lundi 20 février 2023

« Canard sans tête », l’éditorial de Sébastien Crépel dans l’Humanité.



Du jamais-vu dans l’histoire parlementaire de notre pays. Une réforme des retraites présentée comme fondamentale est arrachée des mains des députés sans que la représentation nationale ait pu se prononcer sur celle-ci ni sur ses articles phares. Il n’y a aucun précédent connu. Même le coup de force bien rodé de l’article 49.3 de la Constitution apparaît, au regard de cette pantalonnade, comme moins anti­démocratique. Dans ce cas, à défaut de vote, le texte est «considéré comme adopté» lorsque la première ministre engage la responsabilité de son gouvernement devant les députés, qui peuvent encore, en renversant ce dernier, rejeter le texte. Rien de tel ici. Quant à la pantomime de la motion de censure du RN, elle visait l’Élysée à travers les ministres, non le projet de loi.

L’Assemblée nationale n’a pas eu son mot à dire, mais la réforme poursuit quand même sa course folle comme un canard sans tête. Jamais, sans doute, les députés n’ont été pareillement bafoués. Et pourtant, ils en ont vu, en plus de soixante ans de présidentialisme écrasant. On peut, bien sûr, regretter la partition finale du groupe de la France insoumise. Par le maintien de ses milliers d’amendements, il a décidé seul contre tous – PCF, PS, écologistes… – d’empêcher le vote de se tenir sur l’article 7 au sujet du recul de l’âge de la retraite à 64 ans, privant de la possibilité – qui sait? – de battre lexécutif et de mettre un point final anticipé à sa funeste entreprise. De toute façon, la limitation à lextrême par le gouvernement des débats au Parlement visait à empêcher la contestation de son projet de s’installer, avec ou sans vote.

À défaut d’avoir été retoqué ou approuvé, le texte sort de l’Assemblée dépourvu de toute légitimité. Comment les sénateurs vont-ils s’y prendre pour examiner à leur tour une réforme qui n’a jamais reçu le moindre aval des députés? Le cas est épineux et limpasse totale. Si le chef de l’État ne respecte pas lavis majoritaire des Français, quil respecte au moins le bon fonctionnement des institutions dont il est le garant, et qu’il retire son projet. C’est la seule option raisonnable.

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