samedi 19 février 2022

À qui profite la crise en Ukraine

 


Les forces armées ukrainiennes et lesaine? républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk s'accusent mutuellement de violations graves du cessez-le-feu dans l'est de l'Ukraine. Ces dernières ont proclamé une "mobilisation générale". Pour les dirigeants américains, britanniques et d’Europe de l’Est qui prophétisent une invasion imminente par la Russie cela signifie que la guerre a commencé.

En février, un cycle diplomatique a débuté, le plus important depuis le début de la crise ukrainienne. Plusieurs acteurs notamment européens – Berlin, Paris, Moscou, Kiev – ont tenu des rencontres directes entre chefs d’État, ou multilatérales via l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et le format de Normandie pour favoriser une désescalade. De Poutine à Macron, la volonté d’un compromis semble partagée. C’est durant cette période que le président des États-Unis a choisi de réitérer son discours alarmiste. Sur NBC, le 11 février, Joe Biden pressait les «citoyens américains (à) partir immédiatement» car la situation pourrait «dégénérer rapidement».

1/-Des États-Unis alarmistes

Depuis le mois de décembre, l’administration ne cesse d’évoquer une opération militaire russe imminente. Le président des États-Unis le clamait déjà le 19 janvier, affirmant que son homologue russe allait ordonner une invasion. En pleine rencontre à Genève, le 21 janvier, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a demandé à son homologue russe, Sergueï Lavrov, la preuve que la Russie n’avait pas l’intention d’«envahir l’Ukraine». Le 26 janvier, c’était au tour de la vice-secrétaire d’État, Wendy Sherman, d’estimer que la Russie allait «faire usage de la force militaire à un moment donné, peut-être entre maintenant et mi-février». Même tonalité, dans une note publiée le 13 janvier par le cercle de réflexion américain CSIS intitulée «La possible invasion russe de lUkraine». Les auteurs affirment que «le Kremlin doit évaluer la possibilité de saisir le territoire ukrainien jusqu’à l’ouest en s’appropriant la partie sud du fleuve Dnepr, qui traverse Kiev, et poursuivre sa course en direction de la mer Noire, jusqu’au sud de la Moldavie». Pour Vincent Pons, professeur à la Harvard Business School, «si Biden hausse tellement le ton sur la crise ukrainienne, cest en partie pour faire oublier ses impasses domestiques». Cette crise lui permet également de reprendre son rôle de fédérateur du camp occidental.

2/-Moscou change de stratégie

Depuis avril 2021, les Russes ont déployé autour de 100000 militaires à la frontière ukrainienne. «Moscou entend maintenir une posture élevée et crédible aux yeux des Occidentaux et des Ukrainiens», rappelait dans «lHumanité» Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe. Pression maintenue avec les manœuvres militaires de 30000 hommes en Biélorussie dune dizaine de jours et censées sachever le 20 février. Un changement stratégique de Moscou, excédé par l’élargissement continu de l’Otan depuis la chute de l’URSS malgré les garanties de non-extension. Après plusieurs refus de discuter de l’architecture de la sécurité en Europe, le Kremlin a décidé de forcer des pourparlers bilatéraux avec les États-Unis. Cette stratégie de la tension a été clairement présentée par le président russe en 2018 et a partiellement réussi. Des sommets bilatéraux se sont succédé notamment entre les présidents russe et états-unien en juin à Genève et les deux administrations le 10 janvier. Si les États-Unis ont rejeté les demandes clés de Moscou, dévoilées le 17 décembre (fin de la politique d’élargissement, déploiement de missiles et réduction de l’infrastructure militaire de l’Otan), ces rencontres constituent un tournant.

3/-Un axe Pékin-Moscou

Cette grave crise dans les relations russo-occidentales a confirmé un rapprochement de la Russie avec son voisin chinois. Les boycotts diplomatiques et les critiques occidentales contre la Chine ont renforcé l’axe Pékin-Moscou, qui conteste la domination occidentale en Europe et en Asie-Pacifique. En marge de l’ouverture des JO de Pékin le 4 février, Vladimir Poutine et Xi Jinping se sont entretenus et ont publié un texte commun réaffirmant «la nécessité de lexistence dun monde multipolaire» et de garanties juridiques à propos de l’Otan. C’est la première fois depuis trente ans que la Chine intervient dans les affaires européennes. «Pékin affirme aujourdhui que lOtan ne doit plus s’étendre, car elle menacerait les intérêts russes et chinois. Cest un élément nouveau dans la diplomatie chinoise, qui a tendance à ne pas s’ingérer à l’international», analyse Lukas Aubin, chercheur associé à lInstitut de relations internationales et stratégiques (Iris).

4/-Un duo franco-allemand

Ces dernières semaines, Paris et Berlin ont repris l’initiative. En s’alignant sur les États-Unis, les deux puissances européennes avaient poussé la Russie à traiter directement avec Washington. Vladimir Poutine avait encore averti lundi 7 février que les pays européens seraient automatiquement entraînés dans une guerre avec la Russie dans laquelle «il ny aura pas de vainqueur» si lUkraine rejoignait lOtan et tentait ensuite de reprendre la péninsule de Crimée. Pour ne plus laisser lEurope en dehors des négociations, le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président Emmanuel Macron ont multiplié les rendez-vous diplomatiques à Moscou, Kiev, Washington et Berlin. «Lobjectif est atteint», a résumé l’Élysée, en affirmant quil sagissait d’«envisager les moyens de la désescalade». Même discours serein du chancelier: «Il y a désormais des discussions bilatérales entre les États-Unis et la Russie, il y a le format de discussion Otan-Russie () il y a aussi des discussions sur lOSCE, qui est à nouveau une plateforme d’échange sur la sécurité en Europe.»

Vers un compromis?

Pour la première fois, les Russes et les Occidentaux ont pu échanger sur les questions de sécurité européenne. Mais le format de Normandie (Allemagne, France, Russie, Ukraine) du 10 février à Berlin a échoué. Côté russe, on déplore qu’aucune pression ne soit mise sur les autorités ukrainiennes pour faire respecter les accords de Minsk de 2015. Il s’agit d’un point incontournable pour Moscou afin d’aller vers un compromis plus global avec les Occidentaux. «Poutine sen tient à ses positions mais je nai pas limpression quil soit dhumeur à une escalade», a confirmé Andreï Kortunov, chef du Conseil russe des affaires internationales. Du côté de Washington, les discussions pourraient porter sur le non-déploiement de missiles et de forces de combat en Ukraine et un «mécanisme de transparence». Kortunov juge que ce dialogue sur le contrôle des armements pourrait être dans lintérêt de Poutine, si les contours de ce nouvel accord saccompagnent d’un règlement du conflit au Donbass et de nouveaux arrangements de sécurité en Europe.

 

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