Nous aurions tellement voulu vivre le moment, nous
prendre à rêver, dès le coup d’envoi. Mais la 22e édition de la Coupe du
monde de football, au Qatar, a un goût de sang et de cendres. Loin de nous
l’idée de gâcher le plaisir ou de culpabiliser les passionnés de ce sport
populaire dont nous partageons l’amour pour le ballon rond. Mais nous ne
pouvons taire la faillite de cet événement planétaire au nom des valeurs qui
animent ce journal. Des sombres manœuvres de la Fifa pour octroyer la
compétition à cette gazomonarchie despotique où les droits les plus
élémentaires sont bafoués, aux travailleurs étrangers ravalés au rang
d’esclaves, dont 6 500 ont payé de leur vie l’édification d’infrastructures faramineuses, en passant par l’hérésie environnementale de stades climatisés en plein
désert, tout révulse.
À quelques heures de la cérémonie d’ouverture,
Emmanuel Macron a cru pouvoir remballer les voix critiques. « Il ne faut pas politiser le sport », a-t-il
osé. Il a manqué une occasion de se taire. Politique et sport sont
consubstantiels. L’histoire regorge d’exemples. Au Brésil, les Corinthians ont
été à la pointe du combat contre la dictature militaire, leur démocratie
autogestionnaire a favorisé un football équitable, débarrassé de l’argent roi.
La déclaration du chef de l’État est d’autant plus grotesque qu’il sait que le
choix même du Qatar est une affaire très politique et de gros sous. La France a
pesé de tout son poids pour privilégier Doha en échange d’achats de Rafale par
la tyrannie des Al Thani, qui espèrent avec la Coupe se refaire une image
– sans succès.
Qu’importe le sport pourvu qu’on ait l’ivresse du
marché, en résumé. Sur fond de corruption institutionnalisée, les intérêts
géopolitiques et économiques n’ont fait qu’un avec le foot financiarisé pour
céder le Mondial à une bande de terre aride et totalitaire. C’est pourquoi nous
ne disons pas seulement : Qatar, plus jamais ! Nous invitons à repenser les instances internationales sportives et à en fonder de nouvelles afin que les grands
rendez-vous ne soient plus instrumentalisés par des intérêts avides qui
salissent jusqu’à la beauté du geste des joueurs. Il est grand temps de siffler
la fin de ce mauvais match.
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