La poésie d’Aragon s’est rendue populaire grâce à des
musiciens qui ont brodé sur ses vers des mélodies impérissables. « Une forme
supérieure de critique » pour le poète. Et une histoire toujours vivante. Clément Garcia
De chant, il est largement question dans l’œuvre d’Aragon. Pourtant, et contrairement à bon nombre de ses contemporains, le poète n’a jamais versifié pour la chanson. Comme pour s’indigner du paradoxe, les chansonniers ont en retour mis en musique son œuvre avec une constance admirable. Entre « la voix Ferrat, la voix Ferré », se sont frayés quantité de chemins de traverse. Hélène Martin, Georges Brassens, Lino Léonardi, Marc Robine, pour en rester là, ont composé sur ses vers des mélodies entonnées par des interprètes fameux : Jacques Douai, Monique Morelli, Marc Ogeret, Francesca Solleville et tant d’autres. Une somme qui permet à l’œuvre d’Aragon de continuer à vivre dans la mémoire populaire. « La mise en chanson d’un poème est à mes yeux une forme supérieure de critique poétique, écrivait Aragon. Même si ce n’est pas tout ce que j’ai dit ou voulu dire, c’en est une ombre dansante, un reflet fantastique, et j’aime ce théâtre qui est fait de moi. » Aujourd’hui encore, il n’est pas rare qu’un jeune musicien se prenne au jeu du « reflet fantastique ». Comment expliquer pareille permanence ?
Léo Ferré note que « ce qu’Aragon déploie dans la phrase poétique n’a besoin d’aucun support, bien sûr, mais la matière même de son langage est faite pour la mise sur le métier des sons ». Le chanteur anarchiste
relève ici ce qui apparaît comme une évolution formelle commandée par la
politique. Dans son ouvrage Aragon et la chanson (Textuel,
2007), Nathalie Piégay-Gros relève que, « dès la fin des années 1930 puis de manière décisive pendant les années de guerre, Aragon renoue avec une ancienne tradition littéraire française : il s’agit de montrer la continuité de la culture
française et d’affirmer qu’elle est prête à résister à l’occupation (…). En
puisant dans la tradition du “chant” français, Aragon entend prolonger la veine
épique qui a tissé une identité et forgé une langue ». Cette reconnexion au
patrimoine littéraire se manifeste par une attention apportée à la rime comme à
la cadence des vers, de manière à être retenus, lus et chantés. Georges Auric
comme Francis Poulenc prendront la balle au bond, le premier avec la
Rose et le Réséda et le second en composant, si l’on peut dire, le premier
tube sur un texte d’Aragon avec C. Le poète ne se départira
plus de cette manière épique perceptible dans le Roman inachevé comme le
Fou d’Elsa, abondamment butinés par Ferré et Ferrat.
Le groupe Feu ! Chatterton perpétue la tradition dans son album l’Oiseleur (2018) avec
une composition originale du prodige Samy Osta sur le poème Zone libre, tiré
du recueil résistant le Crève-cœur. Le groupe clôt également
ses concerts en reprenant l’Affiche rouge. « Avec l’Affiche rouge, l’intime
et le politique s’embrassent avec une puissance prodigieuse », confiaient-ils à l’Humanité. La
chanteuse Véronique Pestel dédie un spectacle à Aragon avec des mélodies
nouvelles, quand Thomas et Jacques Dutronc viennent de publier Aragon,
morceau qui reprend les vers du poème Bierstube Magie allemande et
sa lancinante question : « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » Quelques mois plus tôt, le rockeur Axel Bauer
s’inspirait des mêmes vers dans un album dédié à son père résistant.
L’auteur-compositeur Florent Marchet s’est distingué
en composant la musique de tout un spectacle sur divers poèmes d’Aragon clamés
par le comédien Patrick Mille. Dans la revue Hexagone, il
explique : « La poésie d’Aragon a une dimension intemporelle (…). Nous avons aussi besoin de
l’esprit de résistance qu’il véhicule. L’époque n’est plus la même mais il y a
un engagement qui est tout autant nécessaire. » Lyrique, épique et politique, le mariage de la musique et du texte
aragonien a encore de beaux jours devant lui.
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