jeudi 30 juillet 2020

SAISONNIERS, LA PLONGÉE EN PRÉCARITÉ



Ils sont plus d’un million à travailler dans les stations de ski, les restaurants, les hôtels, les colonies et les exploitations agricoles... Souvent malmenés, exploités. La crise du Covid-19 et la réforme de l’assurance-chômage aggravent leur statut déjà bien fragile. Pourtant, pas de chiffre d’affaires sans ces premiers de cordée.
 
Le 15 février 2020, alors que le confinement n’était encore qu’une vue de l’esprit, les salariés des stations de ski savoyardes manifestaient contre les réformes des retraites et de l’assurance-chômage. Ils n’imaginaient pas encore les difficultés auxquelles ils devraient faire face quelques mois plus tard. Selon l’Office de tourisme parisien, la baisse d’activité des entreprises du secteur touristique pourrait être de l’ordre de 60 % dans la capitale, cet été, en raison de la pandémie. Alors que ce secteur est habituellement l’un des principaux employeurs des travailleurs saisonniers, ces derniers n’ont aucune garantie de trouver un emploi pendant l’été.

Si la crise du Covid-19 touche donc grandement ces salariés, la réforme de l’assurance-chômage alourdit encore leur barque. Le premier étage de cette fusée tirée par Muriel Pénicaud, ex-ministre du Travail, a instauré le 1er novembre 2019 un premier tour de vis budgétaire en modifiant le nombre de mois travaillés nécessaires pour avoir droit à indemnisation en période de chômage. Là où il fallait avoir œuvré 4 mois sur les 28 derniers mois pour accéder à l’indemnité, il en faut désormais 6 sur les 24 derniers mois. Le 1er avril 2020, le second étage de la fusée devait entrer en action pour limiter cette fois-ci les droits à rechargement. Là où un chômeur pouvait prolonger ses droits s’il travaillait un mois, il lui en faudrait six. L’Unédic a estimé que cette réforme entraînerait des baisses d’allocations pour 1,2 million de personnes et des pertes de droits ou retards d’indemnisation pour 500 000 chômeurs.

Dans ces estimations, le million de saisonniers y tient une bonne place. « Cette réforme a été pensée pour diminuer le nombre de contrats courts. En réalité, cela ne marche pas. Une activité de guide, par exemple, ne va pas se transformer en un contrat à durée indéterminée (CDI) par magie. Cela va juste précariser le salarié », analyse Mathieu Grégoire, sociologue et coauteur du rapport « Quelle évolution des droits à l’assurance-chômage ? (1979-2020) » pour l’Institut de recherches économiques et sociales, l’Ires.

Le Covid-19 est survenu, avec son confinement et ses chutes d’activités. Sous la pression unanime des syndicats, le gouvernement a d’abord repoussé au 1er septembre l’instauration du second volet de l’assurance-chômage. Puis, le premier ministre Jean Castex a annoncé, le 17 juillet, la suspension de l’ensemble des mesures jusqu’au 1er janvier 2021 et le retour aux règles « mieux-disantes » socialement d’avant. Promesse tenue à moitié : l’exécutif n’a pas pu s’empêcher de jouer sur les seuils d’accès aux droits et au rechargement pour gratter des sous sur le dos de sans-emploi, ni de priver les chômeurs d’avant le 1er août d’un retour à meilleure fortune.

« Les saisonniers feront là encore partie des perdants, estime Denis Gravouil, de la CGT. Si le seuil d’accès aux droits passe de 6 mois de travail sur les 24 derniers mois à 4 mois, ceux qui ont vu leur saison d’hiver tronquée par l’épidémie ne toucheront rien. Et les jeunes peu qualifiés qui cherchent des petits jobs l’été ne pourront pas tous atteindre ce seuil de 4 mois. Le gouvernement se fait pourtant fort de lutter contre leur précarité. » Pour Éric Becker, délégué Force ouvrière en charge de la saisonnalité, la réforme de l’assurance-chômage est une épée de Damoclès au-dessus de la tête des saisonniers. « Il est probable que la situation de l’emploi ne connaisse pas de grande amélioration en 2021 et que les conséquences de la crise du Covid-19 soient toujours perceptibles, estime-t-il. L’exécutif ne doit donc pas appliquer une telle réforme dans une situation similaire à celle que nous connaissons actuellement ! »

L’accès au chômage n’est pas la seule embûche semée sur le chemin des saisonniers. Une allocation spécifique en faveur de ces travailleurs n’ayant pas trouvé d’emploi pendant l’été est censée voir le jour. Si les négociations à ce sujet étaient déjà en cours sous Muriel Pénicaud, sa successeure Élisabeth Borne a préféré retarder sa mise en pratique par peur « d’un effet d’aubaine ». Un choix incompréhensible pour Éric Becker : « Il s’agit de personnes dans une détresse financière absolue. On ne peut pas traiter cette question comme s’il s’agissait uniquement d’un problème purement comptable alors que ces salariés connaissent des difficultés pour se nourrir. »

Nombre d’entre eux ont d’ailleurs demandé le revenu de solidarité active (RSA). Mais le non-recours à cette prestation sociale reste la règle pour cette catégorie de la population. Quinze départements ont donc annoncé qu’il serait désormais possible de cumuler RSA et emploi saisonnier. Une maigre consolation pour ces salariés qui ne trouvent justement pas de travail.

Pour ceux qui en ont, le statut de saisonnier constitue une maigre protection dont l’usage est peu à peu rogné. Selon le Code du travail, ce contrat doit être strictement réservé aux emplois dont « les tâches sont appelées à se répéter chaque année selon une périodicité à peu près fixe, en fonction du rythme des saisons ou des modes de vie collectifs », une saison ne devant pas dépasser une durée de huit mois. Si des accords paritaires interprofessionnels et des chartes régionales visent à améliorer les conditions de vie de ces travailleurs, ce contrat n’est vraiment pas une martingale. La liste de ses tares, tenue par la CGT, est longue comme un jour sans pain. « Qualifications non reconnues, précarité, droit du travail non respecté. L’accès à la formation est très compliqué à obtenir. Le logement n’est souvent pas assuré et, quand il l’est, les conditions peuvent être indignes et onéreuses. Les salaires dépassent rarement le Smic, les conditions de travail sont pénibles et la réglementation en matière de temps de travail ou de santé au travail très peu respectée. Le travail illégal, que ce soit par dissimulation d’emplois salariés ou par dissimulation d’heures de travail réalisées mais non rémunérées, est légion dans ces secteurs d’activité », dénonce la confédération.

Pour l’employeur, en revanche, ce contrat relève d’un grand intérêt : il se trouve dispensé du versement d’une indemnité de fin de contrat, normalement due dans le cadre d’un contrat à durée déterminée (CDD). Bref, c’est tout « bénef »… Sauf que ce n’est pas encore assez.

Les patrons ont désormais tendance à préférer la multiplication de contrats courts, qui n’excèdent parfois pas les quinze jours. « Ils sont en train de détruire la notion même de saison, déplore Éric Becker. Cela n’a pas de sens de parler d’un pic d’activité pendant une période donnée et d’employer des salariés pendant d’aussi brèves périodes. » Autour du contrat saisonnier gravitent ainsi nombre de contrats sectoriels spécifiques, tels que les contrats vendanges dans l’agriculture ou les contrats d’engagement éducatif dans l’animation. Si ces modes d’embauches sont censés à chaque fois s’adapter à la nature du travail demandé, ils sont surtout très précaires et n’offrent aucune garantie aux travailleurs d’une année à l’autre.

Alors que les saisonniers sont en train de vivre leur pire année, le manque de considération à leur égard pourrait inciter certains à changer de profession, ce qui n’est jamais simple, en vue d’une situation à terme plus stable. « En précarisant autant ces travailleurs, on va vers une déprofessionnalisation de certains métiers, qui nécessitent pourtant des compétences particulières, et une désertification des régions où ils sont employés », alerte Éric Becker. Dans ses repères revendicatifs, la CGT envisage des améliorations pour remettre de la cohérence à ce contrat.
Cela passe tout d’abord par une meilleure définition juridique de la saisonnalité « avec des motifs strictement limités et identifiés par catégories d’entreprises, et non uniquement en référence aux usages d’un secteur ». Par ailleurs, pour lutter contre les abus des employeurs, le ministère du Travail doit veiller à ce que ces contrats soient limités aux seuls secteurs « nécessitant un surcroît d’activité ». Enfin, les exonérations sociales doivent cesser pour que « le contrat à temps plein et à durée indéterminée soit la norme ».
Il y a encore du boulot pour que les droits sociaux de ces salariés soient garantis. C’est pourtant une urgence, faute de quoi, les travailleurs saisonniers finiront broyés par la précarité.

Victor Fernandez et Stéphane Guérard


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