mardi 29 décembre 2020

Photographie. « L’odeur de la nuit était celle du jasmin »


Magali Jauffret

Avec l’Académie des beaux-arts, l’artiste Flore expose à Paris son œuvre sur les traces de Marguerite Duras. Elle est double lauréate du prix Marc Ladreit de Lacharrière et du prix Nadar.

Quelle chance ! En ce temps de disette culturelle forcée, une exposition s’offre à la visite au cœur de Paris, en bord de Seine, dans le pavillon Comtesse de Caen de l’Académie, et l’entrée est gratuite ! L’artiste Flore, lauréate, en 2018, du prix de photographie Marc Ladreit de Lacharrière, y expose, sous le commissariat de Sylvie Hugues, « L’odeur de la nuit était celle du jasmin », une cinquantaine de tirages, fruits de séjours dans l’ex-Indochine sur les traces de l’écrivaine Marguerite Duras. Qui plus est, le livre éponyme, paru aux éditions Maison CF, est cette année le lauréat du prestigieux prix Nadar. Carton plein !

Lorsqu’on pénètre dans l’exposition, quai Conti, le noir est fait et c’est le choc tant on est soudain happé par l’atmosphère que la photographe, si inventive en matière de techniques au service de formes, d’écritures différentes, a su, une nouvelle fois, créer. Car lorsqu’elle creuse ainsi plus profond dans sa génétique familiale, du Maroc à Alexandrie ou Saigon, l’artiste se lance toujours dans une recherche, sinon, dit-elle, « j’aurais l’impression de me plagier ».

Ce ressac de Duras

Mousson, moiteur, Mékong… C’est la deuxième fois que Flore, puisant dans ses souvenirs d’enfance, s’autorise une incursion dans ce qui lui reste des récits de ses grands-parents, qui ont vécu à la même période et aux mêmes endroits que l’auteure de l’Amant. D’insondables mystères nourrissent ce qu’elle ressent aujourd’hui comme une part d’imaginaire commun entre elle et l’écrivaine.

Elle écrit en introduction à son livre : « La concession avait été abandonnée, abandonnées aussi les terres du barrage, images et écrits mêlés, le livre fini, épuisé, réimprimé, épuisé encore, le temps avait passé et, pourtant, les mots étaient toujours là, toujours présente absente Marguerite. Il restait à dire ce ressac de Duras. Cette femme et cette œuvre qui n’en finissaient pas, de nous quitter. La voix devenait plus lointaine, on s’entendait mieux soi-même. Quand l’Indochine est à deux générations de la France, c’est une photo de famille qui sert de marque-page à l’Éden Cinéma et ce qui pousse vers Saigon, ce sont aussi les récits qui ont envoûté l’enfance. Il ne suffisait pas d’y aller pour venir à bout de ce sujet-là, il faudrait y revenir. Et peut-être y revenir encore. »

Le Mékong, ses nénuphars, la forêt vierge débordent de ces images claires-obscures enchantées qui exhalent le parfum des manguiers, tamariniers ou flamboyants. Le temps s’écoule. On se croirait dans de la peinture, de la gravure tant les temps du passé et ceux du présent se superposent. Ces images sont imprégnées des romans de Flaubert, Théophile Gautier, des aquarelles de Delacroix, croisées dans l’enfance de Flore, grandie dans l’atelier de sa mère artiste peintre.

Comme l’écrit Héloïse Conésa, conservatrice pour la photographie à la Bibliothèque nationale, dans la Revue des deux mondes, « l’atmosphère vibrante de ce récit photographique pousse la photographe à “charbonne r ” le noir et à émousser le piqué de l’image par le choix d’un tirage argentique dense. La couleur apparaît parfois qui convoque la granulation picturale des premiers autochromes et s’affirme comme une tentative d’associer davantage de sens encore et de temporalités ».

Des feuilles uniques sur pièces d’or

N’allez pas croire, surtout, que ces tirages cirés et virés au thé, ceux pigmentaires sur papier japonais, ces pièces uniques sur feuille d’or, ces héliogravures si réussies sont liés à un penchant de Flore pour l’exotisme. Non, ses interventions, une fois dans la chambre noire, cherchent à restituer chacune des émotions ressenties au moment de la prise de vue.

Et lorsqu’elle se confronte à l’ailleurs, au lointain, à l’exil, lorsqu’elle façonne autant qu’elle restitue face au mystère du temps qui passe, à la fragilité de la mémoire, ce qui travaille en elle, c’est le besoin de remonter le fil de ses racines, de reconstituer l’album de famille dont les images sont encore éparses. Le miracle de Flore, c’est que, en donnant une réalité à son monde intérieur, son histoire retrouve l’histoire collective, ses souvenirs inventés font écho à la sensibilité du public.

Jusqu’au 31 janvier, Académie des beaux-arts, 23, quai Conti, Paris 6e. Du mardi au dimanche de 11 heures à 18 heures.

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