de Delacroix, croisées dans l’enfance de Flore, grandie dans l’atelier de sa mère artiste peintre.

Comme l’écrit Héloïse Conésa, conservatrice pour la photographie à la Bibliothèque nationale, dans la Revue des deux mondes, « l’atmosphère vibrante de ce récit photographique pousse la photographe à “charbonne r ” le noir et à émousser le piqué de l’image par le choix d’un tirage argentique dense. La couleur apparaît parfois qui convoque la granulation picturale des premiers autochromes et s’affirme comme une tentative d’associer davantage de sens encore et de temporalités ».

Des feuilles uniques sur pièces d’or

N’allez pas croire, surtout, que ces tirages cirés et virés au thé, ceux pigmentaires sur papier japonais, ces pièces uniques sur feuille d’or, ces héliogravures si réussies sont liés à un penchant de Flore pour l’exotisme. Non, ses interventions, une fois dans la chambre noire, cherchent à restituer chacune des émotions ressenties au moment de la prise de vue.

Et lorsqu’elle se confronte à l’ailleurs, au lointain, à l’exil, lorsqu’elle façonne autant qu’elle restitue face au mystère du temps qui passe, à la fragilité de la mémoire, ce qui travaille en elle, c’est le besoin de remonter le fil de ses racines, de reconstituer l’album de famille dont les images sont encore éparses. Le miracle de Flore, c’est que, en donnant une réalité à son monde intérieur, son histoire retrouve l’histoire collective, ses souvenirs inventés font écho à la sensibilité du public.

Jusqu’au 31 janvier, Académie des beaux-arts, 23, quai Conti, Paris 6e. Du mardi au dimanche de 11 heures à 18 heures.

dimanche 27 décembre 2020

« Dés de l’Histoire », l’éditorial de Christophe Deroubaix dans l’Humanité



Vendredi, après quarante-sept ans de vie commune, le Royaume-Uni va boucler sa valise et quitter la maison Union européenne. On ne sait pour lequel des deux acteurs le moment sera le plus déterminant pour son avenir. L’accord conclu jeudi à la dernière minute possède encore trop de zones floues pour se hasarder à un pari. Il n’en reste pas moins qu’en regardant l’affaire sous le prisme grand-breton on peut en faire quelque miel.

Au début était l’un des coups de poker les plus foireux de l’histoire des coups de poker foireux : celui, en 2013, de David Cameron, pensant couper l’herbe sous le pied de son aile droite en proposant un référendum. Voilà ce qui se produit lorsque l’on veut jouer au plus malin en ­reprenant à son compte une idée de la concurrence, en pensant ainsi l’anesthésier : il arrive qu’on lui donne vie. Mais, pour qu’elle devienne une force matérielle, il faut qu’elle s’empare des masses, comme disait Marx, un temps résident londonien. C’est précisément ce qui s’est déroulé outre-Manche, où les apôtres du plus pur libre-échangisme ont enrobé leur projet de nostalgie – la pire des conseillères politiques. Cette dernière a contribué à pousser une partie de l’Amérique dans les bras de Donald Trump et une partie du Royaume-Uni – de l’Angleterre, pour être plus précis – à jouer aux dés avec l’Histoire.

Un âge d’or purement fantasmé revivra-t-il dans les nouveaux habits d’un « Singapour-sur-Tamise » ? On peut fortement en douter. Il y a certainement plus de chance pour que les thuriféraires de la grandeur britannique soient les agents actifs du démantèlement du dernier morceau d’Empire : le Royaume-Uni lui-même. Et puisque c’est de saison : on peut encore plus craindre que le peuple britannique ne soit le dindon de la farce, l’indécente manipulation autour du système de santé – le NHS – au moment du référendum étant assez indicative du type de menu prévu par les conservateurs-populistes.

 

État d’urgence sanitaire. Le recul et les manœuvres de Véran.



Florent LE DU

L’exécutif repousse l’examen d’un projet de loi controversé sur les régimes d’exception et le vaccin.

Une volte-face express, mais pas assumée. Moins de 48 heures après avoir été entériné en Conseil des ministres lundi, le projet de loi « instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires » est déjà remis à plus tard par le gouvernement. Le texte, qui a suscité mardi une volée de critiques de la part des oppositions, prévoit notamment le déclenchement du dispositif d’état d’urgence sanitaire au-delà du 1er avril, et son contenu. Et, parmi les mesures prévues dans ce régime d’exception, se trouve la possibilité pour le premier ministre de conditionner certaines libertés à la vaccination.

Mais, mardi soir, sur TF1, le ministre de la Santé Olivier Véran a tenté d’éteindre l’incendie, en affirmant que « la vaccination contre le coronavirus ne sera pas obligatoire » et dénonçant même « une mauvaise polémique née d’un tweet de la responsable du Front national  ». Pourtant, cette option de « subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transport ou à certains lieux, (…) à la présentation des résultats d’un test (…), au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin », est bien inscrite noir sur blanc dans le projet de loi. Cette sorte de « passeport sanitaire » n’existera donc finalement pas, à en croire Olivier Véran.

Le ministre de la Santé est également revenu sur les craintes de voir le dispositif d’état d’urgence sanitaire se pérenniser, du moins la possibilité de le déclencher : « Le gouvernement ne proposera pas le texte avant plusieurs mois, avant d’être sorti de la crise. Nous resterons donc dans des dispositifs d’état d’urgence sanitaire tels que ceux que nous connaissons depuis neuf mois », a-t-il finalement annoncé. Une réponse loin d’être satisfaisante, tant de nombreux doutes subsistent. Ce projet de loi était prévu notamment pour remplacer la loi du 23 mars 2020, qui régit l’état d’urgence sanitaire, mais deviendra caduque le 1er avril 2021. Mais, alors, comment rester dans ce régime d’exception au-delà du 1er avril si aucun texte législatif ne l’autorise ? Le ministre n’y répond pas et explique que ce texte n’a « rien à voir avec la crise sanitaire actuelle » mais prépare des situations futures. Dans ce cas, pourquoi avoir envisagé de le faire voter par le Parlement en procédure accélérée ?

Olivier Véran a voulu « clarifier » la position de l’exécutif, il n’a en fait donné aucune explication concrète, ni pour justifier pourquoi l’idée d’un « passeport sanitaire » a été inscrite dans ce texte, ni sur l’avenir de l’état d’urgence sanitaire et des dispositifs qui seront mis en place au printemps.

 

Avec la crise, le nombre de bénéficiaires du RSA s’envole.


Camille Bauer

Le nombre d’allocataires s’envole, plongeant les finances des départements dans la tourmente et mettant au plus mal les budgets d’insertion. Les perspectives sont inquiétantes alors que la montée du chômage va encore éloigner les précaires de l’emploi. Manu, 41 ans, serveuse à Lourdes, a dû demander le RSA cette année pour la première fois de sa vie. Une démarche difficile. Cela faisait plus de vingt-cinq ans que Franck Waryn, 53 ans, exerçait son métier dans le catering, jusqu’à ce qu’il soit touché de plein fouet par la crise, comme des milliers d’autres travailleurs en contrats courts.

C’est un signe d’appauvrissement qui ne trompe pas. Le nombre d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) s’envole. Fin octobre, il atteignait déjà 2,1 millions, soit 8,5 % de plus qu’en 2019, selon les données publiées le 23 décembre par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Un chiffre jamais atteint, même après la crise de 2008. À l’époque, le nombre de bénéficiaires avait grimpé durant plusieurs années jusqu’à 1,7 million.

Cette fois, la situation est encore plus grave. Une hausse liée directement à la détérioration du marché de l’emploi. « Les plus fortes augmentations semblent concerner globalement les départements avec une activité économique soutenue », précise la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) dans son bulletin de novembre : + 18 % dans les Alpes-Maritimes, + 21,2 % en Haute-Savoie, + 16 % dans l’Ain… Mais tous les départements sont touchés. Dans le Val-de-Marne, affecté par la mise à l’arrêt de l’aéroport d’Orly, c’est presque 10 % d’augmentation, selon son président, Christian Favier (PCF). Dans l’Hérault, deuxième département de la métropole en nombre de bénéficiaires, on compte 11 % d’allocataires de plus qu’en 2019. Même la riche Gironde est concernée (+ 9,71 %).

 

564,78 euros
C'est le montant mensuel du RSA, soit bien en dessous du seuil de pauvreté, fixé à 867 euros par mois.

Il ne suffit plus de «traverser la rue»

« J’ai épuisé mes droits au chômage début août, alors ils m’ont donné le RSA, explique Dominique. Je n’ai pas assez de moyens pour payer mes frais, et bien sûr, je ne parle même pas de manger ou de boire. » Ce maître d’hôtel en extras dans l’événementiel fait partie des 20 000 nouveaux allocataires – précaires, intérimaires et indépendants – dénombrés en novembre par la Cnaf. À 57 ans, alors qu’il gagnait autour de 2 500 euros par mois et avait déjà un calendrier de travail rempli pour 2020, il doit désormais faire face avec 560 euros mensuels. En septembre, son RSA a même été réduit à 142 euros sous prétexte qu’il avait travaillé quelques heures en août…

Icon QuoteCeux qui pouvaient jusque-là quitter relativement rapidement le RSA vont y rester, parce qu’ils ne savent plus où aller.JEAN-LUC GLEYZE, PRÉSIDENT DE LA GIRONDE

L’augmentation du nombre de bénéficiaires est due pour l’essentiel à la difficulté qu’ont eue les personnes à sortir du dispositif (100 000 foyers seulement). Ce ralentissement, contrairement aux idées reçues sur les allocataires qui se complairaient dans leur statut, donne une indication du rétrécissement du marché de l’emploi peu qualifié. « S’il suffisait de traverser la rue… soupire Jean-Luc Gleyze, président de la Gironde et du groupe des départements de gauche. On voit bien que la capacité à accéder à un emploi a plus ou moins disparu du panorama. Ceux qui pouvaient jusque-là quitter relativement rapidement le RSA vont y rester, parce qu’ils ne savent plus où aller. »

La réforme chômage risque d’alourdir la facture

Aucune amélioration rapide n’est à espérer. Avec un taux de chômage qui devrait dépasser les 10 % en 2021, la hausse du nombre d’allocataires du RSA ne va pas s’arrêter. « Il va y avoir des transferts sur le RSA de personnes en fin de droits à l’assurance-chômage. Ce sont des vases communicants », résume Claudine Vassas Mejri, vice-présidente du conseil départemental de l’Hérault, en charge de l’insertion et de l’économie sociale et solidaire. La perspective d’une relance en avril 2021 de la réforme chômage, qui doit durcir les conditions d’accès à une indemnisation, risque d’alourdir encore la facture. Certains bénéficiaires de l’assurance-chômage voient déjà se profiler ce basculement vers les minima sociaux. « Nous sommes 1 200 000 en contrat de moins de trois mois. La plupart de ceux qui y avaient droit sont en train de consommer leurs allocations chômage. Il y a un moment où on va arriver au bout. Même pour moi, il y a urgence. En janvier, j’arrive en fin de droits et s’il n’y a pas de report, ça sera le RSA », s’alarme Pierre Garcia, porte-parole du Collectif des précaires hôtellerie, restauration, événementiel.

Le nombre de  chômeurs de longue durée a déjà explosé

L’engorgement va se faire au détriment des plus fragiles. « Comme il y a moins de travail, il peut y avoir la tentation de prendre des ’’pluri-employables’’ au détriment de ceux qui ont un parcours plus long et plus difficile dans la précarité », alerte Christian Favier. Le risque est d’accentuer une tendance déjà installée. Alors que le nombre d’allocataires du RSA avait, jusque-là, crû de façon régulière mais modérée, celui des chômeurs de longue durée a déjà explosé. « Entre 2010 et 2018, le nombre de personnes sans emploi depuis plus de trois ans est passé de 300 000 à 800 000 et malgré la reprise, il a continué de croître », rappelle Louis Maurin, de l’Observatoire des inégalités.

Icon QuoteEntre 2010 et 2018, le nombre de personnes sans emploi depuis plus de trois ans est passé de 300 000 à 800 000. LOUIS MAURIN, DE L’OBSERVATOIRE DES INÉGALITÉS.

Certains allocataires ont conscience que la perspective d’un retour à l’emploi s’éloigne. « Là, je sais que pour me relever, ça va être très compliqué. J’ai beau postuler partout, je n’ai même pas de réponse. Je veux bien déménager si j’ai du travail mais c’est partout pareil. C’est mal barré », analyse Béatrice. À 55 ans, elle a perdu son emploi de serveuse à Lourdes et survit depuis avec 506 euros de l’allocation de solidarité spécifique, dernière marche avant le RSA. Une fois ses frais fixes payés, il lui reste entre 120 et 140 euros pour se nourrir et mettre de l’essence dans la voiture. « Je m’inquiète pour l’avenir de mes enfants, de mes petits-enfants, dit-elle, la voix noyée de larmes. Déjà le mien, je ne le vois plus. »

Un désengagement des départements qui financent en grande partie l’allocation

L’augmentation du nombre de bénéficiaires grève les maigres budgets destinés à leur accompagnement social. Les départements, qui financent de 40 à 60 % de l’allocation en raison du refus de l’État d’augmenter sa part depuis la loi de décentralisation de 2004, se sont désengagés des budgets d’insertion. « À la création du RMI en 1988, les départements devaient consacrer 20 % à ce volet. On est aujourd’hui à 7 % et comme le nombre d’allocataires a augmenté, la somme disponible pour chacun a baissé », explique Florent Gueguen, président de la Fédération des acteurs de la solidarité.

Le contexte d'incertitude alourdit le climat anxiogène

L’Assemblée des départements de France estime le coût de l’augmentation du nombre d’allocataires à près de 1,5 milliard d’euros pour les départements. De quoi faire stagner les budgets insertion, qui devront pourtant servir à aider encore plus de gens… Un étranglement budgétaire accentué dans les départements qui concentrent les ménages modestes. « En laissant le poids financier du RSA peser sur les départements, l’État creuse les écarts entre eux, puisque ce sont ceux où la population modeste est la plus nombreuse qui paient le plus. Ce coût se répercute sur l’ensemble des missions, y compris celle d’insertion », résume Christian Favier.

L’État n’a rien anticipé. Sur les allocations, il reste sourd à la revendication des départements. Sur l’insertion, il avait bien lancé avant la crise un grand Service public de l’insertion et de l’emploi, mais « avec un budget inchangé malgré la crise, c’est un peu une coquille vide », note Florent Gueguen. Cent mille places en plus d’ici 2022 dans le secteur de l’insertion par l’activité économique sont aussi prévues. Une goutte d’eau face à l’ampleur des besoins. « L’accompagnement social, c’est un travail de fond, individuel et qui demande du temps. Les moyens ne sont pas à la hauteur », explique Jean-Luc Gleyze. D’autant que selon Claudine Vassas Mejri, 20 % des allocataires ont des problèmes psychosociaux. « Ce sont des gens déprimés, qui n’ont pas confiance en eux et on manque de professionnels pour les aider. » Et le contexte d’incertitude alourdit le climat anxiogène.

La tentation de réduire le coût du RSA en essayant de radier ses allocataires existe. Elle est légitimée par une rhétorique contre les assistés du système que la sévère réduction du nombre d’emplois disponibles ne semble pas être parvenue à ébranler. La gravité de la crise pourrait pourtant être l’occasion de changer d’approche. Début décembre, 24 départements de gauche ont demandé la mise en place d’un revenu de base revalorisé, inconditionnel, automatique et ouvert aux moins de 25 ans. « Dans une situation de pénurie et d’effondrement de l’emploi, surtout non qualifié, on ne peut plus conditionner les minima sociaux à une reprise d’activité, estime Florent Gueguen. Il faut assumer qu’ils jouent un rôle d’amortisseurs. »

« Nous sommes les oubliés »

 

Cela faisait plus de vingt-cinq ans que Franck Waryn, 53 ans, exerçait son métier dans le catering, jusqu’à ce qu’il soit touché de plein fouet par la crise, comme des milliers d’autres travailleurs en contrats courts.

«Du jour au lendemain, je suis allé à la banque alimentaire et au centre communal d’actions sociales (CCAS) pour payer mes factures. Quand tu te retrouves à aller chercher des colis pour manger, tu te dis là j’ai touché le fond », explique Franck Waryn. À 53 ans, la crise du Covid l’a fait basculer pour la première fois de sa vie dans la grande pauvreté. Jusqu’en mars, il travaillait dans la région lilloise dans le secteur du catering, un mot anglais qui désigne la restauration des équipes sur les événements, concerts, tournages ou pièces sur scène. Un métier qu’il fait depuis vingt-huit ans et qui lui permettait de gagner autour de 2 500 euros par mois. Il avait même réussi à économiser pour payer une voiture pour sa fille.

Quand la crise est arrivée avec le premier confinement, toutes ses activités se sont arrêtées. Avec seulement 660 heures de travail au compteur, il n’avait plus assez pour avoir droit à l’assurance-chômage depuis que la réforme en exigeait 910. « J’ai été directement au RSA », se souvient-il, avant une brève réouverture de ses droits à l’automne, qui doit prendre fin en décembre. « Avec 500 euros par mois, je n’arrive pas à suivre, les factures se sont accumulées », explique-t-il. Rien qu’entre son loyer et ses charges, il débourse 760 euros par mois, qu’il partage avec sa compagne, dans la même situation que lui. Faute de moyens, il n’a pas pu non plus acheter le bois avec lequel d’ordinaire il se chauffe l’hiver. Sa maison est une passoire thermique et ses factures de gaz ont elles aussi explosé. « Je cherche du boulot à droite à gauche. J’ai postulé à n’importe quoi, explique-t-il, nettoyage dans les hôpitaux, conducteur de véhicule dans un magasin de bricolage… » Mais traverser la rue n’est pas si simple. La seule offre qu’il a eue était pour un temps partiel aux horaires hachés à Lille. Il a vite fait ses calculs.

 

Avec 500 euros de frais d’essence par mois, le jeu n’en valait pas la chandelle. « J’ai pris une grosse claque financière et aussi parce que j’aime mon métier. Je suis en colère. Les intermittents du spectacle ont eu une année blanche mais nous sommes les oubliés. On met énormément d’argent dans les secteurs aéronautique ou automobile qui en plus se permettent de licencier, mais, pour nous qui sommes en contrats courts et qui travaillons parfois jusqu’à douze heures par jour, il n’y a rien. Moi je veux travailler, mais il faut qu’ils fassent quelque chose pour les gens comme nous qui sont dans la misère totale. Heureusement qu’il y a les services sociaux, parce que le gouvernement, c’est : “ferme ta gueule”. » 

« Je n’ai jamais demandé un euro à personne »

Manu, 41 ans, serveuse à Lourdes, a dû demander le RSA cette année pour la première fois de sa vie. Une démarche difficile.

«J’ai 41 ans et j’ai jamais demandé un euro à personne. Depuis mes 18 ans, j’ai toujours travaillé. Je me sens très mal. La nuit, je ne dors pas. Je me sens très triste. Normalement, je passe une semaine au Portugal pour Noël. Mais cette année je vais passer Noël toute seule. C’est triste. Aujourd’hui je suis là mais demain je ne sais pas. Je ne sais pas si je pourrais payer la facture de ma maison, si on va travailler l’année prochaine. Je ne sais rien. Je suis arrivée en France depuis le Portugal il y a plus de dix ans, et depuis deux ans j’étais serveuse à Lourdes. On travaille de 7 heures du matin à 21 heures ou 22 heures, et je gagnais dans les 1 600 euros par mois, les pourboires en plus. Quand j’ai voulu demander le RSA ça a été très compliqué. Il y a toujours un papier qui manque. Pendant trois mois je n’ai rien eu. J’ai dû demander de l’aide pour arriver à l’obtenir.

En juillet ils m’ont versé deux mois d’un coup. J’ai pu payer mes factures, parce que j’étais en retard pour mon loyer et rembourser la personne qui m’avait prêté de l’argent pour le téléphone. Mais, comme j’ai trouvé quelques contrats en juillet et août, mon RSA a été réduit et en décembre je vais de nouveau ne plus rien toucher. De toute façon, avec le RSA, je peux payer les factures mais je ne peux pas manger. C’est soit l’un, soit l’autre. Pour les repas, c’est l’Association des saisonniers de Lourdes et de la vallée qui m’aide. J’y vais tous les jours pour aider. Les avoir rencontrés, c’est l’unique bonne chose de cette crise. Ce que j’espère, c’est le miracle de Lourdes, que tout le monde aille travailler et que je n’aie plus besoin de demander à droite à gauche pour pouvoir manger. »  C. B