Hommage Il y a quarante ans, le 24 décembre
1982, disparaissait Louis Aragon. Sa vie, son œuvre épousèrent les espoirs et
les désillusions du XXe siècle. Envers et contre tout, il demeure l’un des
plus grands écrivains de son temps.
Y a-t-il un mystère Aragon ? Quarante
ans après sa mort, comment comprendre son œuvre littéraire
sans se (re)plonger dans la tourmente du XXe siècle ? Son
engagement en littérature, ce
goût prononcé pour la modernité, celle qui
marque des ruptures essentielles dans tous les arts comme en politique, sont
indissociables. Sa vie fut aussi tumultueuse que le siècle qui le vit grandir.
Il découvre, à 20 ans, les horreurs de la
Première Guerre mondiale. C’est au Chemin des Dames qu’il commence l’écriture
d’Anicet ou le panorama, roman. Démobilisé, il retourne à Paris.
Aragon fréquente les milieux littéraires. Entre des amours tumultueuses,
contrariées ou trahies, il se lance à corps perdu dans l’écriture comme un
remède à cette mélancolie teintée de rage qui traverse sa génération. Dadaïste,
surréaliste, il s’insurge contre la littérature bourgeoise, qu’il veut jeter à
la Seine, rien de moins. Période prolifique. Paraîtront le Paysan de
Paris, le Con d’Irène (qui lui vaudra les foudres de la
censure), des poèmes (Persécuté persécuteur), des essais (Traité du style).
Avec André Breton, ils adhèrent au Parti communiste. Mais le climat entre les
deux écrivains s’envenime. Breton quitte le PCF. Ils se retrouveront pourtant
en 1931 pour dénoncer l’exposition coloniale, « ce carnaval de squelettes ».
Aragon a rencontré Elsa Triolet, belle-sœur de
Maïakovski, qui se suicide en 1930. Avec Elsa, ils séjournent fréquemment en
Union soviétique. Les années 1930 sont constellées d’engagements politiques et
esthétiques vigoureux, d’affrontements rudes alors que l’Europe sombre dans le
fascisme. Le soutien aveugle et indéfectible à l’Union soviétique se conjugue
cependant avec l’engagement antifasciste face à des droites qui préfèrent
Hitler au Front populaire. Aragon est de tous ces débats. Il prend la plume
comme journaliste à l’Humanité et à Ce soir.
Il obtient le Renaudot pour les Beaux Quartiers en 1936.
En 1939, il est de nouveau mobilisé. Après la défaite,
il entre en résistance. En publiant clandestinement les Lettres
françaises, il rallie, bien au-delà de la sphère communiste, les
intellectuels qui refusent de capituler. À la Libération, Aragon acquiert
une nouvelle dimension. Après avoir été l’une des figures du surréalisme, le
romancier engagé, le poète de la Résistance, il est consacré poète national. La
guerre froide, les interventions soviétiques à Budapest, à Prague provoquent
des ruptures sans retour parmi les intellectuels français. Aragon est souvent
ébranlé mais ne renoncera jamais. En Mai 68, à la Sorbonne, il est chahuté par
les étudiants. Une blessure de plus.
La politique, la littérature : Aragon a
mené de front ces deux engagements. Avec le Roman inachevé, Olivier Barbarant estime qu’il « réintègre la communauté littéraire » (lire ci-contre). L’avait-il jamais quittée ? À la fin de sa vie, Aragon affiche son homosexualité, porte des masques. « Je ne suis pas celui que vous croyez », laisse-t-il entendre.
Son œuvre est dense et cruelle, comme le siècle qui l’a inspirée, avec sa
cohorte de trahisons et de désillusions, ses remises en question, y compris
dans ses périodes les plus sombres. Et s’il revendique dans Épilogue « le droit au désespoir », il ajoute : « Le chant n’est pas moins beau quand il décline. Il faut savoir ailleurs l’entendre qui renaît comme l’écho dans la
colline. »
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