mercredi 1 septembre 2021

"La feuille de paie", l'éditorial de l'Humanité-Dimanche par Patrick Le Hyaric



De quel « retour de la croissance » parlent donc le gouvernement et les commentateurs économistes des grands médias bien en cour ? De la croissance des profits ou de celle des salaires ? Pour les premiers, c’est exact. L’accumulation de capitaux n’est pas ralentie par la pandémie, ni le versement de dividendes aux propriétaires des grandes entreprises. Le magazine « Challenges » a récemment montré que les 500 familles les plus fortunées et les plus puissantes de France ont doublé leur patrimoine depuis le début du mandat de M. Macron pour atteindre 1 000 milliards d’euros.

Tel est le résultat des décisions prises au cours des trois derniers quinquennats. Les conditions ont été créées pour que la rémunération du travail stagne au nom de l’abominable dogme capitaliste de la « baisse du coût du travail ». Pire, le revenu réel par ménage a diminué de 0,6 % au cours du premier trimestre de cette année. Durant la même période, le taux de marge des entreprises, qui permet de mesurer pour une large part la répartition entre la rémunération du capital et celle du travail, a bondi de 36 %. Et la pression nouvelle qu’exercera sur l’ensemble des travailleurs la contre-réforme de l’assurance-chômage, s’ajoutant aux lois et ordonnances de modification du droit du travail et au refus d’augmenter le salaire minimum, va encore amplifier ce phénomène anti-salariés et pro-capital.

Tout a été mis en place pour affaiblir le monde du travail au sein des entreprises. Même lorsque certains salariés ont pu toucher « une prime d’activité », c’est l’argent public qui a été mobilisé afin de ne pas détériorer le taux de marge des entreprises, qu’elles soient grandes ou petites. Le blocage du point d’indice des salariés des secteurs publics a des effets dévastateurs sur leur fiche de salaire. L’enjeu de l’augmentation des rémunérations du travail doit donc être remis avec force dans le débat public.

C’est d’autant plus indispensable que cette rentrée est marquée par de fortes hausses des produits de première nécessité, dont il faudrait sans attendre diminuer le taux de TVA. Le prix des carburants fait des bonds alors que le baril de pétrole reste moitié moins cher qu’en 2008. Les tarifs du gaz et de l’électricité flambent. Les coûts de la rentrée scolaire et universitaire sont à la hausse. Ces augmentations interviennent sous le quintuple effet des modifications climatiques, de la pandémie, de privatisations, de pertes de souveraineté industrielle et agricole et de recherche de profits les plus élevés possible. La concurrence justifiant les privatisations qui devaient permettre de diminuer les prix aboutit à l’inverse. Les profits du groupe Total comme de Shell sont au beau fixe. Les mauvaises récoltes de blé dur conduisent à l’augmentation des prix des pâtes et, demain, du pain. Les prix d’une multitude d’autres matières premières explosent. Nombre d’entre elles manquent, du papier au bois, au carton, au caoutchouc, ou certains matériaux de construction et des matières servant à fabriquer les circuits électroniques des voitures ou des batteries.

La destruction de nos propres capacités de production a aggravé notre dépendance aux importations et met déjà des usines automobiles à l’arrêt, provoquant du chômage partiel, donc des baisses sérieuses de rémunération, alors que la pression à la hausse de ces produits va s’intensifier. On pourrait connaître des situations similaires dans les secteurs de la construction et des travaux publics. Il y a bien urgence à repenser une nouvelle cohérence visant la réindustrialisation, la reconquête d’une agriculture paysanne, la réappropriation collective et sociale de pans entiers de l’économie et des services, et l’augmentation de la rémunération du travail et des pensions de retraite afin d’améliorer le pouvoir d’achat. Toute notre société en a un impérieux besoin, pour une nouvelle efficacité économique et écologique. Oui, l’enjeu de la feuille de paie doit faire l’objet de mobilisations nouvelles. La Fête de l’Humanité, dans moins de dix jours, résonnera de cette exigence.

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