Non content d’avoir été condamné pour propos racistes, non content de
traiter les femmes comme des « sous êtres humains, après la réhabilitation
de la collaboration et de l’Algérie française, voici que M. Zemmour s’en
prend au capitaine Dreyfus dont il réfute l’innocence, pourtant clairement
établie, déjà par Zola et Jaurès, puis par le travail de générations
d’historiens. Méthodiquement, l’éditorialiste agitateur révise chacun des
événements historiques en réponse desquels s’est construite la droite
républicaine. La stratégie est clairement établie de réunir les droites par un
discours national-capitaliste, mais aussi par l’invention d’un récit historique
expurgé des graves errements de la grande bourgeoisie française, et pire, de
les revendiquer. Jusqu’à l’infamie d’accuser la Résistance communiste d’avoir
inauguré une « guerre civile » en engageant le combat contre les
nazis et à leurs supplétifs vichystes...
Tout ceci est pensé. L’affaire Dreyfus n’est pas le moindre de ces épisodes
qui auront déchiré le pays. Il aura également été l’un des moments fondateurs
du clivage entre la droite et la gauche, sur fond d’antisémitisme virulent.
Contester l’innocence du capitaine Dreyfus aujourd’hui, c’est remettre en selle
ceux qui la contestaient hier, ces penseurs et acteurs du « nationalisme
intégral » que furent les Maurras, Daudet ou Barrès, nommant le capitaine
Dreyfus « Judas » à longueur de colonnes, hurlant à
« l’anti-France », et excitant la veine nationaliste jusqu’aux
charniers de 14-18. Ces mêmes courants qui ont applaudi à la constitution des
fascismes en Europe.
L’hégémonie gaulliste sur la droite française pendant près d’un demi-siècle
aura eu tendance à faire oublier les racines profondes des forces conservatrices,
qui plongent dans le nationalisme le plus belliqueux, le racisme,
l’antisémitisme, et un corporatisme qui réunirait possesseurs du capital et
salariés dans « la magie » du travail exploité. Maurras et l’Action
française n’étaient pas des épiphénomènes mais, au contraire, des courants qui
ont structuré le discours et les pratiques de la droite jusqu’à la Libération.
Aux considérations stratégiques de cette attaque contre Dreyfus, s’ajoute
sans nul doute une considération tactique. Les origines juives de M. Zemmour
pourraient freiner l’adhésion à son entreprise politique des courants les plus
extrêmes, traditionalistes, cléricaux et antisémites de la droite. Qu’à cela ne
tienne ! Quel meilleur brevet d’acceptabilité leur offrir que de s’attaquer à
la figure honnie du « juif Dreyfus » ?
Ainsi, selon ses termes, Zemmour compte sceller l’alliance de « la
bourgeoisie patriote » des catégories supérieures et les masses
populaires. Cette alliance de classe a présidé au bonapartisme comme, dans un
contexte différent, au gaullisme. Elle a pour principale fonction d’ôter toute
autonomie d’action aux classes populaires chloroformées par les vapeurs
nationalistes et laissées à la merci du grand capital pour en devenir la
piétaille. Vieux rêve des classes possédantes et du capitalisme national
aujourd’hui à la manœuvre dans de nombreux pays, comme en témoigne le cas Trump
ou Bolsonaro au Brésil. La nouveauté, concernant la France, tient au point
d’équilibre de cette alliance, que M. Zemmour tente de faire tenir très à
droite, par la réconciliation de Maurras et de Gaulle, de l’OAS et du RPF, du
RPR et du FN, de Barrès et de Péguy. Y parviendra-t-il ? C’est aussi
l’affaire d’une droite qui se laisse voler son histoire récente.
Des courants conséquents sont tentés par le projet zemmourien, d’autres
l’ont déjà intégrée, comme en témoigne le vibrant accueil de l’ancien
journaliste du Figaro et de Cnews à l’université de rentrée du « Mouvement
conservateur », nouveau nom de « Sens commun », mouvement de
droite intégriste affilié aux « Républicains ». En témoigne également
le parcours de membres de son équipe de campagne qui, pour l’essentiel,
viennent de « LR » travaillent ou ont travaillé comme assistants
parlementaires ou collaborateurs de maires de droite. Se retrouvent enfin dans
ce cénacle des cadres importants des jeunes LR ou du syndicat UNI.
En voulant réunir les droites, Zemmour tente donc de ressusciter tout un
courant réactionnaire qui a structuré la vie politique française avant guerre,
et que les contradictions du gaullisme auront mis en sourdine. Une réaction qui
plonge aussi certaines de ses racines dans certains courants minoritaires du
mouvement ouvrier emprunts de proudhonisme et de corporatisme, qui auront fait
les « riches heures » de Vichy. Il n’y a dès lors rien d’étonnant à
ce que le proudhonien Onfray « n’exclut pas de voter Zemmour » selon
ses propres termes.
Ces courants ont pour point commun la détestation du marxisme et du
communisme et, partant, refusent de reconnaitre la lutte de classes comme force
motrice de l’histoire. Que des éditorialistes ou dirigeants politiques qui se
réclament du souverainisme « de gauche » refusent de porter la
revendication historique de la baisse du temps de travail, accusé de
dévaloriser la « valeur travail », en dit long sur les glissements à
l’œuvre et le refus d’affronter le capital dans toutes ses logiques. Cela dit
aussi la persistance, en France, d’un vieux courant corporatiste qui se
réinvente perpétuellement. Sans être, pour l’heure, allié à l’entreprise Zemmour,
il crée les conditions de son acceptation.
Un léger regard dans le rétroviseur permettra de voir combien le terrain a
été préparé ces dernières années : de la participations du personnage à de
multiples émissions de télévisions et de radio depuis vingt ans dans le rôle du
procureur et sans contradicteurs, à la table ouverte à des commentateurs de
droite extrême et aux dirigeants du parti d’extrême droite dans les télévisions
d’informations en continue, jusqu’au nauséabond débat de ces derniers mois
autour « du séparatisme » » de la « subversion
migratoire », de « l’islamogauchisme » de la « destruction
de la civilisation occidentale », du « délitement de la nation
française » ; les attaques contre l’UNEF ou encore cet entretien
accordé par le président de la République à « Valeurs Actuelles »… Le
terreau pour faire germer et grandir le monstre a été bien fécondé.
M. Zemmour fait ainsi la démonstration de son appartenance à un courant
philosophique et politique qui, plus d’une fois, a causé un tort considérable à
la nation française ; celui de la contre-révolution et des anti-Lumières qui a
prospéré à l’ombre de la bourgeoise industrielle, réfutant avec une admirable
constance la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen, la République
sociale, le Front populaire, le Conseil national de résistance, la
décolonisation, mai 68 et aujourd’hui toute forme de progrès social. Sa ligne
de mire est bien 1789 et les suites qui sut lui donner le mouvement ouvrier,
socialiste et communiste. C’est Goebbels qui avait résumé l’intérêt de ce point
de jonction entre les extrêmes droites et les droites traditionalistes en
affirmant que les nazis avaient « effacé 1789 de l’histoire ».
La mise sur orbite de ce
personnage est un défi lancé au courant progressiste dans ses multiples
expressions. Les forces du capital et leurs mandataires ont besoin de réactiver
cette « union-fusion » des droites pour éloigner toute perspective de
rupture avec l’ordre existant, alors que les contestations sociales, les
aspirations à défendre et améliorer les conquis sociaux du Conseil national de
la résistance sont puissantes. Dans le temps long de l’Histoire, c’est ce
courant et sa pointe avancée communiste qui est directement menacé. Cette
offensive appelle à faire revivre ce progressisme à la française, dans un
processus de dépassement du système capitaliste, et à construire patiemment son
hégémonie. Les forces militantes, syndicales et communistes ont un rôle
déterminant à y jouer. Car nul ne peut douter que le zemmourisme aurait la destinée
funèbre de ses ancêtres. Les classes populaires, d’où qu’elles viennent,
une nouvelle fois et comme toujours en paieraient chèrement le prix. L’ignorer
reviendrait à ne pas le combattre !
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