CHER À CLAUDE
MONET, JADIS, LE PAVOT DES CHAMPS INCARNE AUJOURD’HUI LE COMBAT CONTRE LES
PESTICIDES !
Après s’être faite
discrète, la fleur s’épanouit à nouveau. Histoire de la reconquête de cette
plante qui accompagne les céréales depuis les débuts de l’agriculture.
C’est une fleur que les moins de 20 ans commencent à peine à
reconnaître. Olivier Escuder, botaniste au Muséum national d’histoire
naturelle, n’est pas de ceux-là. Gamin, il se souvient avoir vu des profusions
de coquelicots dans les champs. Et puis la plante aux quatre pétales rouges et
au bouton noir s’est faite plus rare. « Il y a une trentaine d’années,
quand on la croisait, on était presque ému », raconte-t-il. Mais depuis
cinq ans, la reine des fleurs sauvages fait son grand retour au bord des
parcelles de céréales, sur les talus, dans les espaces abandonnés, et même en
ville. « Depuis que les herbicides non sélectifs ont été retirés du
marché, elle s’exprime à nouveau », observe-t-il.
Elle pousse partout, ou presque, à partir du mois de mai : « Il
suffit d’une terre un peu aérée, fraîchement retournée, même par des roues de
vélo ou une taupe », explique Bruno Chauvel, chercheur en agroécologie à
l’Inrae Bourgogne-Franche-Comté, spécialiste des « mauvaises » herbes.
Pourquoi, alors, avait-elle disparu des bords de champs ? Le XXe siècle en
a fait l’ennemi à abattre : à la binette mais surtout à l’herbicide. « À
partir du début du siècle, avec l’invention de l’azote chimique pour mieux
“nourrir” les plantes cultivées, ces dernières ont pris plus d’espace au
détriment des adventices. Dans les champs, finalement, c’est toujours une
concurrence entre les cultivées et les natives. Les herbicides, arrivés dans
les années 1940, ont accéléré ce déclin des plantes messicoles, dont le
coquelicot est devenu un porte-drapeau », développe Bruno Chauvel. Les
plantes messicoles, « ce sont littéralement “celles qui habitent les
moissons” : il y a le bleuet et la marguerite », reprend le botaniste
Olivier Escuder. Il y a aussi les moins connues qui répondent aux jolis noms de
nielle des blés, nigelle des champs, peigne de Vénus ou pied-d’alouette.
Une espèce qui a suivi l’homme dans ses migrations
Dans les rangs, le coquelicot a longtemps été considéré comme une « mauvaise »
herbe, pas de celles qu’il faut absolument éradiquer. Mais de celles qui
peuvent faire baisser les rendements. « Les agriculteurs se
contenteraient très bien d’un plant de Papaveraceae (son nom scientifique) tous
les 10 mètres, le problème, c’est que ça ne se passe pas toujours comme ça »,
décrit l’agroécologue. Loïc Madeline, producteur bio de céréales dans l’Orne,
lui, s’en accommode plutôt bien. Quand on lui parle au téléphone, il fait une
pause dans ses « foins ». « Bien sûr que j’ai des coquelicots,
et même là, une camomille juste devant moi. » Ses champs ne sont
pas « propres, ça dépasse beaucoup des rangs chez moi »,
s’amuse-t-il. « C’est ça la vraie vie. Je fais moins de rendements,
mais je travaille différemment mes sols, je fais plus de rotations… avec des
coquelicots. » La plante va bientôt sécher, d’ici la fin du mois. Le
fruit, en forme de capsule percée de petits trous, va disséminer au gré du vent
ses milliers de graines… à un ou deux mètres. Et au bout de dix ans conquérir
un autre champ ?
Depuis qu’il y a des céréales, il y a du coquelicot : « On suppose
qu’elle fait partie des espèces qui ont suivi l’homme dans ses grandes
migrations depuis le berceau des premières cultures », retrace Olivier
Escuder. Vers 8 000 avant J.-C., dans le croissant fertile, « ces zones
qui correspondaient au Moyen-Orient actuel, les hommes ont fait les premières
sélections de céréales, les coquelicots devaient déjà y pousser », continue
le botaniste. Quelques dizaines de milliers d’années plus tard, « on en
retrouve dans les plaines du Missouri ou du Kansas, lors de la colonisation du
continent américain. Les blés, orge, avoine transportés d’Europe contenaient
des graines de Papaveraceae. C’est ainsi que quelques siècles plus tard, des
coquelicots pousseront en Australie », précise le botaniste.
Synonyme de nature et de fragilité
Désormais, on redécouvre ses vertus, médicinales notamment : il fait partie
de la famille du pavot, « la molécule contenue est un dérivé de la
morphine, sans effets secondaires. Ses pétales sont sédatifs, en infusion ou en
sirop, c’est très efficace pour calmer le stress, aider à l’endormissement ou
contre la toux », explique Olivier Escuder. La plante sauvage redevient
tendance : elle incarne le combat contre les pesticides. L’appel « Nous voulons
des coquelicots », lancé en 2018 par le journaliste Fabrice Nicolino et le
militant écologiste François Veillerette, a été signé par plus d’un million de
personnes. Il faut dire que la fleur sauvage se prête bien aux symboles : elle
a été tour à tour l’emblème des moissons, mais aussi des anciens combattants de
14-18 dans les pays anglo-saxons. Car le « poppy », comme l’appellent les
Anglais, « était une des seules fleurs qui poussaient au milieu des
tranchées, là où la terre avait été remuée par les obus », souligne Bruno
Chauvel. En France, on lui a préféré le bleuet.
Les marques s’en sont
emparées : dans les années 1990, elles l’affichent dans une prairie pour vendre
du lait ou un parfum. « Pourtant, il ne pousse jamais dans les prairies
et la fleur n’a aucune odeur », s’amuse l’agroécologue. Le coquelicot est
devenu synonyme de nature et fragilité : il ne se cueille pas, ses pétales
fanent vite. Le scientifique Bruno Chauvel aurait choisi une autre plante. Si
le coquelicot a un rôle dans l’écosystème, il attire abeilles et
insectes, « il est assez moyen en termes écologiques ». Oui, il est
de retour et en grande quantité… mais « ce qui manque dans les champs,
c’est de la diversité. Et ça, ça nous inquiète ». Finalement, est-ce
que « pour aimer les coquelicots, et n’aimer qu’ça, faut être idiot »,
comme le chantait déjà Mouloudji dans Comme un p’tit coquelicot en
1973 ?
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