« La richesse d’un pays, c’est la quantité de travail par individu multipliée par le nombre de gens qui travaillent. Tout le reste c’est de l’idéologie ». Cette assertion martelée comme une évidence par le président du MEDEF, abondamment reprise par les grands médias sans qu’ils aient jugé utile de la commenter, est lourde de sens pour les travailleurs.
Elle
est emblématique de la pure idéologie capitaliste. D’abord, elle néglige les
millions de privés de travail qui ne demandent qu’à exercer une activité et que
le même MEDEF cherche à faire passer pour des oisifs, des inutiles, des
improductifs coupables d’être privés d’emploi, quand le chômage est le fruit
des choix imposés par le capital. Et même quand le travail existe, comme à
Airbus où l’on dénombre 308 commandes d’avions de plus qu’à la fin de l’année
2019, les adhérents du Medef ne se privent pas de licencier. Pire, ils le font
avec le robinet ouvert de l’argent public. Remarquons ensuite que la disparition
de l’esclavage et les réductions successives du temps de travail journalier
comme l’interdiction du travail des enfants, conquises de hautes luttes, n’ont
pas diminué les richesses produites. Bien au contraire ! La productivité
du travail a été décuplée dans notre pays depuis les années 1960. M. Roux de
Bézieux assimile donc le travailleur à un simple moyen de production au même
titre que la machine qu’il conduit ou manipule. Dans cette
« logique » effarante, l’enseignant, la soignante, ou le petit commerçant
sont considérés comme des non-producteurs de richesses. L’argument sert à
libérer le terrain pour les passer à la moulinette de la « réduction des
dépenses publiques ». Ce raisonnement fait du travailleur, non plus un
citoyen ou un être humain, mais une simple « force de travail » à «
essorer » au maximum pour valoriser le capital. Car dans le capitalisme,
l’augmentation du temps de travail est avant tout la principale manière
d’augmenter la quantité de travail gratuit pour les propriétaires des moyens de
production.
Mais
de quelle richesse parle le président du MEDEF ? De la richesse sociale et
socialisable ? Non ! Démonstration en a été faite lors de cette
université d’été patronale. Le premier ministre – celui-là même qui refuse la
gratuité des masques à l’école – s’y est rendu, les bras chargés de cadeaux
dont celui d’une baisse des prélèvements sur le capital – déguisée sous ce
nouveau mot sorti des bureaux bruxellois d’ intolérable «impôt
de production » – de dix milliards d’euros servant à la vie
des régions. Autrement dit pour les lycées, les transports et autres
équipements. Dix milliards créés par le travail et qui ne serviront plus au
bien public, mais qui tomberont à coup sûr dans l’escarcelle des actionnaires.
La richesse créée est ainsi chaque jour un peu plus volée au travailleur et à
la collectivité, mais accaparée par ceux qui décident des conditions de la
production.
Il
s’agit ici d’une vision particulièrement rétrograde du travail et surtout de
l’être humain, considéré dans toutes ses dimensions et sur l’ensemble de sa
vie. Les facteurs de production, les avancées technologiques comme le
développement humain n’existent pour le grand capital que dans l’objectif de
lui permettre de « maximiser » ses profits au détriment de la vie des
femmes et des hommes, celle des animaux et de la nature.
Cette
conception va à rebours de l’histoire. Le développement capitaliste lui-même a
pourtant bien eu besoin de travailleurs plus formés, plus cultivés, mieux
soignés, mieux logés ou d’équipements comme les routes et les trains,
l’électricité et l’eau, payés par la collectivité publique. Non seulement il ne
veut plus payer cette part de dépenses pour la collectivité, mais il veut
profiter de la pandémie pour les privatiser, et pour abaisser relativement la
rémunération du travail, faire travailler les salariés jusqu’à 70 ans, revenir
à la semaine de 45h et laisser les jeunes sur le carreau !
Le
froid calcul des puissances d’argent n’intègre d’ailleurs jamais la durée de
vie de « la force de travail » ni des effets pervers des stratégies
patronales sur la terre, la biodiversité ou le climat. Ainsi, un ouvrier
verrier vit sept années de moins que la moyenne des autres ouvriers et quatorze
années de moins qu’un cadre. Dans ces conditions, quelle est donc la finalité
de la richesse qu’il produit ? Le travail de générations de verriers de
l’entreprise Verrallia en Charente, a été accaparé par un fonds financier
Nord-Américain qui à la mi-juin verse 200 millions € à ses actionnaires, via
une filiale basée dans le paradis fiscal du Luxembourg. Deux jours plus tard,
le même licencie plus de 200 travailleurs et délocalise une partie de la
production. On pourrait multiplier de tels exemples.
La
crise sanitaire n’appelle donc pas « une relance capitaliste » mais
une « bifurcation-reconstruction » sociale, écologique et
démocratique. Retraite à 60 ans, 32h de travail hebdomadaire, impulsion des
formations pour toutes et tous préparant la métamorphose de la production
industrielle et agricole, socialisation des richesses pour des services publics
rénovés de l’école, de la santé, des transports, du logement et pour la
sécurité alimentaire, et enfin des pouvoirs d’intervention et de gestion des
salariés dans l’entreprise. Au-delà, l’enjeu de la propriété du capital dans plusieurs
secteurs décisifs ne doit plus rester tabou. Le MEDEF a ouvert un débat de
première importance sur ses intérêts de classe. Il faut l’affronter pour les
combattre. La Fête de l’Humanité –
dans une semaine – y contribuera.
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