Ils sont plus d’un million à travailler
dans les stations de ski, les restaurants, les hôtels, les colonies et les
exploitations agricoles... Souvent malmenés, exploités. La crise du Covid-19 et
la réforme de l’assurance-chômage aggravent leur statut déjà bien fragile.
Pourtant, pas de chiffre d’affaires sans ces premiers de cordée.
Le 15 février 2020, alors que le confinement n’était encore
qu’une vue de l’esprit, les salariés des stations de ski savoyardes
manifestaient contre les réformes des retraites et de l’assurance-chômage. Ils
n’imaginaient pas encore les difficultés auxquelles ils devraient faire face
quelques mois plus tard. Selon l’Office de tourisme parisien, la baisse
d’activité des entreprises du secteur touristique pourrait être de l’ordre de
60 % dans la capitale, cet été, en raison de la pandémie. Alors que ce
secteur est habituellement l’un des principaux employeurs des travailleurs
saisonniers, ces derniers n’ont aucune garantie de trouver un emploi pendant
l’été.
Si la crise du Covid-19 touche donc grandement ces salariés, la réforme de
l’assurance-chômage alourdit encore leur barque. Le premier étage de cette
fusée tirée par Muriel Pénicaud, ex-ministre du Travail, a instauré le
1er novembre 2019 un premier tour de vis budgétaire en modifiant le
nombre de mois travaillés nécessaires pour avoir droit à indemnisation en
période de chômage. Là où il fallait avoir œuvré 4 mois sur les
28 derniers mois pour accéder à l’indemnité, il en faut désormais 6 sur
les 24 derniers mois. Le 1er avril 2020, le second étage de la
fusée devait entrer en action pour limiter cette fois-ci les droits à
rechargement. Là où un chômeur pouvait prolonger ses droits s’il travaillait un
mois, il lui en faudrait six. L’Unédic a estimé que cette réforme entraînerait des
baisses d’allocations pour 1,2 million de personnes et des pertes de
droits ou retards d’indemnisation pour 500 000 chômeurs.
Dans ces estimations, le million de saisonniers y tient une bonne place.
« Cette réforme a été pensée pour diminuer le nombre de contrats courts. En
réalité, cela ne marche pas. Une activité de guide, par exemple, ne va pas se
transformer en un contrat à durée indéterminée (CDI) par magie. Cela va juste
précariser le salarié », analyse Mathieu Grégoire, sociologue et coauteur du rapport
« Quelle évolution des droits à l’assurance-chômage ? (1979-2020) » pour
l’Institut de recherches économiques et sociales, l’Ires.
Le Covid-19 est survenu, avec son confinement et ses chutes d’activités.
Sous la pression unanime des syndicats, le gouvernement a d’abord repoussé au
1er septembre l’instauration du second volet de l’assurance-chômage. Puis,
le premier ministre Jean Castex a annoncé, le 17 juillet, la suspension de
l’ensemble des mesures jusqu’au 1er janvier 2021 et le retour aux
règles « mieux-disantes » socialement d’avant. Promesse tenue à moitié :
l’exécutif n’a pas pu s’empêcher de jouer sur les seuils d’accès aux droits et
au rechargement pour gratter des sous sur le dos de sans-emploi, ni de priver
les chômeurs d’avant le 1er août d’un retour à meilleure fortune.
« Les saisonniers feront là encore partie des perdants, estime Denis
Gravouil, de la CGT. Si le seuil d’accès aux droits passe de 6 mois de
travail sur les 24 derniers mois à 4 mois, ceux qui ont vu leur
saison d’hiver tronquée par l’épidémie ne toucheront rien. Et les jeunes peu
qualifiés qui cherchent des petits jobs l’été ne pourront pas tous atteindre ce
seuil de 4 mois. Le gouvernement se fait pourtant fort de lutter contre leur
précarité. » Pour Éric Becker, délégué Force ouvrière en charge de la
saisonnalité, la réforme de l’assurance-chômage est une épée de Damoclès
au-dessus de la tête des saisonniers. « Il est probable que la situation de
l’emploi ne connaisse pas de grande amélioration en 2021 et que les
conséquences de la crise du Covid-19 soient toujours perceptibles, estime-t-il.
L’exécutif ne doit donc pas appliquer une telle réforme dans une situation
similaire à celle que nous connaissons actuellement ! »
L’accès au chômage n’est pas la seule embûche semée sur le chemin des
saisonniers. Une allocation spécifique en faveur de ces travailleurs n’ayant
pas trouvé d’emploi pendant l’été est censée voir le jour. Si les négociations
à ce sujet étaient déjà en cours sous Muriel Pénicaud, sa successeure Élisabeth
Borne a préféré retarder sa mise en pratique par peur « d’un effet d’aubaine ».
Un choix incompréhensible pour Éric Becker : « Il s’agit de personnes dans une
détresse financière absolue. On ne peut pas traiter cette question comme s’il
s’agissait uniquement d’un problème purement comptable alors que ces salariés
connaissent des difficultés pour se nourrir. »
Nombre d’entre eux ont d’ailleurs demandé le revenu de solidarité active
(RSA). Mais le non-recours à cette prestation sociale reste la règle pour cette
catégorie de la population. Quinze départements ont donc annoncé qu’il serait
désormais possible de cumuler RSA et emploi saisonnier. Une maigre consolation
pour ces salariés qui ne trouvent justement pas de travail.
Pour ceux qui en ont, le statut de saisonnier constitue une maigre
protection dont l’usage est peu à peu rogné. Selon le Code du travail, ce
contrat doit être strictement réservé aux emplois dont « les tâches sont
appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en
fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs », une saison ne
devant pas dépasser une durée de huit mois. Si des accords paritaires
interprofessionnels et des chartes régionales visent à améliorer les conditions
de vie de ces travailleurs, ce contrat n’est vraiment pas une martingale. La
liste de ses tares, tenue par la CGT, est longue comme un jour sans pain.
« Qualifications non reconnues, précarité, droit du travail non respecté. L’accès
à la formation est très compliqué à obtenir. Le logement n’est souvent pas
assuré et, quand il l’est, les conditions peuvent être indignes et onéreuses.
Les salaires dépassent rarement le Smic, les conditions de travail sont
pénibles et la réglementation en matière de temps de travail ou de santé au
travail très peu respectée. Le travail illégal, que ce soit par dissimulation
d’emplois salariés ou par dissimulation d’heures de travail réalisées mais non
rémunérées, est légion dans ces secteurs d’activité », dénonce la
confédération.
Pour l’employeur, en revanche, ce contrat relève d’un grand intérêt : il se
trouve dispensé du versement d’une indemnité de fin de contrat, normalement due
dans le cadre d’un contrat à durée déterminée (CDD). Bref, c’est tout
« bénef »… Sauf que ce n’est pas encore assez.
Les patrons ont désormais tendance à préférer la multiplication de contrats
courts, qui n’excèdent parfois pas les quinze jours. « Ils sont en train de
détruire la notion même de saison, déplore Éric Becker. Cela n’a pas de sens de
parler d’un pic d’activité pendant une période donnée et d’employer des
salariés pendant d’aussi brèves périodes. » Autour du contrat saisonnier
gravitent ainsi nombre de contrats sectoriels spécifiques, tels que les
contrats vendanges dans l’agriculture ou les contrats d’engagement éducatif
dans l’animation. Si ces modes d’embauches sont censés à chaque fois s’adapter
à la nature du travail demandé, ils sont surtout très précaires et n’offrent
aucune garantie aux travailleurs d’une année à l’autre.
Alors que les saisonniers sont en train de vivre leur pire année, le manque
de considération à leur égard pourrait inciter certains à changer de
profession, ce qui n’est jamais simple, en vue d’une situation à terme plus
stable. « En précarisant autant ces travailleurs, on va vers une déprofessionnalisation
de certains métiers, qui nécessitent pourtant des compétences particulières, et
une désertification des régions où ils sont employés », alerte Éric Becker.
Dans ses repères revendicatifs, la CGT envisage des améliorations pour remettre
de la cohérence à ce contrat.
Cela passe tout d’abord par une meilleure définition juridique de la
saisonnalité « avec des motifs strictement limités et identifiés par catégories
d’entreprises, et non uniquement en référence aux usages d’un secteur ». Par
ailleurs, pour lutter contre les abus des employeurs, le ministère du Travail
doit veiller à ce que ces contrats soient limités aux seuls secteurs
« nécessitant un surcroît d’activité ». Enfin, les exonérations sociales
doivent cesser pour que « le contrat à temps plein et à durée indéterminée soit
la norme ».
Il y a encore du boulot pour que les
droits sociaux de ces salariés soient garantis. C’est pourtant une urgence,
faute de quoi, les travailleurs saisonniers finiront broyés par la précarité.
Victor Fernandez et Stéphane Guérard