Avec l’Académie des beaux-arts, l’artiste Flore expose
à Paris son œuvre sur les traces de Marguerite Duras. Elle est double lauréate
du prix Marc Ladreit de Lacharrière et du prix Nadar.
Quelle chance ! En ce temps de disette
culturelle forcée, une exposition s’offre à la visite au cœur de Paris, en bord
de Seine, dans le pavillon Comtesse de Caen de l’Académie, et l’entrée est
gratuite ! L’artiste Flore, lauréate, en 2018, du prix de photographie Marc
Ladreit de Lacharrière, y expose, sous le commissariat de Sylvie Hugues,
« L’odeur de la nuit était celle du jasmin », une cinquantaine de tirages,
fruits de séjours dans l’ex-Indochine sur les traces de l’écrivaine Marguerite
Duras. Qui plus est, le livre éponyme, paru aux éditions Maison CF, est cette
année le lauréat du prestigieux prix Nadar. Carton plein !
Lorsqu’on pénètre dans l’exposition, quai
Conti, le noir est fait et c’est le choc tant on est soudain happé par
l’atmosphère que la photographe, si inventive en matière de techniques au
service de formes, d’écritures différentes, a su, une nouvelle fois, créer. Car
lorsqu’elle creuse ainsi plus profond dans sa génétique familiale, du Maroc à
Alexandrie ou Saigon, l’artiste se lance toujours dans une recherche, sinon,
dit-elle, « j’aurais l’impression de me plagier ».
Ce ressac de Duras
Mousson, moiteur, Mékong… C’est la
deuxième fois que Flore, puisant dans ses souvenirs d’enfance, s’autorise une
incursion dans ce qui lui reste des récits de ses grands-parents, qui ont vécu
à la même période et aux mêmes endroits que l’auteure de l’Amant.
D’insondables mystères nourrissent ce qu’elle ressent aujourd’hui comme une
part d’imaginaire commun entre elle et l’écrivaine.
Elle écrit en introduction à son
livre : « La concession avait été abandonnée, abandonnées aussi les
terres du barrage, images et écrits mêlés, le livre fini, épuisé, réimprimé,
épuisé encore, le temps avait passé et, pourtant, les mots étaient toujours là,
toujours présente absente Marguerite. Il restait à dire ce ressac de
Duras. Cette femme et cette œuvre qui n’en finissaient pas, de nous quitter. La
voix devenait plus lointaine, on s’entendait mieux soi-même. Quand l’Indochine
est à deux générations de la France, c’est une photo de famille qui sert de
marque-page à l’Éden Cinéma et ce qui pousse vers Saigon, ce sont aussi
les récits qui ont envoûté l’enfance. Il ne suffisait pas d’y aller pour venir
à bout de ce sujet-là, il faudrait y revenir. Et peut-être y revenir encore. »
Le Mékong, ses nénuphars, la forêt vierge
débordent de ces images claires-obscures enchantées qui exhalent le parfum des
manguiers, tamariniers ou flamboyants. Le temps s’écoule. On se croirait dans
de la peinture, de la gravure tant les temps du passé et ceux du présent se
superposent. Ces images sont imprégnées des romans de Flaubert, Théophile
Gautier, des aquarelles de Delacroix, croisées dans l’enfance de Flore, grandie
dans l’atelier de sa mère artiste peintre.
Comme l’écrit Héloïse Conésa,
conservatrice pour la photographie à la Bibliothèque nationale, dans la
Revue des deux mondes, « l’atmosphère vibrante de ce récit
photographique pousse la photographe à “charbonne r ”
le noir et à émousser le piqué de l’image par le choix d’un tirage argentique
dense. La couleur apparaît parfois qui convoque la granulation picturale des
premiers autochromes et s’affirme comme une tentative d’associer davantage de
sens encore et de temporalités ».
Des feuilles uniques sur pièces d’or
N’allez pas croire, surtout, que ces
tirages cirés et virés au thé, ceux pigmentaires sur papier japonais, ces
pièces uniques sur feuille d’or, ces héliogravures si réussies sont liés à un
penchant de Flore pour l’exotisme. Non, ses interventions, une fois dans la
chambre noire, cherchent à restituer chacune des émotions ressenties au moment
de la prise de vue.
Et lorsqu’elle se confronte à l’ailleurs,
au lointain, à l’exil, lorsqu’elle façonne autant qu’elle restitue face au
mystère du temps qui passe, à la fragilité de la mémoire, ce qui travaille en
elle, c’est le besoin de remonter le fil de ses racines, de reconstituer
l’album de famille dont les images sont encore éparses. Le miracle de Flore,
c’est que, en donnant une réalité à son monde intérieur, son histoire retrouve
l’histoire collective, ses souvenirs inventés font écho à la sensibilité du
public.
Jusqu’au 31 janvier, Académie des
beaux-arts, 23, quai Conti, Paris 6e. Du mardi au dimanche de 11 heures à
18 heures.
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