Il fut l’un des acteurs
les plus populaires de sa génération. C’est un monument du cinéma qui vient de
mourir à 88 ans. Jean-Paul Belmondo, Bébel, est mort. En plus de
cinquante ans de carrière, il a joué dans une centaine de films et pièces
et réuni plus de 150 millions de spectateurs.
Jean-Paul Belmondo, l’acteur qui incarna la nouvelle vague, le cinéma
populaire, une France insouciante qui croquait la vie à pleines dents, une
France qui aimait les jolies filles et les mauvais garçons, Jean-Paul Belmondo est
mort.
Peu nombreux sont les acteurs qui ont réussi à investir à ce point tout le
spectre du cinéma français, à incarner les héros de la nouvelle vague, des
comédies populaires, des films noirs, à être à la fois Pierrot le fou, Léon
Morin prêtre, l’enfant gâté de Lelouch, l’homme de Rio, le Magnifique… sans que
les uns ne fassent de l’ombre aux autres.
Il a joué dans les nanars les plus mémorables comme dans les chefs-d’œuvre
inoubliables. Il rejoint, quelque part au firmament des artistes, ses potes de promo,
la bande du conservatoire, Rochefort, Marielle, Crémer, Rich, Pierre Vernier
mais aussi Guy Bedos…
Une gueule qu’on n’oublie pas
Fils du sculpteur Paul Belmondo et Madeleine Rainaud-Richard, artiste
peintre, il fréquentera après la guerre les meilleurs établissements parisiens,
se faisant virer d’ici ou là en raison de son indiscipline, s’adonnant à sa
toute première passion, qui ne le quittera jamais, la boxe. Marcel Cerdan était
son idole, mais, pour pratiquer la boxe, « il fallait avoir la haine », dira-t-il,
et la haine, Belmondo n’en avait pas. Il avait le sourire. Un sourire qui ne le
lâchera jamais, un sourire qui disait quelque chose d’une innocence, de
l’enfance, de la joie de vivre. Boxe, foot, vélo, sportif en tout genre, c’est
le théâtre, le cinéma qui finissent par emporter le morceau. Il échouera une
première fois au concours d’entrée du conservatoire, mais y sera finalement
admis dans la classe de Pierre Dux qui dira de lui : « Avec la tête qu’il a, il
ne pourra jamais prendre une femme dans ses bras, car cela ne serait pas
crédible. » Monsieur, vous aviez tort sur les femmes, si l’on peut dire, mais
raison sur une chose : il avait une sacrée gueule, Belmondo. De ces gueules
qu’on n’oublie pas et qui ont imposé, à l’écran, un physique comme on n’en
avait jamais vu jusqu’alors dans le cinéma français, explosant les codes
esthétiques en vigueur, alliant la grâce du boxeur et l’élégance de la
panthère. Lors du concours de sortie, en 1956, il interprète une scène d’Amour
et piano de Feydeau. Le jury fait la moue et lui accorde du bout des
votes un accessit, lui fermant ainsi la porte de la Comédie-Française. Juché
sur les épaules de ses camarades qui le portent en triomphe, Belmondo adresse
au jury un bras d’honneur en guise de salut. Fin de la première partie. À lui
la belle vie.
Godard le propulse
Il débute dans le théâtre, ne jure que par le théâtre, joue dans quelques
films, enchaîne petits et seconds rôles, mais c’est dans À bout de
souffle (1960), réalisé par un Godard survolté, caméra au poing, qu’il
s’impose. « Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la
montagne, si vous n’aimez pas la ville… allez vous faire foutre ! » lance-t-il,
goguenard, au volant de sa voiture sur cette RN7 cernée de platanes qui
s’étirent à perte de vue. Au côté de Jean Seberg, ils forment un couple d’une
modernité absolue. Le corps de Belmondo, félin, se déploie dans les draps
froissés de la piaule où ils se sont réfugiés, tandis que l’étau se resserre
autour de ces Roméo et Juliette qui rêvent de filer en Italie.
Belmondo n’a pas 30 ans et À bout de souffle le
propulse au rang de vedette internationale. Il enchaîne film sur film, incarne
l’ambiguïté dans Léon Morin, prêtre, de Jean-Pierre Melville
avec pour partenaire Emmanuelle Riva, et partage l’affiche avec Lino Ventura
dans le premier film de Claude Sautet, Classes tous risques. Puis
ce sera Cartouche, de Philippe de Broca, film de cape et
d’épée où son personnage survolté détrousse les riches dans la bonne humeur et
lui confère le statut d’icône populaire, statut qu’il conservera tout au long
de sa vie. La même année, et nous ne sommes qu’en 1962, il affronte le
patriarche du cinéma français, Jean Gabin, dans Un singe en hiver, d’après
le livre d’Antoine Blondin, réalisé par Henri Verneuil. Ensemble, ils vont se
livrer à un numéro d’acteurs des plus époustouflants. Sous l’œil goguenard – et
admiratif – de Gabin qui lui balance « Môme, tu m’rappelles mes
20 ans », Belmondo va jouer une partition tout en équilibre,
subtile, élégante, déconcertante. En 1964, il est l’Homme de Rio, épopée
folle et frenchie, un film d’aventures à l’humour ravageur qui voit un Belmondo
danser en haut du Corcovado, courir à perdre haleine dans Brasilia, cité
futuriste à peine sortie de terre et se perdre dans la jungle amazonienne aux
côtés de Françoise Dorléac. Un an après, il retrouve Godard pour Pierrot
le fou, cultissime road-movie. À jamais, Pierrot le fou sera Belmondo
et Belmondo sera Pierrot le fou. Puis il enchaîne avec les Tribulations
d’un chinois en Chine, de de Broca. Sa filmographie épouse les plus
grands succès populaires. Qu’il joue dans les films de Louis Malle, de Becker,
de Molinaro, de Clément, d’Oury, de Truffaut, de Lelouch… Belmondo tient le
haut de l’affiche, bat des records au box-office et les spectateurs se
déplacent sur son seul nom. On va voir un Bébel. Puis, il finira par partager
l’affiche avec l’autre star du cinéma, Alain Delon, dans Borsalino.
Même si le partage a semé la discorde entre ces deux-là qui se sont disputés
jusque devant les tribunaux la présence de leur nom sur ladite affiche…
La critique le boude...
Dans les années 1970, c’est l’époque où l’on casse les œufs durs sur le
comptoir en zinc des vieux bistrots parisiens. Belmondo troque le
costume-cravate et revêt le blouson de flic ou voyou. Belmondo monte sa propre
société de production, s’investit dans les scénarios. Bref, il veut avoir la
main, même s’il continue à faire appel aux plus grands (Verneuil, Chabrol, de
Broca, Resnais, Deray, Lautner…). Dans Peur sur la ville, il
est un commissaire qui traque un tueur en série. On voit Belmondo dans le ciel
de Paris suspendu à un hélicoptère, chevauchant le toit d’un métro surplombant
la seine, vertige à tous les étages. Entre-temps, il aura été le
Magnifique, l’Héritier, Stavisky, le Marginal… À partir de 1979, il
est Flic ou voyou, le Professionnel, ou l’As des as. Les
années 1980 semblent sonner le déclin de Belmondo. La critique le boude. Le
Bébel de la gonflette gonfle un tantinet. Les ficelles deviennent un peu
grosses. La fréquentation dans les salles s’en ressent. Il se blesse lors du
tournage de Hold-up, d’Alexandre ArcadyÀ 52 ans, il se
dit qu’il est temps d’arrêter de s’accrocher à des hélicos et de faire le
guignolo.
Il revient à ses premières amours, le théâtre, à l’invitation de Robert
Hossein. Ravi de retrouver les planches, il ira jusqu’à acheter le Théâtre des
Variétés. Il sera un Cyrano un brin désabusé dans la mise en scène d’Hossein,
jouera quelques Feydeau et même deux pièces d’Emmanuel Schmitt mises en scène
par Bernard Murat. Dans ces années-là, seul Itinéraire d’un enfant gâté (1988),
de Claude Lelouch, lui permettra de renouer avec le succès public au cinéma et
lui vaudra un premier césar… qu’il ne se donnera même pas la peine d’aller
chercher.
Ces dernières années, il
est rattrapé par une avalanche de récompenses. Même malade, affaibli, vieilli,
il reste cet éternel jeune homme au sourire enjôleur. Si la notion d’acteur
populaire veut dire quelque chose, Belmondo lui aura donné tout son sens et
toute sa splendeur.
Filmographie sélective
Difficile de faire un choix dans la filmographie ébouriffante de l’acteur.
De la nouvelle vague à Bébel, florilège de films à voir absolument.
Les Copains du dimanche, d’Henri Eisner, 1958. À bout de souffle, de
Jean-Luc Godard, 1960. La Ciociara, de Vittorio De Sica, 1960.Une femme est une
femme, de Jean-Luc Godard, 1961.Léon Morin, prêtre, de Jean-Pierre Melville,
1961.
Un singe en hiver, d’Henri Verneuil, 1962. Le Doulos,
de Jean-Pierre Melville, 1962. L’Homme de Rio, de Philippe de Broca, 1964.
Cent mille dollars au soleil, d’Henri Verneuil, 1964.
Week-end à Zuydcoote, d’Henri Verneuil, 1964.
Pierrot le Fou, de Jean-Luc Godard, 1965.
La Sirène du Mississipi, de François Truffaut, 1969.
Borsalino, de Jacques Deray, 1970. Le Magnifique, de Philippe de Broca,
1973.
Stavisky, d’Alain Resnais, 1974. Peur sur la ville, d’Henri Verneuil, 1975.
Le Professionnel, de Georges Lautner, 1981.
Itinéraire d’un enfant gâté, de Claude Lelouch, 1988.
Un acteur solidaire des
plus précaires
Élu entre 1963 et 1965
président du Syndicat français des acteurs, affilié à la CGT, Jean-Paul
Belmondo était très soucieux du sort de ses collègues moins chanceux que lui.
Il faisait partie de la « dizaine peut-être » de comédiens traités « non pas
comme des comédiens, mais comme des marques de pâte dentifrice », disait-il
dans la Vie ouvrière de décembre 1964. Mais se concentrait sur les
« quelque vingt mille comédiens, acteurs de cinéma, de théâtre, de télévision,
qui travaillent quand on veut bien leur en donner l’occasion et dont beaucoup
ont bien du mal à vivre de leur métier, ce métier qu’ils ont choisi et qu’ils
aiment. Et ceux-là, je vous assure, ils ont besoin d’être syndiqués et de se
battre pour la vie. J’ai des tas d’amis qui travaillent trois mois par an et
moins parfois. Mais il faut manger pendant douze mois ».
Si vous n’aimez pas Pierrot le fou, l’Homme de Rio, dommage pour vous, je pense que cela est plus raisonnable, la grossièreté n'est pas nécessaire pour rendre hommage a un grand personnage de notre histoire
RépondreSupprimer