Après vingt-deux ans
passés sur ce site de l’Aire des Vents, la Fête de va poser ses valises l’an
prochain dans l’Essonne. Retour sur deux décennies de souvenirs inoubliables…
Les images s’emmêlent. Le dernier déménagement de la Fête de l’Humanité, du
parc paysager Georges-Valbon à l’Aire des vents, se résumait à un changement de
palier, à quelques centaines de mètres. Alors, le défilé des modèles d’Yves
Saint Laurent sur la Grande Scène, le concert des Who ou celui de Patti Smith,
qu’importe l’enceinte, c’était La Courneuve. Au point même que des habitués
font référence à des années où les bottes collaient à la boue, comme si elle
n’était pas d’abord celle des chemins sous frondaisons, des pelouses qu’il
fallait bien refaire après l’événement, de l’autre côté, dans l’espace des
coureurs à pied.
Le plus grand événement culturel et politique au cœur de la banlieue.
Depuis 1999 donc, les stands et les scènes voisinaient l’aéroport du
Bourget avec sa fusée Ariane dressée telle une statue, ses halls d’exposition,
et les cités populaires de Dugny. Le fond et la forme… le plus grand événement
culturel et politique au cœur de la banlieue.
Le deuxième week-end de septembre, les parcours revenaient, familiers : la
gare RER du Bourget, la ligne 11 du tramway depuis quelques années, les
parkings militants, le camping et les sacs à dos d’une foule jeune, les fins de
concerts et, le long des rues, les files ininterrompues des participants
regagnant leurs pénates.
Une chronologie de l’histoire de France
En vingt-deux ans et 22 éditions – celle de 2020 fit exception,
Covid obligeant –, il s’en est passé des choses ! Comment n’y pas voir une
chronologie de l’histoire de France ?
Des ministres communistes, la mobilisation pour le non au référendum de
2005, la naissance du Front de gauche, les mobilisations contre la réforme des
retraites, la solidarité avec le peuple palestinien ou les Kurdes, l’inquiétude
pour la Grèce pressurée par la Commission européenne, le choc du
11 septembre 2001…
Arène passionnée et parfois grondante, comme ce jour de 2005 où Laurent
Fabius vit s’écraser sur son crâne un œuf dégoulinant ou, plus respectueux, le
débat musclé entre Jean-Paul Delevoye, commissaire en charge du projet de
réforme des retraites, et Philippe Martinez, dans une Agora bondée.
La culture y était souveraine
Au fil de ces deux grosses décennies, l’appétit d’échanges et de contradictions
même a grossi au point de devenir une marque de fabrique. De gauche, la Fête ?
Bien entendu, et un homme politique avait déclaré (avant de l’oublier) : « Quand
on est de gauche, on est à la Fête de l’Humanité. » Mais sillonnée de
mobilisations et d’engagements divers, de points de vue différents. De la
politique, des idées, du savoir comme s’il en pleuvait ! Une confluence. Plus,
un delta.
La culture y était souveraine, en tableaux somptueux comme en 2004 avec
l’exposition « Cent peintres, pour les cent ans de l’Humanité », en audace avec
en 2008 le dialogue « 1968-2008, l’Art dans la rue », où les œuvres de Jean
Dubuffet, Ernest Pignon-Ernest, Pierre Alechinsky ou Jacques Villeglé
échangeaient avec celles de grapheurs comme Miss. Tic ou Speedy Graphito. En
rencontres aussi au Village du livre.
Avec les souvenirs pointe la nostalgie
Et quels concerts ! Manu Chao, Iggy Pop, Patty Smith, Joan Baez, Higelin,
Ferré, Gréco, Lavilliers, Bénabar, Mustang, Matmatah, Aya Nakamura, Catherine
Ringer, Bigflo et Olli, Jeanne Added, Compay Segundo, Bashung, Johnny Clegg,
Moriarty, Julien Clerc, Leforestier, Dutronc, Eddy Mitchell, Soprano,
Polnareff, la famille Chedid… Une liste exhaustive est impossible ; elle
occuperait plus qu’une page de votre quotidien.
Avec les souvenirs pointe la nostalgie, celle d’enlacements au soleil
couchant, de solides repas d’amitiés, de déambulations heureuses… Elles vont
trouver un autre lieu, puisque l’Aire des vents va changer de vocation. Le
président du conseil départemental, Stéphane Troussel (PS), y voit s’engager,
du fait des jeux Olympiques et Paralympiques, un développement comparable à
celui du stade de France, il y a vingt ans.
Pas d’accord, l’un de ses prédécesseurs, Robert Clément (PCF), juge que le
projet « se réduit davantage à une opération immobilière, avec à terme
la construction de 1 300 logements accompagnée d’équipements publics.
C’est dans l’air du temps, on l’habille de vert. Ce sera un écoquartier ! Tout
compte fait, avec cette décision, cela valait-il d’amputer le parc
départemental de 20 hectares ? Pas si sûr ! »
Du vert, des pistes et de l’espace
Mais à cette heure, pas de regrets, des projets ! La prochaine Fête de
l’Humanité se tiendra à Brétigny-sur-Orge (Essonne), dans la banlieue sud, sur
le terrain de l’ancienne base aérienne 217, qui fut centre d’essai du Concorde.
Du vert, des pistes et de l’espace dans un lieu qui accueille aussi des studios
de cinéma. Retour d’histoire : dans ce même département en 1931, la Fête de
l’Humanité s’était déroulée à Athis-Mons. Sacrée voyageuse qui a connu Bezons,
Garches, le bois de Vincennes, le parc Montreau à Montreuil, les terrasses de
Meudon…
Fini l’Aire des vents,
une nouvelle ère s’ouvre. À vous, à nous, de la peupler de nouvelles habitudes,
de souvenirs intimes, d’événements politiques, de découvertes culturelles et de
plaisirs gastronomiques.
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