vendredi 23 juillet 2021

Biodiversité. Le grand retour des coquelicots.



CHER À CLAUDE MONET, JADIS, LE PAVOT DES CHAMPS INCARNE AUJOURD’HUI LE COMBAT CONTRE LES PESTICIDES !

Après s’être faite discrète, la fleur s’épanouit à nouveau. Histoire de la reconquête de cette plante qui accompagne les céréales depuis les débuts de l’agriculture.

C’est une fleur que les moins de 20 ans commencent à peine à reconnaître. Olivier Escuder, botaniste au Muséum national d’histoire naturelle, n’est pas de ceux-là. Gamin, il se souvient avoir vu des profusions de coquelicots dans les champs. Et puis la plante aux quatre pétales rouges et au bouton noir s’est faite plus rare. « Il y a une trentaine d’années, quand on la croisait, on était presque ému », raconte-t-il. Mais depuis cinq ans, la reine des fleurs sauvages fait son grand retour au bord des parcelles de céréales, sur les talus, dans les espaces abandonnés, et même en ville. « Depuis que les herbicides non sélectifs ont été retirés du marché, elle s’exprime à nouveau », observe-t-il.

Elle pousse partout, ou presque, à partir du mois de mai : « Il suffit d’une terre un peu aérée, fraîchement retournée, même par des roues de vélo ou une taupe », explique Bruno Chauvel, chercheur en agroécologie à l’Inrae Bourgogne-Franche-Comté, spécialiste des « mauvaises » herbes. Pourquoi, alors, avait-elle disparu des bords de champs ? Le XXe siècle en a fait l’ennemi à abattre : à la binette mais surtout à l’herbicide. « À partir du début du siècle, avec l’invention de l’azote chimique pour mieux “nourrir” les plantes cultivées, ces dernières ont pris plus d’espace au détriment des adventices. Dans les champs, finalement, c’est toujours une concurrence entre les cultivées et les natives. Les herbicides, arrivés dans les années 1940, ont accéléré ce déclin des plantes messicoles, dont le coquelicot est devenu un porte-drapeau », développe Bruno Chauvel. Les plantes messicoles, « ce sont littéralement “celles qui habitent les moissons” : il y a le bleuet et la marguerite », reprend le botaniste Olivier Escuder. Il y a aussi les moins connues qui répondent aux jolis noms de nielle des blés, nigelle des champs, peigne de Vénus ou pied-d’alouette.

Une espèce qui a suivi l’homme dans ses migrations

Dans les rangs, le coquelicot a longtemps été considéré comme une « mauvaise » herbe, pas de celles qu’il faut absolument éradiquer. Mais de celles qui peuvent faire baisser les rendements. « Les agriculteurs se contenteraient très bien d’un plant de Papaveraceae (son nom scientifique) tous les 10 mètres, le problème, c’est que ça ne se passe pas toujours comme ça », décrit l’agroécologue. Loïc Madeline, producteur bio de céréales dans l’Orne, lui, s’en accommode plutôt bien. Quand on lui parle au téléphone, il fait une pause dans ses « foins »« Bien sûr que j’ai des coquelicots, et même là, une camomille juste devant moi. » Ses champs ne sont pas « propres, ça dépasse beaucoup des rangs chez moi », s’amuse-t-il. « C’est ça la vraie vie. Je fais moins de rendements, mais je travaille différemment mes sols, je fais plus de rotations… avec des coquelicots. » La plante va bientôt sécher, d’ici la fin du mois. Le fruit, en forme de capsule percée de petits trous, va disséminer au gré du vent ses milliers de graines… à un ou deux mètres. Et au bout de dix ans conquérir un autre champ ?

Depuis qu’il y a des céréales, il y a du coquelicot : « On suppose qu’elle fait partie des espèces qui ont suivi l’homme dans ses grandes migrations depuis le berceau des premières cultures », retrace Olivier Escuder. Vers 8 000 avant J.-C., dans le croissant fertile, « ces zones qui correspondaient au Moyen-Orient actuel, les hommes ont fait les premières sélections de céréales, les coquelicots devaient déjà y pousser », continue le botaniste. Quelques dizaines de milliers d’années plus tard, « on en retrouve dans les plaines du Missouri ou du Kansas, lors de la colonisation du continent américain. Les blés, orge, avoine transportés d’Europe contenaient des graines de Papaveraceae. C’est ainsi que quelques siècles plus tard, des coquelicots pousseront en Australie », précise le botaniste.

Synonyme de nature et de fragilité

Désormais, on redécouvre ses vertus, médicinales notamment : il fait partie de la famille du pavot, « la molécule contenue est un dérivé de la morphine, sans effets secondaires. Ses pétales sont sédatifs, en infusion ou en sirop, c’est très efficace pour calmer le stress, aider à l’endormissement ou contre la toux », explique Olivier Escuder. La plante sauvage redevient tendance : elle incarne le combat contre les pesticides. L’appel « Nous voulons des coquelicots », lancé en 2018 par le journaliste Fabrice Nicolino et le militant écologiste François Veillerette, a été signé par plus d’un million de personnes. Il faut dire que la fleur sauvage se prête bien aux symboles : elle a été tour à tour l’emblème des moissons, mais aussi des anciens combattants de 14-18 dans les pays anglo-saxons. Car le « poppy », comme l’appellent les Anglais, « était une des seules fleurs qui poussaient au milieu des tranchées, là où la terre avait été remuée par les obus », souligne Bruno Chauvel. En France, on lui a préféré le bleuet.

Les marques s’en sont emparées : dans les années 1990, elles l’affichent dans une prairie pour vendre du lait ou un parfum. « Pourtant, il ne pousse jamais dans les prairies et la fleur n’a aucune odeur », s’amuse l’agroécologue. Le coquelicot est devenu synonyme de nature et fragilité : il ne se cueille pas, ses pétales fanent vite. Le scientifique Bruno Chauvel aurait choisi une autre plante. Si le coquelicot a un rôle dans l’écosystème, il attire abeilles et insectes, « il est assez moyen en termes écologiques ». Oui, il est de retour et en grande quantité… mais « ce qui manque dans les champs, c’est de la diversité. Et ça, ça nous inquiète ». Finalement, est-ce que « pour aimer les coquelicots, et n’aimer qu’ça, faut être idiot », comme le chantait déjà Mouloudji dans Comme un p’tit coquelicot en 1973 ?

 

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