Durement touchés par la crise, les
salariés en situation de handicap demandent à ne pas être oubliés par le plan
de relance. Les associations craignent une explosion des licenciements pour
inaptitude.
Le gouvernement l’a clairement annoncé : tout le monde va pâtir de la
crise. Des milliards sont distribués à l’industrie, les jeunes ont le droit à
leur plan de relance. Loin de l’agitation, les personnes en situation de handicap
s’interrogent. Seront-elles laissées pour compte dans cet après-Covid ? « Dès
qu’il y a une crise, les personnes handicapées sont les premières touchées et
les dernières à bénéficier de la reprise », déplore Sophie Crabette,
spécialiste de l’emploi à l’Association des accidentés de la vie (Fnath). En
effet, dans son discours du 14 juillet, pas une seule fois Emmanuel Macron
n’a prononcé le mot handicap.
« La dégradation de l’emploi s’est concentrée sur les plus précaires », soulignait l’Insee
début juillet. Une perspective alarmante, puisque de nombreuses personnes
handicapées sont peu qualifiées. « Notre priorité absolue, c’est
d’éviter les licenciements », assène la membre de la Fnath. Une
affaire loin d’être gagnée lorsque les licenciements pour inaptitude sont, en
temps normal, estimés à 10 000 par an. « Les personnes handicapées sont
celles que les entreprises embauchent avec bienveillance mais dont on se sépare
le plus facilement quand il faut faire des choix », abonde Hervé
Delacroix, bénévole à APF France Handicap et vice-président de l’Agefiph,
association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes
handicapées.
Ces licenciements abusifs, Bénédicte Ruck en a fait les frais. En 2010,
l’aide-soignante est victime d’un accident du travail. Faute d’efforts de son
employeur pour adapter son poste de travail alors même qu’elle obtient la
reconnaissance de travailleuse handicapée, les soucis de santé s’accumulent et
son état se dégrade à vue d’œil. « À chaque retour d’arrêt maladie, le
médecin du travail me demandait ce que je comptais faire. Il insistait pour que
je parte de moi-même, je savais qu’un licenciement pour inaptitude me pendait
au nez. C’est ce qu’il s’est passé en 2016. Je voulais garder mon emploi, mais
j’étais tellement affaiblie que je n’ai pas pu contester », se
remémore-t-elle. Aidée de la Fnath, elle fait finalement un recours contre son
employeur et obtient la reconnaissance de maladie professionnelle. Mais au
chômage, malade et à quelques années de la retraite, retrouver un emploi est
pour elle une mission impossible.
Pour prévenir l’hécatombe sociale qui guette, les associations demandent
que les salariés handicapés puissent au moins bénéficier des contrats aidés
annoncés. 300 000 emplois seront prochainement créés, après avoir été
drastiquement réduits par Macron au début de son quinquennat. Mais, ils ne
concerneront que les jeunes. « Il faut maintenir les mesures prises
pendant le confinement à titre dérogatoire pour cette population, comme le
chômage partiel », ajoute Hervé Delacroix. De quoi éviter selon lui
que les salariés des entreprises adaptées, comme les Esat, soient écartés du
marché du travail. « Ces travailleurs ont été valeureux pendant
l’épidémie, ils ont contribué à l’effort national en produisant des masques,
par exemple. Mais sous le coup de la crise, nos donneurs d’ordres ont préféré
réinternaliser leur production. » Après avoir vu leur carnet de
commandes fondre, ces établissements anticipent une reprise totale de leurs
missions… à l’été 2021.
Le Covid frappe ainsi durement une
population déjà malmenée en temps normal sur le marché de l’emploi. Selon le
rapport de l’inspection générale des affaires sociales, 18,7 % des
personnes handicapées étaient au chômage en 2017, soit deux fois plus que
l’ensemble de la population, situation figée dans le marbre depuis dix
ans. « Le handicap reste le principal facteur de discrimination au
travail », rappelle Sophie Crabette. La faute à un manque de
politiques ambitieuses et à des lois toujours trop peu appliquées. Les salariés
handicapés ne comptent en moyenne que pour 3,5 % des effectifs dans le
privé, bien loin des 6 % imposés par la loi de 1987, que les entreprises
contournent aisément en sortant le chéquier. Le moment ne semble toutefois pas
se prêter à une refonte profonde du système, qui permettrait enfin un monde du
travail véritablement inclusif. « C’est l’idéal vers lequel on tend,
mais à un moment où tout le monde tente de sauver sa peau, cela semble
techniquement difficile à réformer », se désole Hervé Delacroix. Pour
l’instant, l’urgence reste donc d’éviter le naufrage.
Marie Toulgoat
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