La température de la Méditerranée a atteint, cet été,
les 30 degrés, soit 6 de plus que la moyenne. De quoi menacer la
biodiversité et provoquer davantage d’épisodes climatiques extrêmes.
Atteignant jusqu’à 30 degrés ces dernières
semaines, la mer Méditerranée prend lentement les traits d’un bain chaud. Ce
qui pourrait être plaisant et exotique pour les vacanciers est pourtant
comparable à un incendie sous-marin pour la biodiversité. Depuis le mois de
mai, la mer présente des anomalies thermiques record de l’est des Baléares
jusqu’à l’est de la Corse : elle est celle qui se réchauffe le plus vite. Le Mercator Ocean International,
centre européen de référence en océanographie opérationnelle, cartographiait,
le 24 juillet dernier, des valeurs de 4 à 5 degrés supérieures aux
normales de saison des vingt dernières années. Au large de Marseille, le
19 juillet, un différentiel de 6,5 degrés a même été recensé. « Malheureusement, il n’y a même pas besoin d’atteindre des températures caniculaires pour qu’il y ait des conséquences dramatiques pour la biodiversité », affirme Thierry Perez, directeur de recherche à l’Institut
méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (Imbe). Le chercheur
préfère le terme d’ « anomalie thermique » : « Ces épisodes ne sont pas que des masses d’eau très chaude en surface, cela peut aussi être modérément chaud et atteindre des
couches océaniques plus profondes. Et là, c’est tout un écosystème qui est affecté par
des températures qu’il n’a jamais connues. »
La faune aquatique en sursis
Les animaux « fixés » – comme les coraux, gorgones ou éponges –, incapables de migrer, subissent de plein fouet ces anomalies de
température. Pour Thierry Perez, les premières recherches à ce sujet recensent
une « mortalité massive de ces espèces qui constituent pourtant l’essentiel des paysages sous-marins ». Dans les régions
tropicales, le stress thermique cause un blanchissement des coraux rendant
l’animal plus vulnérable, notamment aux nouveaux pathogènes proliférant dans
les eaux plus chaudes. En octobre 2021, le Réseau mondial de surveillance des
récifs coralliens affirmait que le réchauffement des océans avait déjà provoqué
la disparition de 14 % des coraux en dix ans. Et, d’après le dernier
rapport du Giec, un réchauffement
de 2 degrés
engendrerait la disparition de 99 % des coraux (lire page 4). Une catastrophe, puisque ces animaux invertébrés abritent
un quart de la vie marine de notre planète.
Plus encore, les canicules permettent à des espèces
exotiques de proliférer vers de nouvelles zones. Thierry Perez précise : « Ce n’est pas une tropicalisation de la Méditerranée, comme on peut le lire, mais une méridionalisation. Des espèces du sud et de l’est de la Méditerranée
progressent vers les parties septentrionales. » Entrées par le canal de Suez et poussées par le réchauffement des
eaux, près de mille espèces exotiques auraient migré au nord de la
Méditerranée. Les barracudas, sardinelles ou coryphènes sont dorénavant monnaie
courante dans les pêcheries régionales. Une prolifération qui pourrait
perturber les écosystèmes autochtones, en introduisant des pathogènes toxiques,
ou encore en bouleversant la chaîne alimentaire d’autres prédateurs. Thierry
Perez reste toutefois prudent : « Nous n’avons pas encore d’exemple de remplacement d’espèce endémique. » Mais le chercheur s’alarme surtout de
l’homogénéisation créée par ce phénomène : « Les côtes méditerranéennes ressembleront aux côtes libanaises ou grecques. Cette perte de
diversité entraîne une baisse de la capacité d’adaptation face aux changements
climatiques. »
Une menace pour les forêts sous-marines
La flore méditerranéenne, comme les posidonies, des
espèces d’herbes sous-marines, pourraient aussi souffrir de ces anomalies
thermiques. Poumons de l’océan, ces végétaux constituent un puits de carbone
naturel formidable. Selon un rapport du WWF, leurs champs stockeraient
entre « 11 et 42 % des émissions de CO2 totales
des pays méditerranéens depuis la révolution industrielle ». Plus encore, ces forêts
marines représentent une immense nurserie. Thierry Perez l’affirme : « La disparition de ces espèces aurait des conséquences dramatiques pour l’ensemble de l’écosystème marin. » Mais, pour le chercheur, l’impact des canicules
sur ces espèces n’est pas encore clair. Les scientifiques s’accordent surtout à
dire que c’est moins la hausse des températures qui mettrait l’espèce en péril
que les conséquences indirectes de celle-ci, comme la prolifération d’espèces
herbivores voraces. « Le réchauffement favorise leur progression vers l’ouest et le nord de la Méditerranée. Dans notre région, elles menaceront sérieusement de surpâturage les herbiers de posidonie », alarme un rapport du Grec-Sud (Groupe régional
d’experts sur le climat en région Sud) à propos des poissons-lapins. La
disparition des posidonies achèverait de tracer un cercle vicieux. Formant un
rempart naturel efficace contre les événements climatiques, leurs racines
retiennent le sable en cas de tempête, et leurs feuilles mortes à l’automne
protègent les côtes de l’érosion. Leur dégradation nous rendrait davantage
vulnérables aux événements climatiques extrêmes qu’intensifient d’autre part
ces canicules marines.
Ouragans méditerranéens à l’horizon
« En septembre, l’eau est encore chaude car elle a accueilli beaucoup d’énergie pendant l’été, tandis que l’atmosphère se refroidit », développe Caroline Muller, chercheuse du CNRS au laboratoire de
météorologie dynamique : « La rencontre entre les masses d’air chaud en surface
qui remontent vers les masses d’air froid en altitude est propice à la
formation de tempêtes. » Ces épisodes méditerranéens se produisent chaque
année mais, selon la chercheuse, une mer particulièrement chaude pourrait créer
des événements davantage instables et « violents ». Précipitations importantes, orages, mais aussi « médicanes » pourraient être alimentés par ces
chaleurs maritimes. Contraction de « mediterranean hurricane » (« ouragan méditerranéen »), ces phénomènes
semblables à des cyclones tropicaux sont rares, mais leur
formation pourrait être corrélée aux canicules marines. Entre risques
d’inondation et glissements de terrain, les conséquences de ces épisodes
climatiques extrêmes sont nombreuses et dévastatrices, en particulier pour les
côtes. Le dernier médicane en date a notamment provoqué des inondations en
Tunisie, Algérie, et au sud de l’Italie.
Caroline Muller reste toutefois prudente sur les
tendances comprenant d’autres données difficilement prévisibles. Pour la
chercheuse, une grande question demeure : « On sait que l’océan a absorbé 93 % du surplus d’énergie produit par les émissions à la surface terrestre. Il se réchauffe et les impacts seront de long terme. La plus grande incertitude est
de savoir combien on va continuer d’émettre, mais aussi, combien on va encore pouvoir absorber. » Ce qui est certain, en revanche, c’est que l’avenir de l’humanité est
intimement lié à la bonne santé des mers et océans.
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