mercredi 30 novembre 2022

« Un chêne ? », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité



Comme il est de coutume, nous dit-on, pour les premiers ministres au terme de six mois d’exercice, Élisabeth Borne a planté devant témoins un arbre dans le parc de Matignon. Un chêne. C’est ambitieux et risqué. La Fontaine nous a appris ce qui arrivait en cas de vent violent à celui de qui «la tête au ciel était voisine». Sans doute la première ministre a-t-elle voulu signifier par là qu’elle était résistante et bien enracinée. Et envoyer un message à une partie du gouvernement et à la majorité relative de la formation présidentielle. S’il n’y a pas, à ce jour, d’avis de tempête, les turbulences se multiplient, dont celle touchant directement le président au sujet de ses financements de campagne et de ses rapports avec le cabinet McKinsey. On peut évoquer aussi la démission de la ministre Caroline Cayeux, le désaccord affiché il y a deux jours entre les ministres Clément Beaune et Gabriel Attal après les déclarations de ce dernier sur la priorité à donner à «ceux qui bossent»…

Mais, derrière l’arbre et le vent dans les branches, il y a la forêt avec, la semaine passée, le sixième recours au 49.3, soit le sixième passage en force du gouvernement sur des textes essentiels, dont ceux du projet de loi de finances et du financement de la Sécurité sociale. Outre que ce recours ne sera pas toujours possible, il est l’expression d’un véritable déni conscient de la réalité politique. Le président et son gouvernement veulent occulter la situation issue des urnes comme de la boîte de Pandore. Non seulement ils ne sont pas majoritaires mais, quoi qu’en dise Emmanuel Macron, les électrices et les électeurs n’ont pas validé leurs choix et leurs projets. Ils ont créé une situation plurielle.

La raison voudrait que le pouvoir en tienne compte. Plutôt que de chercher des petits arrangements entre amis ou ennemis, qu’il respecte véritablement la représentation parlementaire et son pouvoir législatif, mais aussi élus, syndicats et ce qu’on appelle les corps intermédiaires, autrement qu’avec des bidules comme son Conseil national de la refondation. Mme Borne laisse entendre qu’elle ne pliera pas, comme le roseau. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, mais d’être tout simplement démocrate.

 

« Dommage », le billet de Maurice Ulrich



Berlin, annonçaient lundi les Échos, «adopte une politique moins punitive à l’égard de ses chômeurs» avec une revalorisation de leurs allocations, très modeste, mais qui marque néanmoins un changement au regard de la politique antérieure. Bonne nouvelle, à l’opposé de ce qui se passe chez nous et qui s’accompagne dans le quotidien de Bernard Arnault d’une découverte qui n’a d’égale que celle du fil à couper le beurre: «Laugmentation de la pauvreté outre-Rhin, grand échec des lois Hartz». Le taux de pauvreté y serait ainsi passé de 14,3 % à 16,8 % en dix ans. Une surprise, vraiment? Les lois Hartz, adoptées entre 2000 et 2005, contraignaient les chômeurs à accepter nimporte quel travail et instauraient les mini-jobs payés 1 euro de lheure. Il y aurait donc un lien de cause à effet? On pense à ce paysan qui, par économie, avait cessé de donner à manger à son âne. Au bout de quinze jours, l’âne est mort. Dommage, a dit le brave homme, il commençait à s’y habituer.

lundi 28 novembre 2022

« Déconfinement », l’éditorial de Jean-Emmanuel Ducoin dans l’Humanité



Pékin, Shanghai, Ürümqi, Nankin, Canton, Zhengzhou, Wuhan, Chengdu, Chongqing… Depuis quelques jours, des dizaines de milliers de personnes participent à des manifestations en Chine, malgré les risques encourus qui peuvent se solder par des peines de prison à vie. S’il ne s’agit que d’un mouvement parcellaire – pas coordonné mais simultané –, le simple fait d’en signifier l’émergence à défaut de son ampleur témoigne d’une espèce de moment «protohistorique» dont il faut bien se garder de pronostiquer la suite.

À l’échelle du pays, ne caricaturons pas. Grèves et protestations s’avèrent moins rares que ce que nous avons coutume de croire, vu de chez nous. Néanmoins, ces rassemblements inédits depuis Tian’anmen en 1989 disent quelque chose du «symptôme» chinois. Preuve, l’émergence de slogans contre le président XiJinping et le Parti communiste chinois (PCC): «Xi Jinping, démission», «Halte à la présidence à vie», «On n’a pas besoin de tests mais de liberté», «Rendez-nous le cinéma, halte à la censure» ! Qui eût cru possible que des Chinois courageux en viennent à brandir des feuilles de papier blanc, tenues à bout de bras dans les rues, symboles dune population qui ne peut pas toujours écrire ce qu’elle a sur le cœur mais n’en pense pas moins?

La gestion du «zéro Covid» est aussi passée par là, dans un pays où la peur endémique des épidémies ne date pas de 2019. Notons, au passage, que la levée des restrictions dans de nombreuses provinces a provoqué une flambée de nouveaux cas. Des quantités certes négligeables, comparées au 1,4 milliard d’habitants. Sauf que la sous-vaccination des personnes âgées et le manque d’efficacité des vaccins nationaux incitent les autorités à la prudence, tandis que 230 milliards d’euros ont été dépensés en faveur de la politique des tests…

D’autant qu’un changement de paradigme est peut-être en cours. Les colères du «zéro Covid», additionnées aux ras-le-bol préexistants, semblent toucher toutes les catégories sociales, que ce soit les classes moyennes des grandes mégalopoles, incarnées par les jeunes, ou les ouvriers des campagnes et des usines, comme à Foxconn. Incontestablement une nouveauté, même si la contestation du pouvoir reste, à ce jour, très embryonnaire.

 

« Mâles à droite », le billet de Maurice Ulrich.

 


Voilà une belle une du Figaro Magazine, avec six mâles blancs dominants en costume bleu et avec cette interrogation dont il faut supposer qu’elle trouble le sommeil de ses lectrices et lecteurs. «Y a-t-il quel­quun pour sauver la droite?» Et donc, on voit sur la photo les trois prétendants à la direction de LR – Bruno Retailleau, Éric Ciotti et Aurélien Pradié; Laurent Wauquiez et Édouard Philippe, qui pensent à la présidence tous les matins en se rasant; et Éric Zemmour, mais oui, que le magazine dont il fut lun des chroniqueurs vedettes a eu à cœur de remettre en selle et en bonne compagnie en tant que promoteur de l’union des droites, très à droite. Sauve qui peut, donc. Marine Le Pen n’est pas concernée, semble-t-il. Mais pourquoi, diable, se dit-on, faudrait-il sauver la droite, et laquelle, alors même qu’elle est au pouvoir? Il manque quelquun sur la photo, qui est «en même temps» de droite et de droite. Eh oui, mais cest bien ça le problème des mâles à droite.

 

« La retraite, un combat civilisationnel », l’éditorial de Maud Vergnol dans l’Humanité.



Si le sujet n’était pas si grave, nous pourrions saluer le génie inventif du pouvoir macroniste pour hisser le cynisme à son acmé. Faute de légitimité pour opérer un recul historique au droit à la ­retraite, l’exécutif déploie des ­trésors d’imagination pour imposer ce retour en arrière social. Après sa valse-hésitation de l’automne, le gouvernement envisagerait ­désormais de le saucissonner en deux textes législatifs. Le pire, soit le report de l’âge légal à 65 ans et l’allongement de la durée de cotisation, serait intégré à un projet de loi de financement de la Sécurité sociale rectificatif qui pourrait être présenté en début d’année. Les pseudo «contreparties» à ces régressions feraient, quant à elles, lobjet dun projet de loi «classique».

La manipulation est tout aussi grossière que le dévoiement obscène du nom du CNR, dont Emmanuel Macron s’emploie à déconstruire méthodiquement toutes les conquêtes sociales. En réalité, derrière les stratégies politiciennes, le président de la République évite à tout prix de faire de la politique: à savoir assumer un débat civilisationnel, au moment où la place du travail et ses finalités pourraient être au cœur dune transition sociale et écologique révolutionnaire.

Pour éviter d’assumer ses choix ­funestes, le gouvernement assène qu’ «on na pas le choix», que chaque «réforme» est une «nécessité» frappée au coin du bon sens. Les Français la rejettent? Cest quils nont pas «compris», qu’il faut faire preuve de «pédagogie». En réalité, cette contre-réforme des retraites n’est pas plus «nécessaire» que ne l’était celle sur lassurance-­chômage, une véritable bombe sociale qui va plonger des familles entières dans la misère.

Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage. Le régime des retraites n’est ni «à bout de souffle» ni «insoutenable», comme nous l’avons démontré à plusieurs reprises dans ces colonnes. Ce qui est «insoutenable» pour la classe dirigeante actuelle, c’est bien le système ­solidaire pensé à la Libération, qui attribue un revenu à une personne qui n’a pas d’emploi. C’est cela que le capitalisme veut enterrer, pour livrer nos retraites aux douces lois du marché.

 

« Ceux qui bossent », le billet de Maurice Ulrich.



«Les Français qui bossent ou qui veulent bosser doivent être notre priorité.» On pense un peu, en lisant Gabriel Attal, qui parle «peuple» dans le Parisien, à Marcel Proust. «Un art populaire par la forme», écrivait-il dans le Temps retrouvé, qui se voudrait «accessible au peuple» et s’adresserait davantage «aux membres du Jockey Club qu’à ceux de la Confédération ­générale du travail». On ne doute pas, toutefois, que le vibrionnant ministre délégué aux Comptes publics «bosse», et même avec zèle, au service de la ­politique du président, mais on a un peu de mal à le voir en porte-parole de celles et ceux qui, comme le disait Nicolas Sarkozy, se lèvent tôt. Les mêmes précisément qui sont menacés par la remise en cause de l’assurance-chômage, s’ils viennent à perdre leur emploi. Il insiste, pourtant, car il pense à «la France laborieuse qui se lève tous les matins en ayant le sentiment de ­bosser pour dautres». Quels autres? Il serait prêt à taxer les dividendes, les fortunes? 

 

samedi 26 novembre 2022

« Coopérer ou périr », l’éditorial de Cédric Clérin dans l’Humanité Magazine



Il y a de quoi être inquiet. Après des jours de débats à la COP27 de Charm el-Cheick, qui succèdent à des mois de tractations, la montagne COP a accouché une nouvelle fois d’une souris. Non pas que le sujet soit simple et qu’il suffise de quelques palabres pour trouver une issue à un problème complexe. Et bien sûr, la recherche de la «justice climatique» pour les pays du Sud, exploités depuis des siècles au profit de ceux du Nord, qui aura occupé une large part des négociations, est un sujet essentiel. Il est juste qu’un pays comme le Pakistan, qui a subi les pires inondations de son histoire, puisse bénéficier de fortes aides. Ce pays qui émet moins de 1 % des émissions de gaz à effet de serre est aussi l’un des territoires les plus vulnérables au changement climatique. Une péréquation mondiale est nécessaire et la naissance d’un fonds d’aide financière aux pays vulnérables, ravagés par les effets d’un réchauffement climatique dont ils ne sont pas responsables, est une bonne nouvelle.

Mais les discussions internationales sont très loin du rythme de l’accélération phénoménale du changement climatique et de ses effets. Les ravages au Pakistan auraient dû amener toutes les parties à une autre conclusion: nous navons plus le temps. Le secrétaire général de lONU lui-même avait eu ces mots très forts au début de la conférence: «Lhumanité a un choix: coopérer ou périr. Cest soit un pacte de solidarité climatique, soit un pacte de suicide collectif.» Or, à lissue de la COP, il na pu que constater que les négociations concernant la lutte contre le changement climatique lui-même, c’est-à-dire la baisse des émissions de gaz à effet de serre, sont restées au point mort. Si l’objectif de maintenir le réchauffement planétaire à 1,5 °C a été repêché in extremis pour figurer dans le texte final de la COP27, ce n’est que pour éviter un effet de communication désastreux et une incapacité par trop visible à avancer. Selon les experts, nous allons vers un réchauffement estimé à 2,4 °C. Un seuil aux conséquences catastrophiques et donc très loin des objectifs affichés il y a maintenant sept ans à Paris. «Lobjectif de 1,5 °C ne consiste pas simplement à maintenir un objectif en vie, il sagit de maintenir les gens en vie», résume le secrétaire général de lONU.

Les résultats de la COP se lisent également à ce que son texte final ne dit pas. On cherchera en vain une référence à la sortie progressive des énergies fossiles. Et ce qui pourrait apparaître comme un simple détail rhétorique n’en est pas un. En refusant de mettre les fossiles à l’index, les puissants de ce monde viennent tout simplement d’ignorer sciemment la cause de ce qu’ils sont censés combattre. Les centaines de lobbyistes qui ont fait le voyage en Égypte ont eu le dernier mot. Les entreprises de l’énergie, si puissantes dans le capitalisme actuel, sortent indemnes de Charm el-Cheick. C’est du moins ce que leurs dirigeants croient, aveuglés par la logique du profit immédiat. Or, le sujet du réchauffement climatique a cela de particulier que personne n’en sortira indemne. «Coopérer ou périr», «pacte de solidarité ou suicide collectif», la surdité des multinationales à ces enjeux prouve une fois encore que lavenir de la planète est un sujet bien trop sérieux pour le laisser entre leurs mains. Reprendre le pouvoir sur les outils de la transformation écologique semble donc la plus raisonnable des mesures pour accélérer dans cette course décisive.