En février, un cycle diplomatique a débuté, le plus important depuis le début de la crise ukrainienne. Plusieurs acteurs notamment européens – Berlin, Paris, Moscou, Kiev – ont tenu des rencontres directes entre chefs d’État, ou multilatérales via l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et le format de Normandie pour favoriser une désescalade. De Poutine à Macron, la volonté d’un compromis semble partagée. C’est durant cette période que le président des États-Unis a choisi de réitérer son discours alarmiste. Sur NBC, le 11 février, Joe Biden pressait les « citoyens américains (à) partir immédiatement » car la situation pourrait « dégénérer rapidement ».
1/-Des États-Unis alarmistes
Depuis le mois de décembre, l’administration ne cesse
d’évoquer une opération militaire russe imminente. Le président des États-Unis
le clamait déjà le 19 janvier, affirmant que son homologue russe allait
ordonner une invasion. En pleine rencontre à Genève, le 21 janvier, le
chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a demandé à son homologue
russe, Sergueï Lavrov, la preuve que la Russie n’avait pas l’intention d’« envahir
l’Ukraine ». Le 26 janvier, c’était au tour de
la vice-secrétaire d’État, Wendy Sherman, d’estimer que la Russie allait « faire usage
de la force militaire à un moment
donné, peut-être entre maintenant et mi-février ». Même tonalité, dans une note publiée le 13 janvier par le cercle de réflexion américain CSIS intitulée « La possible
invasion russe de l’Ukraine ». Les auteurs affirment que « le Kremlin
doit évaluer la possibilité de saisir le territoire
ukrainien jusqu’à l’ouest en s’appropriant la partie sud du fleuve Dnepr, qui
traverse Kiev, et poursuivre sa course en direction de la mer Noire, jusqu’au
sud de la Moldavie ». Pour Vincent Pons, professeur à la Harvard Business School, « si Biden
hausse tellement le ton sur la crise ukrainienne, c’est en partie pour faire oublier ses impasses
domestiques ». Cette crise lui permet également de
reprendre son rôle de fédérateur du
camp occidental.
2/-Moscou change de stratégie
Depuis avril 2021, les Russes ont déployé autour de
100 000 militaires à la frontière ukrainienne. « Moscou entend maintenir une posture élevée et crédible aux yeux des Occidentaux et des Ukrainiens », rappelait
dans « l’Humanité » Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire
franco-russe. Pression maintenue avec les manœuvres militaires de 30 000 hommes en Biélorussie d’une dizaine de jours et censées s’achever le
20 février. Un
changement stratégique de
Moscou, excédé par l’élargissement continu de l’Otan depuis la chute de
l’URSS malgré les garanties de non-extension. Après plusieurs refus de discuter
de l’architecture de la sécurité en Europe, le Kremlin a décidé de forcer des
pourparlers bilatéraux avec les États-Unis. Cette stratégie de la tension a été
clairement présentée par le président russe en 2018 et a partiellement réussi.
Des sommets bilatéraux se sont succédé notamment entre les présidents russe et
états-unien en juin à Genève et les deux administrations le 10 janvier. Si
les États-Unis ont rejeté les demandes clés de Moscou, dévoilées le
17 décembre (fin de la politique d’élargissement, déploiement de missiles
et réduction de l’infrastructure militaire de l’Otan), ces rencontres
constituent un tournant.
3/-Un axe Pékin-Moscou
Cette grave crise dans les relations
russo-occidentales a confirmé un rapprochement de la Russie avec son voisin
chinois. Les boycotts diplomatiques et les critiques occidentales contre la
Chine ont renforcé l’axe Pékin-Moscou, qui conteste la domination occidentale
en Europe et en Asie-Pacifique. En marge de l’ouverture des JO de Pékin le
4 février, Vladimir Poutine et Xi Jinping se sont entretenus et ont publié
un texte commun réaffirmant « la nécessité de l’existence d’un monde multipolaire » et de garanties juridiques à propos de l’Otan. C’est
la première fois depuis trente ans que la Chine intervient dans les affaires
européennes. « Pékin affirme aujourd’hui que l’Otan ne doit plus s’étendre, car elle menacerait les intérêts russes et chinois. C’est un élément nouveau
dans la diplomatie chinoise, qui a tendance à ne pas s’ingérer à
l’international », analyse Lukas Aubin, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
4/-Un duo franco-allemand
Ces dernières semaines, Paris et Berlin ont repris
l’initiative. En s’alignant sur les États-Unis, les deux puissances européennes
avaient poussé la Russie à traiter directement avec Washington. Vladimir
Poutine avait encore averti lundi 7 février que les pays européens seraient
automatiquement entraînés dans une guerre avec la Russie dans laquelle « il n’y aura pas de vainqueur » si l’Ukraine
rejoignait l’Otan et tentait ensuite de reprendre la péninsule de Crimée. Pour ne plus laisser l’Europe en
dehors des négociations, le chancelier allemand, Olaf Scholz, et le président
Emmanuel Macron ont multiplié les rendez-vous diplomatiques à Moscou, Kiev,
Washington et Berlin. « L’objectif est
atteint », a résumé l’Élysée, en
affirmant qu’il s’agissait d’« envisager
les moyens de la désescalade ». Même discours
serein du chancelier : « Il y a désormais des discussions bilatérales entre les États-Unis et
la Russie, il y a le format de discussion Otan-Russie (…) il y a aussi des discussions sur l’OSCE, qui est à nouveau une plateforme d’échange sur la sécurité en Europe. »
Vers un compromis ?
Pour la première fois, les Russes et les Occidentaux
ont pu échanger sur les questions de sécurité européenne. Mais le format de
Normandie (Allemagne, France, Russie, Ukraine) du 10 février à Berlin a
échoué. Côté russe, on déplore qu’aucune pression ne soit mise sur les
autorités ukrainiennes pour faire respecter les accords de Minsk de 2015. Il
s’agit d’un point incontournable pour Moscou afin d’aller vers un compromis
plus global avec les Occidentaux. « Poutine s’en tient à ses positions mais je n’ai pas l’impression qu’il soit d’humeur à une escalade », a confirmé Andreï Kortunov, chef du Conseil russe des affaires
internationales. Du côté de Washington, les discussions pourraient porter sur
le non-déploiement de missiles et de forces de combat en Ukraine et un « mécanisme de transparence ». Kortunov juge que ce dialogue sur le contrôle des armements pourrait être dans l’intérêt de
Poutine, si les contours de ce nouvel accord s’accompagnent d’un règlement du conflit au Donbass et de nouveaux
arrangements de sécurité en Europe.
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