mercredi 21 juillet 2021

« Silence », l’éditorial de Lina Sankari dans l’Humanité.



Il faut parfois prêter l’oreille au silence et au fracas qu’il charrie. Celui du gouvernement d’abord. Pressé par la représentation nationale de s’exprimer, après deux longues journées à sombrer dans le mutisme malgré un scandale d’espionnage d’ampleur mondiale, le premier ministre Jean Castex a d’abord tenté de botter en touche sur les atteintes à la souveraineté de la France, en expliquant que les investigations ordonnées par l’appareil d’État n’avaient pas abouti. La stratégie du déni a ses limites : Emmanuel Macron, désigné dès 2019, par « l’allié » marocain, comme une cible potentielle du logiciel espion Pegasus, se ravisait ce mercredi en ordonnant une série d’enquêtes.

Prêter l’oreille à cette guerre silencieuse, ensuite. Arme de guerre en temps de paix, la cyber-surveillance n’est pas une idée neuve sortie du cerveau de quelques généraux ou experts du renseignement. Menace à bas bruit, la prolifération de ces armes non conventionnelles concerne tous les citoyens et met les États au défi d’y répondre dans un cadre démocratique qui protège les libertés publiques. D’évidence, le marché porte en lui des tentations autoritaires. La preuve par la société privée israélienne NSO, qui, sous le parapluie du ministère de la Défense, a élevé l’espionnage et le potentiel oppressif des nouvelles technologies au rang d’industrie.

S’il fait moins de bruit que les bombes, ce business pulvérise lui aussi des existences, laisse des corps sans vie sur un champ de bataille invisible ; il envoie les opposants, des avocats, des journalistes et des militants des droits humains en prison. À l’origine de révélations – qui lui valurent l’exil – sur le programme de surveillance massif de la NSA, l’Agence nationale de la sécurité états-unienne, en 2013, Edward Snowden plaide aujourd’hui pour l’établissement d’une responsabilité pénale pour toutes les entreprises impliquées dans ce marché et pour un moratoire global sur l’utilisation de ces nouvelles armes. Il faut parfois prêter l’oreille.

 

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