France 2 renoue avec la saga historique en
diffusant Et la montagne fleurira. Cette fresque politique, sur la
place des femmes dans la société, le respect de la nature et les violences du
pouvoir, offre un rôle sur mesure à Philippe Torreton.
Année 1837. En voulant mettre à l’abri sa récolte de
tilleul, Adélaïde (Anne Brochet) perd la vie dans un accident. Sa mort
scelle le destin de son fils, Jean-Baptiste (Guillaume Arnault) : son père, Sosthène (Philippe Torreton), installe sa
nouvelle compagne, Séraphine, une prostituée (Hélène de Fougerolles), au
domaine. Parce que Jean-Baptiste refuse ses avances, elle l’accuse de viol, et
Sosthène le bat quasiment à mort. Jean-Baptiste trouve refuge chez sa tante,
Blanche (Constance Dollé), de l’autre côté de la montagne. Il y apprend un
nouveau métier, tombe amoureux, et surtout noue des relations avec les
républicains, alors que Louis Napoléon Bonaparte ne va pas tarder à faire son
coup d’État et réprimer férocement toute velléité de protestation dans un pays
ravagé par le choléra. Une fresque éblouissante et terriblement contemporaine.
Vous incarnez un homme brutal, qui exile et déshérite
son fils. Comment vous êtes-vous emparé de ce personnage ?
Je n’ai jamais eu de problèmes à jouer les « pas gentils ». En
revanche, à la première lecture, j’ai été dérangé par le fait
que Sosthène était à 100 % un méchant. Il n’y avait rien, pas un élément ou quelques paroles qui permettent de relativiser
son parcours. Parce que des arrivistes comme lui, dans les campagnes, comme à
la ville, il y en a légion. Des gens qui essaient d’avoir le bon domaine, de
faire le bon mariage de façon un peu politique, et qui deviennent des maîtres
tyranniques… Éléonore Faucher (la créatrice – NDLR) a ajouté quelques
répliques qui permettent à ce bloc d’arrivisme et de frustrations d’avoir
quelques petites failles. Et elle était convaincue, m’a-t-elle dit, que je
mettrais de la nuance dans la façon de jouer Sosthène. Une fois que les
changements ont été actés, j’ai accepté ce rôle avec plaisir, parce que je suis
assez client de ces grandes séries qui mêlent l’histoire et le patrimoine.
D’autant qu’elle parle beaucoup de politique, de
droits sociaux…
Oui, il y est question d’émancipation politique. On
voit cette France agitée, ces révoltes, et les conditions de travail terribles
de ce monde paysan.
Sosthène et sa compagne Séraphine sont des sortes de
transfuges de classe, non ?
Sans un accident de la vie, ces gens sont voués à ne
rien posséder. Sosthène, s’il n’avait pas épousé Adélaïde (Anne Brochet),
serait resté contremaître : un mec qui fait bien son boulot, sur qui on peut
compter, mais qui n’aura que son
salaire. Pareil pour Séraphine,
prostituée. Donc, forcément, ce Sosthène a une quête de
reconnaissance. Cette aspiration à accéder à son petit coin, à être un peu
autonome, elle est légitime.
Il dit à son fils Jean-Baptiste que ses gouttes de
sueur ont payé tout ce qu’il a mangé depuis l’enfance…
Et ce n’est pas une exagération de sa part. Il a
vraiment optimisé le domaine. Sosthène, le film insiste dessus, est loin d’être
un dilettante. Et il a sans doute été élevé très durement. Il a dû travailler
dès 6 ou 7 ans, prendre des coups de sabot dans les fesses et de badine
sur le dos, ne manger que lorsque la tâche était accomplie, dormir plus souvent
sur la paille que dans un lit. Donc, forcément, devenu adulte, comme on ne
voyait pas beaucoup de psys à l’époque, il perpétue ce qu’il connaît. Et le
monde agricole lui-même est dur.
On le voit aujourd’hui d’ailleurs avec des difficultés
économiques terribles, un assujettissement aux aléas climatiques. Et même quand
tout va bien, ça reste compliqué. Surtout sans mécanisation. J’étais enfant à
la fin des années 1960, au début des années 1970. Et je me souviens très bien
de ma grand-mère transportant sur ses épaules deux énormes bidons de lait,
matin et soir, à l’aide du joug qu’on mettait sur les paires de bœufs. C’est
rude.
Dans le film, le rapport entre hier et aujourd’hui est
flagrant, qu’il s’agisse de la place des femmes, des épidémies, du rapport à la
terre…
Nous y pensions forcément pendant le tournage avec les
protocoles Covid, alors que nous racontions une épidémie de choléra… Mais ce
qui m’a surtout frappé, c’est que les domaines étaient alors en quête
d’autosuffisance alimentaire : il fallait faire son pain, son cidre, son vin, les pâtés, les céréales, le
fourrage et même l’huile avec
de l’olive, de la noix, l’oléagineux du coin. Et ça, c’est dans les tuyaux en ce moment.
On devrait penser ainsi au niveau national et
n’importer que ce que nous n’arrivons pas à produire nous-mêmes. Nous demander,
devant chaque produit, si on peut le fabriquer, si nous avons l’équivalent en
France. Et se lancer là-dedans corps et âme. À l’époque, c’était une nécessité
absolue. Et ça va le redevenir.
Mon optimisme vient d’un constat pessimiste : de toute
façon, on va y être obligés. Ce serait plus intelligent de commencer maintenant.
Je vais jouer d’ailleurs une
pièce, le 6 septembre, aux Bouffes du Nord, Lazzi,
de Fabrice Melquiot, avec Vincent Garanger. Nos deux personnages sont des
métaphores de l’humanité et des impasses dans lesquelles nous nous trouvons.