« Où sont les
victimes ? Avez-vous
des noms ? » a osé le ministre qatari du Travail, en réponse aux appels d’ONG à la création d’un
fonds d’indemnisation pour les travailleurs tués ou blessés sur les chantiers.
Oui, nous avons leur nom, leur visage, leur histoire. Et nous continuerons de
les publier chaque jour jusqu’à la fin de la Coupe du monde de football (lire
page 6). Nous sommes aussi allés rencontrer ceux qui en sont revenus, sur
la route de Doha à Katmandou, où s’organise cette exploitation infernale. Près
d’un demi-million de Népalais partiraient travailler au Qatar dans des
conditions épouvantables pour des salaires de misère. Chaque semaine, plusieurs
d’entre eux reviennent dans leur pays dans des cercueils. En plus d’être
privées de leur droit à une indemnité, les familles endeuillées doivent
rembourser les frais de leurs proches décédés. Car la chaîne d’exploitation
implacable de ces travailleurs, décrite dans notre reportage, comprend
l’arnaque d’agences de « recrutement » qui facturent, à des montants exorbitants, assurances et autres visas que les ouvriers
doivent payer de leur poche, alors qu’un Népalais sur cinq vit avec moins de 2 euros par
jour.
Si la Coupe du monde, qui démarre dans six jours, a
mis en lumière cet esclavage moderne, cette sordide réalité existe pourtant
depuis des décennies. Exposition aux fortes chaleurs, cadences infernales pour
tenir les délais, travailleurs entassés dans des camps de travail infâmes,
privés de liberté… les chantiers des stades n’ont fait que reproduire un modèle
dont s’abreuvent les monarchies du Golfe depuis l’essor immobilier de Dubai, au
début des années 2000.
Allégorie du capitalisme mondialisé sans foi ni loi,
elles ont bâti leurs indécentes vitrines en réduisant à l’esclavage un
prolétariat venu principalement d’Asie du Sud. Et les grandes entreprises
françaises présentes au Qatar s’en accommodent bien. En 2021, l’émirat a été
leur 4e client parmi les pays du Proche et du Moyen-Orient. Un
partage d’intérêts bien compris. Durant le Mondial, 220 policiers et gendarmes
français participeront à la sécurisation du tournoi, dans le cadre du
partenariat de sécurité signé par Doha et Paris, l’an dernier. Sur la sécurité
des ouvriers, la France a été moins regardante.
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