jeudi 22 décembre 2022

« Fujimori & Compagnie », l’éditorial de Cathy Dos Santos dans l’Humanité.



Du fond de sa cellule dorée, l’ancien dictateur Alberto Fujimori, condamné pour crimes contre l’humanité, a de quoi sourire. Vingt-deux ans après avoir fui le pouvoir, l’autocrate corrompu, au moins son héritage, façonne encore le Pérou, comme l’illustre le coup d’État parlementaire contre le président Pedro Castillo. L’atomisation du système politique a conforté une génération tout entière de nantis dévoués à défendre les intérêts de l’oligarchie. Castillo, le maître d’école aux origines humbles, s’est heurté au mépris de classe et au racisme de députés haïs par la population. Sa tentative de dissolution du Congrès – mesure contestable mais autorisée par la Constitution – s’est retournée contre lui. La Loi fondamentale imposée dans le sang par Fujimori en 1993 a de beaux restes.

En Amérique latine, l’instrumentalisation du droit à des fins politiques est une arme redoutable. Les présidents de gauche, qui ont bien compris que les putschs s’opéraient désormais dans les hémicycles et les tribunaux, en appellent au respect de la convention américaine relative aux droits de l’homme. L’Organisation des États américains et son secrétaire général s’en lavent les mains. Luis Almagro, qui avait vivement réagi contre la rébellion chilienne – fruit, disait-il, des agissements en sous-main de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua (sic) –, a acté le coup de force. En souhaitant bon vent à la présidente de facto, il donne quitus à Dina Boluarte et à la militarisation du pays.

La crise de régime est à son comble. Le petit peuple est dans la rue; il le paye de sa vie. L’état durgence est un chèque en blanc donné à larmée et à la police. Les soutiens de Castillo ont une cible dans le dos. Les médias dominants les qualifient de terroristes, comme à la grande époque de Fujimori qui, au nom du combat contre la guérilla du Sentier lumineux, a maté toute voix critique. Une large majorité de Péruviens approuvent l’idée d’élections anticipées, mais le Congrès, qui compte renouveler une série de concessions à des multinationales minières en 2023, s’y refuse. La rupture de l’ordre démocratique est consommée. En embuscade, Keiko Fujimori, la «fille de», attend son heure de gloire. Sale bégaiement de lhistoire.

 

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