Stade de France L’UEFA, le gouvernement et la
préfecture accusent les supporters anglais d’être à l’origine du chaos de
samedi, lors de la finale de la Ligue des champions. La presse internationale
tacle l’incapacité des autorités françaises à assurer la sécurité d’un tel
événement.
Ce samedi soir, il est déjà quasiment 21 h 30 quand la
chanteuse cubano-américaine
Camila Cabello ouvre le spectacle de la finale de la Ligue des champions
Liverpool-Real Madrid sur la pelouse du Stade de France, entourée de plusieurs dizaines de danseurs dans une débauche
de froufrous colorés. Une grosse demi-heure de retard et une réalité beaucoup
moins festive pour les milliers de supporters, essentiellement anglais, qui –
hors-champ des caméras de l’UEFA – essaient tant bien que mal d’accéder aux
tribunes au milieu des gaz lacrymogènes, tandis que d’autres profitent du chaos
pour escalader les grilles. Bloqués pendant plusieurs heures dans un goulot
d’étranglement causé par un préfiltrage policier et un nombre très réduit de
files d’accès et de stadiers scannant les billets, les supporters dénoncent un
fiasco organisationnel et pointent la responsabilité des autorités françaises
et de l’UEFA. Mais les acteurs principaux de la sécurité publique bottent en
touche, et rejettent la faute sur les spectateurs britanniques.
1. L’alibi facile des faux billets
« Avant le match, les tourniquets donnant accès à la tribune des supporters de Liverpool ont été bloqués par des milliers de fans ayant acheté de faux billets, lesquels ne pouvaient pas activer les tourniquets », affirme l’UEFA, qui a
annoncé l’ouverture d’une enquête. Du côté de la préfecture de police comme du
gouvernement, on pointe aussi la responsabilité de ces fameux supporters sans
billets valables, mais aussi de l’UEFA pour sa décision d’autoriser des billets
en papier, plus facilement falsifiables que des tickets électroniques, et du
club de Liverpool, accusé d’avoir laissé ses supporters « dans la nature », a
affirmé la ministre des sports Amélie Oudéa-Castéra. « On avait bien identifié cette problématique en disant aux supporters sans billets de rester dans
la fan -zone pour pouvoir
profiter du match dans de bonnes conditions. Certains ont tenté de rejoindre le
Stade de France et ce sont notamment ces supporters qui ont créé des
débordements, des mouvements de foule, en faisant pression à l’entrée sur le
premier barrage et en exerçant une pression sur des supporters qui,
eux, avaient des billets », a
soutenu la porte-parole de la préfecture de police de Paris, Loubna Atta, sur
BFMTV, faisant état de 105 interpellations.
Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin n’a pas
hésité, hier, à pointer une « fraude massive, industrielle et organisée », son
homologue des Sports avançant de son côté un chiffre de 30 000 à 40 000 billets contrefaits. Soit quasiment la moitié de la capacité totale du Stade de France. Un chiffre qui semble assez invraisemblable
pour certains observateurs. « On aurait dû voir repartir dans l’autre sens l’équivalent de la moitié du stade, ce que personne n’a constaté sur place », a
taclé sur BFMTV Pierre Barthélemy, avocat de plusieurs groupes de supporters
français, présent au match ce samedi-là. « Ces chiffres qui ne sont pas sourcés sont devenus un prétexte de communication politique », ajoute-t-il.
2. Le dispositif policier en question
Une manière opportune pour les autorités de se
dédouaner de leurs responsabilités, alors que plusieurs témoignages pointent le
rôle de la préfecture. « Je pense que, de la part de la préfecture de police, il y avait un dispositif qui était prévu pour faire face à des hooligans anglais, or il n’y a pas eu de hooliganisme », a de
son côté analysé Stéphane Peu, député de Seine-Saint-Denis, qui souligne que,
lors de l’Euro 2016, « il y avait deux-trois filtrages avant d’arriver au stade », rendant impossible un accès au stade sans
billets valables.
Plusieurs observateurs présents sur place samedi soir
ont fait part de leur incompréhension face au choix fait par la police de ne
pas avoir redirigé les milliers de spectateurs anglais arrivés par le RER D –
faute de RER B, en grève – vers une autre entrée du stade, afin de fluidifier
les arrivées. Face à la pression, les forces de police ont fini par faire
sauter ce premier filtrage pour éviter des phénomènes d’écrasement. Incapable
de faire face aux quelques dizaines de personnes qui ont tenté de s’infiltrer
irrégulièrement en escaladant les grilles, la police en est venue à arroser
très largement la foule de gaz lacrymogène. Une pratique malheureusement
constatée de nombreuses fois par le passé, notamment dans le cadre de
manifestations.
3. Un maintien de l’ordre déjà condamné
La question des violences policières secoue le pays
depuis quelques années. Elle a d’ailleurs valu à la France plusieurs
remontrances au niveau international. En dehors de quelques condamnations par
la Cour européenne des droits de l’homme (Cedh) concernant des cas spécifiques,
la remise en cause la plus spectaculaire est venue des Nations unies. En 2019,
en pleine répression contre les gilets jaunes, l’organisation internationale,
citant le groupe d’experts sur les droits de l’homme, avait critiqué « le nombre élevé d’interpellations et de gardes à vue, des fouilles et
confiscations de matériel de manifestants, ainsi que des blessures graves
causées par un usage disproportionné d’armes dites “non létales” ». L’ONU avait alors
estimé que « les autorités devraient repenser leur politique en matière de maintien de l’ordre pour
garantir l’exercice des libertés ». La
même année, le Parlement européen, pourtant majoritairement à droite, avait lui
aussi dénoncé (438 voix pour, 78 contre et 87 abstentions) « le recours à des interventions violentes et
disproportionnées de la part des autorités publiques lors de protestations et
de manifestations pacifiques ».
4. L’incompétence de la France épinglée
Hors de nos frontières, la gestion chaotique de ce
match a écorné l’image du pays. Depuis samedi, les images de supporters munis
de billets mais gazés en pleine figure après des heures d’attente, de familles
coincées derrière des grilles au milieu des gaz lacrymogènes font le tour des
réseaux sociaux. Des prises de vues étayées par les récits des correspondants
étrangers, dont certains ont raconté avoir été contraints de supprimer des
images par la police française. « Soirée malheureusement gâchée par des problèmes de sécurité hors du stade dont on parlera pendant longtemps », a estimé celui de CNN.
En Grande-Bretagne, surtout, la colère ne retombe pas. Les témoignages continuent
d’affluer dans la presse relatant la présence d’enfants, de personnes porteuses
de handicap, voire d’invités officiels comme le frère d’un des défenseurs de
Liverpool, parmi la foule gazée par la police française. « L’organisation était inexistante, c’était choquant », a ainsi confié au Daily Telegraph, Ted
Morris, le président de l’association des supporters handicapés de la ville.
Âgé de 67 ans, Alan Kennedy, star du club britannique, a lui dû être
exfiltré par-dessus une barrière par des fans. Le manque de professionnalisme
est même attesté par un représentant de la police locale en mission sur place.
Il a dit avoir assisté « au pire match européen sur lequel (il a) jamais travaillé » alors que « le comportement des fans au tourniquet était exemplaire, malgré des circonstances choquantes ».
La façon dont les autorités françaises et l’UEFA
imputent désormais la responsabilité de la violence aux seuls supporters de
Liverpool ne fait qu’aviver ce dégoût outre-Manche. « Un récit fait de mensonges s’est mis en marche », a dénoncé sur Sky Sports News, Ian Byrne, le député travailliste de la
ville. Dès samedi, il avait twitté : « Je viens juste de vivre une des pires expériences de
ma vie. Organisation de la sécurité honteuse et mettant des vies en danger. » « Honteux de faire porter la faute aux fans », a de son côté lancé la maire
travailliste, Joanne Anderson. Tous réclament désormais une enquête. En
attendant, l’épisode aura aussi fait planer de sérieux doutes quant à la
capacité de la France à organiser des grandes compétitions sportives
internationales. « Un chaos inexplicable à un an et demi des jeux Olympiques de Paris 2024 », a pointé le quotidien
espagnol El Mundo. En Suisse, le journal de référence le
Temps s’est, lui, aussi interrogé sur un « dispositif sécuritaire » qui « devait servir de test » pour la Coupe du monde de rugby et les JO. Un test pas
vraiment concluant…