Enfant cachée sous l’Occupation, militante communiste
à l’adolescence, la productrice et cinéaste sort son cinquième long métrage de
fiction, les Secrets de mon père. Un film d’animation sur la transmission
de l’horreur de la Shoah.
Ceux qui ont connu les années 1980 se souviennent de Rouge Baiser, l’histoire d’une adolescente indocile dans le Paris des années 1950, jouée par la toute jeune Charlotte Valandrey, récemment disparue. Véra Belmont, fille de juifs polonais, y racontait son adolescence aux Jeunesses communistes, son admiration pour Staline et son exclusion sans ménagement du Parti pour avoir trop parlé, trop dansé, trop aimé. « J’ai adhéré vers 13-14 ans, c’est ma période la plus forte, c’était chouette, chaleureux, il y avait de la solidarité. C’est là que j’ai rencontré Gaby, Gabriel Garran (metteur en scène, fondateur du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers – NDLR), qui est devenu mon meilleur ami. Ils ne m’ont pas gardée parce que j’étais trop indisciplinée, je fichais trop la pagaille. On virait des gens à tour d e bras. Qu’est-ce qu’ils ont été sectaires… Cette exclusion, c’est le drame de ma vie. Mais ça m’a portée vers le cinéma, car il fallait que je fasse quelque chose », se souvient celle qui fut la productrice de Paul Vecchiali, André Téchiné et Jean-Jacques Annaud (la Guerre du feu).
Une femme dans un milieu d’hommes
À 89 ans, affaiblie par des problèmes
respiratoires qui l’obligent à garder la chambre, Véra Belmont n’a rien perdu
de sa gouaille et de son humour, fredonne une chanson de Bécaud, décoche un
clin d’œil quand on la questionne sur sa trajectoire de femme dans un milieu
d’hommes : « On ne va pas être démago. C’est vrai que ça a été difficile. On me disait : “Ah, encore une bonne femme !” Mais j’ai aussi profité de ma féminité pour obtenir des choses que je n’aurais pas obtenues autrement. » Installée au cœur du 8e arrondissement parisien,
quartier historique des producteurs de cinéma, elle vit et travaille dans une
maison meublée de bric et de broc, qui fut autrefois un bain-douche. C’est
Elliott Covrigaru, son petit-fils, qui ouvre la porte et prépare un café.
Tendrement proche de sa grand-mère, il a composé la musique des Secrets
de mon père, le beau film d’animation qu’elle a réalisé, d’après la bande
dessinée de Michel Kichka, Deuxième Génération, sur un
scénario coécrit avec Valérie Zenatti.
Dans la Belgique de l’après-Seconde Guerre mondiale,
deux garçons, Michel et Charly, sont confrontés au mutisme de leur père,
rescapé des camps : « J’ai choisi l’animation parce que c’est moins frontal, plus pudique. Le film adopte le point de vue des
enfants, qui disent des choses stupides et profondes. Ils se sentent tout à
coup des héros de quelque chose qu’ils n’ont pas très bien compris. » On
retrouve dans ce cinquième long métrage de fiction après Rouge baiser, Marquise, Milena, Survivre
avec les loups, les thèmes qui obsèdent Véra Belmont et irriguent sa
filmographie : la mémoire, la transmission, le judaïsme, la politique.
« On ne peut pas vider un film de son contexte, ça fait partie de l’histoire, c’est comme
quand on respire. »
Enfant cachée sous l’Occupation alors que ses parents,
militants communistes, sont entrés dans la Résistance auprès des FTP-MOI, elle
est placée avec ses frère et sœur chez une mégère qui les affame, nommée, ça ne
s’invente pas, Mme Pétin : « Elle gardait neuf enfants placés par la MOI (Main-d’œuvre immigrée), si on disait quelque chose, on menaçait de nous dénoncer à la police. J’étais une bonne voleuse, ça m’a permis de survivre. Il faut
le faire intelligemment, on apprend vite. »
Après la guerre, elle travaille dans un atelier de
couture chez un patron rentré de déportation : « Impossible qu’il en parle vraiment, il avait honte. Il cachait les choses et, petit à petit, il s’est mis à parler. » À 19 ans, alors qu’elle est invitée à
Varsovie avec la troupe de Gabriel Garran pour jouer la Putain
respectueuse aux Rencontres internationales des Jeunesses communistes,
elle prend un train pour Auschwitz : « Je me suis assise sur leur banquette de bois en me
demandant comment transmettre cette horreur. Je me suis dit qu’il fallait le faire par les enfants. »
Devenue productrice dans le sillage de la bande
des Cahiers du cinéma, amie de Truffaut, Véra Belmont s’est
toujours étonnée que les autres cinéastes ne fassent pas plus de politique : « Ça fait rigoler mon ami Mordillat, vous le connaissez ? C’est un môme de la rue de Charonne. Il dit qu’on reconnaît un film de moi parce qu’il y a toujours le parfum communiste. On ne peut pas vider un film de son
contexte, ça fait partie de l’histoire, c’est comme quand on respire. » La gauche aujourd’hui ? « Elle se tire des balles dans le pied. Il faudrait plus
de femmes. » Toujours combative, inquiète de
l’antisémitisme « conscient et inconscient », elle reste fidèle à
l’adolescente farouche de Rouge Baiser, rebelle et sans
regret.
Les Secrets de mon père, de Véra
Belmont, France-Belgique, 1 h 14. À lire : l’Hirondelle du Faubourg, entretiens
avec Anne-Marie Philipe, Stock, 2009.
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