Du fond de sa cellule dorée, l’ancien dictateur
Alberto Fujimori, condamné pour crimes contre l’humanité, a de quoi sourire.
Vingt-deux ans après avoir fui le pouvoir, l’autocrate corrompu, au moins son
héritage, façonne encore le Pérou, comme l’illustre le coup d’État
parlementaire contre le président Pedro Castillo. L’atomisation du système
politique a conforté une génération tout entière de nantis dévoués à défendre
les intérêts de l’oligarchie. Castillo, le maître d’école aux origines humbles,
s’est heurté au mépris de classe et au racisme de députés haïs par la
population. Sa tentative de dissolution du Congrès – mesure contestable mais
autorisée par la Constitution – s’est retournée contre lui. La Loi fondamentale
imposée dans le sang par Fujimori en 1993 a de beaux restes.
En Amérique latine, l’instrumentalisation du droit à
des fins politiques est une arme redoutable. Les présidents de gauche, qui ont
bien compris que les putschs s’opéraient désormais dans les hémicycles et les
tribunaux, en appellent au respect de la convention américaine relative aux
droits de l’homme. L’Organisation des États américains et son secrétaire
général s’en lavent les mains. Luis Almagro, qui avait vivement réagi contre la
rébellion chilienne – fruit, disait-il, des agissements en sous-main de Cuba,
du Venezuela et du Nicaragua (sic) –, a acté le coup de force. En souhaitant
bon vent à la présidente de facto, il donne quitus à Dina Boluarte et à la militarisation
du pays.
La crise de régime est à son comble. Le petit peuple
est dans la rue ; il le paye de sa vie. L’état d’urgence est
un chèque en blanc donné à l’armée et à la police.
Les soutiens de Castillo ont une cible dans le dos. Les médias dominants les qualifient de terroristes, comme à la grande époque de Fujimori qui, au nom du combat contre la guérilla du Sentier
lumineux, a maté toute voix critique. Une large majorité de Péruviens
approuvent l’idée d’élections anticipées, mais le Congrès, qui compte
renouveler une série de concessions à des multinationales minières en 2023, s’y
refuse. La rupture de l’ordre démocratique est consommée. En embuscade,
Keiko Fujimori, la « fille de », attend son heure de gloire. Sale bégaiement de l’histoire.
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