« Qu’est-ce que l’art, Jean-Luc Godard ? » rimait Aragon à la une des Lettres françaises, le
9 septembre 1965, pour la sortie de Pierrot le Fou. Godard
n’a jamais répondu qu’en brouillant sans cesse les codes, comme on dit. Il a
autopsié le cinématographe, pour voir et montrer ce qu’il avait dans le ventre.
De cette opération, un autre art du film est né, infiniment libre, coupant,
monté cut, semblable à l’improvisation du jazzman ou à Picasso
réinventant la peinture après l’avoir déconstruite. Truffaut, avant leur
brouille, disait : « Godard a pulvérisé le système, il a fichu la pagaille dans le cinéma… » À bout de souffle a tout changé.
Il n’a jamais dérogé à sa règle d’« organisateur
conscient du film », en maîtrisant tous les postes, de l’écriture à l’image, au
son, à la musique et au sens toujours surprenant, fertile dans la culture du
paradoxe, ce synonyme poli de la contradiction. En lui, le poète visuel se
double d’un théoricien averti, d’un dialecticien aussi surprenant que Brecht,
par exemple. En témoignent ses Histoire(s) du
cinéma (1988-1998) éditées par Gallimard. Subjuguant son monde,
il a été adoré et haï. Les maoïstes français n’aimaient pas la Chinoise ;
les juifs américains le jugeaient antisémite parce qu’il prenait fait et cause
pour les Palestiniens… Il faisait face à toute polémique de la même voix
inimitable, étrangement grave, un peu suisse, semée de blancs dans le discours
avec un rien d’insolence pince-sans-rire.
Nous traitons par ailleurs de son œuvre entier, fait
de films phares et, à un moment donné, d’interventions d’agit-prop gauchistes.
Rien à jeter, il faut tout prendre chez un artiste de cette trempe qui a su
filmer avec une telle intensité les affres de l’amour et les vertiges
politiques de la société de son temps. La Suisse n’est pas que le pays des
coucous et du chocolat au lait. Elle produit, de temps en temps, un Marat et un
Godard. À l’ère du streaming et des blockbusters, l’effacement du génie
subversif de Godard nous signale que le septième art du XXe siècle a
définitivement mis la clé sous la porte.
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