Séquence(s)
Cynisme. Au trentième jour de la guerre en Ukraine, tandis que le monde
bascule dans l’inconnu avec la perspective de heurts inédits au XXIe siècle,
nous voilà donc à seize jours du premier tour de la présidentielle. Jusque-là,
nous aurions eu tort de reprocher à Mac Macron de s’occuper des hautes affaires
internationales, dans un moment d’horreur et de morts. En toute lucidité,
chacun a pu néanmoins constater qu’il a profité de cette situation extrême,
d’une manière si évidente et assumée qu’elle s’apparentait à une forme de
cynisme politique. Jouer de sa toute-puissance, laisser filer le temps, refuser
toute confrontation et glisser passivement vers un succès annoncé. Seulement
voilà, son entrée effective dans la bataille nationale a tout modifié. Depuis
la présentation de son programme, un petit quelque chose dans l’air s’amoncelle
comme des cumulus. Il porte une définition simple, à laquelle il n’échappera
pas: le retour de la question sociale!
Abrasif. Au moins, les choses sont claires. En assumant l’option d’un projet
social dur pour les cinq années qui viennent, Mac Macron reprend l’une de ses
thématiques chéries de 2017. À l’époque, le futur élu parlait déjà des «peurs
françaises». Dans son livre-programme Révolution (XO
Éditions), en 2016, il se désolait de ces Français «recroquevillés sur
(leurs) passions tristes, la jalousie, la défiance, la désunion». Il y
percevait «une certaine forme de mesquinerie, parfois de bassesse,
devant les événements». Cinq ans après, la situation a empiré.
Hallucinante perspective, celle de voir l’homme du passif et de l’échec nous
rejouer le coup, sachant qu’il osa affirmer qu’«il nous faut réglementer
notre système capitaliste et inventer un nouveau modèle». Sa philosophie?
Elle se décline toujours dans les transformations à opérer au sein de la
société, justifiant, par exemple, que le revenu de solidarité active soit versé
en contrepartie de quinze à vingt heures d’activité ou que l’assurance-chômage
soit moins généreuse en période de croissance. Émancipation par le travail
(sic), donc, qui prend ses racines dans l’école. Pour que celle-ci s’adapte aux
nouveaux besoins de la nation, le candidat assume un projet «abrasif», selon
les mots d’un de ses proches cité par le Monde, visant à bousculer
en profondeur le système éducatif. Quant à la réforme des retraites avortée
en 2020, elle sera reprise, en fixant désormais l’âge de départ du travail
à 65 ans. Travailler plus… pour travailler plus.
Crises. Le prince-président peut se prévaloir d’un bilan, un seul. Celui
d’avoir déstabilisé la droite, après avoir siphonné le Parti socialiste. Le
bloc-noteur rappelle que son objectif était évident: rester en tête à tête avec
Fifille-la-voilà. Par la brutalité de ses réformes futures, y parviendra-t-il
en promettant la régression sociale à tous les étages? Rien n’est moins sûr.
Car le débat vient de changer d’orientation tout aussi brutalement. Nous
entrons dans une nouvelle séquence, courte certes, mais dangereuse pour l’hôte
de l’Élysée. Une question se pose: les électeurs auront-ils le temps et l’envie
de se décider en fonction du contenu des réformes programmées par le favori du
scrutin ? L’atonie de la campagne, avalée par
l’actualité dramatique faite de bombes et de fureur, ne le garantit pas. Mais
Mac Macron se retrouve dorénavant dans le «dur». Récemment, le candidat
déclarait qu’il ne se souciait pas de l’image qu’il renvoyait. Keynésien ou
libéral, de gauche ou de droite? «Je m’en fiche royalement, totalement,
présidentiellement», avait-t-il lancé. Ce choix des mots, alors que
des millions d’électeurs risquent de se déterminer in extremis. À l’heure des
grandes crises, les Français souhaitent-ils vraiment une droitisation à
outrance et la continuité du matraquage social, quand 61% d’entre eux
rejettent ce programme, selon un sondage Elabe ?