mardi 3 août 2021

Développement. Arbres contre nourriture, le dilemme soulevé par Oxfam



Dans un rapport publié ce 3 août, l’ONG Oxfam alerte sur le risque de mise en concurrence entre les stratégies de neutralité carbone et la lutte contre la faim.

Combien faut-il d’estomacs vides pour avaler les émissions de CO2 en trop ? Publié ce 3 août, un nouveau rapport d’Oxfam met les points sur les i et alerte : au rythme actuel, les programmes « zéro émission nette » – ou « neutralité carbone » – risquent d’entraîner une hausse de 80 % du prix des denrées alimentaires et une aggravation de la faim dans le monde.

Une approche biaisée

Cette stratégie, qui vise à ce que, en 2050, les États n’émettent pas plus de CO2 qu’ils ne sont capables d’en absorber via des puits de carbone, est aujourd’hui mise en avant par plus de 120 pays. La France l’a inscrite à sa loi climat-énergie de 2019. Les États-Unis, la Chine, le ­Japon ou encore le Royaume-Uni lui ont emboîté le pas. Une pelletée d’entreprises et d’investisseurs en ont fait de même, parmi lesquels Total, British Airways ou encore le groupe BlackRock.

Alors qu’approche la COP26, prochain grand rendez-vous des négociations climat programmé en novembre à Glasgow, tous ces gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES) promettent de planter des arbres à tour de bras afin d’absorber leur surplus d’émissions et de limiter ainsi le réchauffement climatique. Mais gare, avertit Oxfam : prise de la sorte, la stratégie a toutes les chances d’entrer en concurrence avec le maintien des terres arables indispensables à l’alimentation mondiale. Elle a aussi toutes les chances d’échouer.

L’objectif zéro émission nette n’est pas à proprement parler en cause, rappelle l’ONG internationale : le Groupe intergouvernemental d’experts sur le changement climatique (Giec) en fait un passage obligé à atteindre entre 2040 et 2050 pour être en mesure de limiter le réchauffement en dessous de 2 °C, a fortiori à 1,5 °C.

La stratégie dont usent les États et les entreprises pour l’atteindre est en revanche biaisée. La bonne conduite, poursuit Oxfam, devrait consister à réduire les émissions de GES pour ensuite compenser, par la réalisation de puits de carbone végétaux, les émissions qui ne peuvent être éliminées. Las, les faits montrent que les acteurs concernés ont une fâcheuse tendance à faire l’inverse.

Alors que le monde est censé avoir réduit de près de 50 % les émissions de carbone d’ici à 2030, les dernières estimations scientifiques avancent que celles-ci n’ont baissé, pour l’heure, que de 1 % par rapport aux niveaux de 2010. À ce rythme, le nombre d’arbres à planter pour absorber celles restantes s’annonce monumental.

Les scénarios les plus pessimistes du Giec estiment qu’il pourrait rester près de 40 gigatonnes de CO2 par an à compenser. Les plus optimistes parlent de 5 gigatonnes. Cela pourrait, au final, impliquer de reforester jusqu’à 3,8 milliards d’hectares de terres, soit plus de deux fois plus qu’il n’en existe aujourd’hui de cultivées, à savoir 1,57 milliard d’hectares.

Reboiser tous azimuts

« L’utilisation des terres pour stocker le carbone à grande échelle entre inévitablement en conflit avec la production et la sécurité alimentaires », insiste l’ONG. Même le moins mauvais des scénarios ne permet pas d’échapper à cette réalité, alors qu’il faudra, dans le meilleur des cas, reboiser au minimum 1,62 milliard d’hectares pour compenser des émissions de CO2.

Oxfam offre quelques exemples précis tirés des engagements déjà mis sur la table par quelques pays. La Suisse prévoit ainsi de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 50 % à l’horizon 2030 (par rapport à 1990). Mais « elle entend atteindre 12,5 % de cet objectif en finançant des projets de protection climatique à l’étranger », note l’organisation. Elle a, singulièrement, conclu des accords de crédits carbone avec le Pérou et le Ghana, programmes grâce auxquels elle prévoit de compenser quelque 3,3 millions de tonnes de carbone. Cela pourrait nécessiter (de reboiser) entre 416 406 hectares, soit plus de 250 fois la superficie de Genève, et 832 812 hectares de terres (la superficie de l’île de Porto Rico), a calculé Oxfam.

 

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