Embarqué par Solidarités International pour un
documentaire, Roschdy Zem a rencontré les habitants d’un camp rom à Nantes et
d’un squat de migrants à Aubervilliers. Le verbe précis, l’acteur, né dans le
bidonville de Nanterre, pointe le « choix cynique de maintenir ces gens dans la misère ». Il évoque avec pudeur son parcours, et son goût pour un cinéma ancré dans le réel.
Depuis quatre ans, l’association humanitaire
Solidarités International, née en 1980, emmène sur le terrain des
personnalités, dans le cadre de la série documentaire « De vos
propres yeux » (disponible sur devospropresyeux.org). Après le Nigeria, Haïti ou le Soudan
du Sud, c’est en France, dans des bidonvilles de l’agglomération de
Nantes et un squat à
Aubervilliers, que l’ONG a convié l’acteur Roschdy Zem pour ce 6e épisode. « L’Humanité magazine » l’a rencontré pour l’occasion.
Pourquoi avoir accepté la proposition de Solidarités
International ?
Parce que sa cause est importante. Savoir que des
gens, en France, vivent dans un dénuement total, privés de choses aussi
essentielles que l’accès à l’eau, je trouve ça révoltant. Je suis aussi de
nature curieuse, c’était donc naturel pour moi d’aller sur le terrain, pour
apprécier les situations, et surtout discuter avec les gens, qu’ils soient
issus de la communauté rom ou de jeunes exilés venus d’Afrique.
Qu’avez-vous retenu de ces visites ?
J’ai appris beaucoup de choses. D’abord que l’accès à
l’eau n’est pas une évidence pour tous. On a tendance à l’oublier quand il est
si facile, pour la plupart d’entre nous, d’ouvrir un robinet. On se demande
comment cela se passerait pour ces populations, si ces associations
n’existaient pas… Ces familles, ces jeunes, il faut bien leur offrir un minimum
de dignité. Certains sont arrivés parfaitement légalement, beaucoup travaillent
et vont vivre ici pendant des années, on ne peut pas simplement détourner le
regard ! Empêcher des enfants d’aller à l’école, tout faire pour rendre invisibles ces populations est un
choix très cynique de la part des pouvoirs publics. Parce que ça les condamne
et les maintient dans la misère.
Lors de la projection du documentaire, à Paris, vous
avez rappelé combien chaque trajectoire était singulière…
Oui, or on a souvent tendance à « essentialiser » les Roms ou
les migrants. À penser que chaque communauté est uniforme ; qu’à l’intérieur, les
gens sont interchangeables. C’est faux.
Derrière chaque parcours il y a une histoire, des douleurs,
des émotions différentes. Il faut les rencontrer pour comprendre ça et se
rendre compte que leurs revendications sont légitimes. Des revendications
qu’ils portent par ailleurs avec sagesse, douceur, jamais dans la violence ou
la haine. Ça, ça me bouleverse. Comme l’histoire de Patrice, cet éleveur de
moutons burkinabé, qui a été kidnappé par un groupe terroriste dans son pays et
s’est retrouvé projeté dans l’exil contre son gré. Lui a réussi à s’échapper,
mais d’autres sont probablement toujours entre les mains de ce groupe. Son
histoire rappelle la force incroyable qu’il faut à ces jeunes gens pour
franchir les obstacles qui se dressent devant eux. Cela explique aussi leur
sagesse : malgré les conditions terribles qui leur sont faites ici,
ils ont connu tellement pire avant qu’ils s’en accommodent. Reste que la France
ne fait pas assez pour eux, ne leur offre pas le minimum d’humanité. Peut-être
parce que ce sont des gens discrets, qui ne mettent pas le feu à l’Arc de
triomphe… Ils souffrent en silence.
Ces trajectoires vous touchent également sans doute
parce que vos parents, venus du Maroc, ont eux aussi connu la misère et les
bidonvilles…
Bien sûr. Quand je raconte cette histoire familiale à
mes enfants, j’ai l’impression de leur transmettre des images d’un passé
lointain, révolu. Mais c’est une erreur. Malheureusement, l’histoire se
perpétue, avec d’autres communautés, différemment, mais dans des conditions
tout aussi précaires. Mes parents parlaient peu de cette période, ils étaient
très pudiques là-dessus. En 1998, j’ai joué dans le film « Vivre au
paradis », de Bourlem
Guerdjou, qui se passait justement dans le bidonville de Nanterre. Mes parents étaient en vie à l’époque et, malgré tout, ils étaient
réticents à partager des choses sur ce moment douloureux. Ils en avaient honte,
ne comprenaient pas pourquoi on voulait remuer ces « mauvais
souvenirs ».
DERRIÈRE CHAQUE PARCOURS IL Y A UNE HISTOIRE, DES DOULEURS, DES ÉMOTIONS
DIFFÉRENTES. IL FAUT LES RENCONTRER POUR COMPRENDRE ÇA.
Vous êtes né à Gennevilliers, vous avez grandi à
Drancy. Vous considérez-vous comme un enfant des quartiers populaires ?
Oui, c’est là où j’ai passé toute mon enfance. C’est
mon milieu naturel, je l’assume. Ensuite, c’est bien aussi d’en sortir. Comme
enfant, je n’y ai que des bons souvenirs. Mais ces quartiers peuvent aussi être
durs à vivre parfois. L’accès à l’emploi, au savoir, à la culture y est
souvent plus difficile qu’ailleurs. Plus difficile qu’à Paris en tout cas. Ce
sont deux mondes très proches géographiquement, mais tellement différents.
Votre prochain film comme réalisateur, « les Miens », dont la
sortie est annoncée en novembre 2022, s’inspire aussi de votre histoire
familiale…
C’est vrai. Je me suis inspiré d’un accident qui est
arrivé à l’un de mes proches pour tisser autour une chronique familiale. C’est
un film très personnel, où il est beaucoup question de frères et de sœurs.
Rachid Bouchareb y joue mon frère aîné, et Sami Bouajila, mon petit frère. Les
« Indigènes » seront là !
Justement, on observe une grande fidélité dans votre
parcours, avec des cinéastes comme Laetitia Masson, André Téchiné, Xavier
Beauvois, Pierre Jolivet ou Rachid Bouchareb… C’est important, la fidélité,
dans ce métier ?
La fidélité, elle est surtout créée par le metteur en
scène. C’est lui qui la déclenche et l’entretient. Pour l’acteur, c’est une
forme de récompense. Ça veut dire : « J’ai été heureux de
travailler avec toi, je veux que ça recommence. » C’est flatteur
et grisant à la fois. Au bout de plusieurs années, on se rend compte qu’une famille s’est
construite. Les noms que vous avez cités forment ma famille de cinéma.
Plus jeune, vous vous étiez fixé une règle : ne jamais
solliciter un metteur en scène, au motif
que c’est son désir à lui qui doit primer. Vous êtes revenu de ça ?
Non, toujours pas. Je ne sais pas si j’ai raison, mais
je fonctionne comme ça. Bien sûr, il y a beaucoup de metteurs en scène avec
lesquels j’aimerais travailler. Mais, au fil des ans, je me suis aussi rendu
compte que les plus belles aventures se sont faites avec des gens auxquels je
n’avais pas pensé au départ. Et le projet compte aussi beaucoup. Quand Arnaud Desplechin
me propose le rôle du commissaire Daoud, dans « Roubaix, une lumière » (2019), je
suis heureux parce que c’est
Desplechin, mais aussi parce que le personnage est très fort et charismatique. Il faut la combinaison des
deux.
Combinaison gagnante en l’occurrence, car ce rôle vous
a valu le césar du meilleur acteur. Cette reconnaissance est-elle importante
pour vous ?
C’est important quand ça arrive, mais ce n’est pas un
drame quand ça n’arrive pas. J’ai passé trente ans sans césar et, honnêtement,
je ne m’en portais pas plus mal. Mais quand on vous désigne, on est ravi bien
sûr.
LES PLUS BELLES AVENTURES SE SONT FAITES AVEC DES GENS
AUXQUELS JE N’AVAIS PAS PENSÉ AU DÉPART.
Votre filmographie témoigne aussi d’un intérêt
prononcé pour le cinéma social, engagé, ancré dans le réel. Le résultat d’un
choix assumé de votre part ?
Ah oui, ce sont mes choix ! Quand j’ai commencé ce métier, peu de gens pensaient que j’allais pouvoir « faire carrière », comme on
dit. Ou alors avec des rôles très stéréotypés. À l’époque, je pensais juste faire une petite
incursion dans le cinéma. Et devoir trouver un travail après. À la fin des
années 1980, le cinéma français n’était pas franchement curieux, de la population,
de ce qui se passait autour de lui. Comme spectateur, je voyais des films, mais
aucun avec des rôles qui auraient pu me correspondre. Téchiné, Beauvois,
Chéreau (liste non exhaustive) sont parvenus à changer tout ça, et à
offrir autre chose que des stéréotypes à des comédiens comme moi.
Quand vous regardez en arrière votre parcours, quel a
été le moment-clé ?
Plus qu’un film, pour moi, le plus important, c’est la
longévité. Quand on est toujours là au bout de dix, vingt, trente ans, ça veut
dire qu’effectivement on fait partie de la famille du cinéma. Les rôles sont de
plus en plus importants, souvent plus audacieux aussi. Une espèce de confiance
naturelle s’installe. Évidemment, dans ce processus, il y a des étapes et des
films-clés. « Indigènes » (2006, qui vaudra aux cinq comédiens principaux un prix d’interprétation collectif à Cannes – NDLR) en fait sans doute partie.
Vous officiez devant et derrière la caméra. En 2011,
vous aviez porté à l’écran l’histoire d’Omar Raddad, dans « Omar m’a tuer ». Pourquoi ?
En réalité, c’est un projet qu’on m’a d’abord proposé
comme acteur. Mais j’ai tout de suite pensé qu’il y avait une erreur de
casting. Que le rôle n’était pas pour moi, qu’il fallait quelqu’un qui joue
mieux que moi la vulnérabilité. J’ai pensé à Sami Bouajila. J’ai demandé au
producteur, Rachid Bouchareb, de me confier la réalisation. Et il a accepté.
À la rentrée, on vous verra dans « les Enfants
des autres », le nouveau film de Rebecca Zlotowski, qui vous avait dirigé dans la série « les Sauvages » (2019).
Vous incarniez alors le président de la
République Idder Chaouch. Vous n’êtes plus président, cette fois ?
Non, c’est un film plus intimiste sur un sujet peu ou
pas traité : la place des femmes qui n’ont pas d’enfant à 40 ans, la possibilité d’être une femme accomplie sans passer par la maternité, le regard de la société sur ce choix-là. C’est un sujet très personnel, et Rebecca livre pour moi
son film le plus abouti. Elle est encore plus dans la chair qu’avec ses
précédents films, et ça m’émeut beaucoup.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire