Après deux semaines de
débats, les sénateurs ont adopté le projet de loi sur la décentralisation avec,
en son sein, des dispositions régressives ciblant les plus précaires.
L’examen par le Sénat en première lecture du projet de loi 3DS pour
« différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification » est
arrivé à son terme mercredi 21 juillet. Porté par la ministre Jacqueline
Gourault, ce texte initialement composé de 84 articles a été étoffé par la
Chambre Haute, le portant à plus de 200. Lors du vote solennel, les sénateurs
ont ainsi adopté (242 pour, 92 contre) des mesures antisociales contestées par
la gauche et certaines associations portant notamment sur le RSA, les logements
sociaux ainsi que le fichier sur les mineurs non-accompagnés.
Le RSA dans le collimateur
Alors qu’actuellement le Revenu de solidarité active (RSA) est ouvert aux
personnes sans revenus, le projet de loi « 3DS » modifie les conditions
d’accès. Le Sénat a accordé la possibilité pour le président du conseil
départemental de demander directement aux bénéficiaires des documents
justificatifs (composition du foyer, domicile, étendue des ressources). En cas
de non-communication, le versement du revenu de solidarité peut être suspendu.
Une condition de patrimoine pourra aussi être ajoutée pour l’attribution de
l’allocation. Une « chasse aux pauvres », selon la sénatrice
socialiste Monique Lubin, au prétexte de contrer la fraude, et ce alors même
que taux de non-recours au RSA s’élève à 36 %. « Si chaque département
établit son règlement pour le versement des aides sociales, nous franchissons
un pas vers la fragmentation de la solidarité nationale », dénonce
également la sénatrice communiste Laurence Cohen. Sur les
bancs écologistes, la tonalité est la même : « Nous sommes loin
de l’universalité de notre système de protection sociale », proteste Guy
Benarroche.
Le Sénat autorise les communes à négocier leurs quotas de logements sociaux
La loi 3Ds s’attaque aussi aux quotas de logements sociaux. Jusqu’en 2025,
la loi SRU (Solidarité et Renouvellement urbain) impose aux communes de
disposer d’un minimum de 20 à 25 % de logements sociaux. Pourtant,
certaines ne respectent pas cette obligation. Un « contrat de mixité sociale »
est mis en place par le projet de loi 3Ds : ce contrat conclu entre le préfet
et les municipalités affiche l’ambition – sur le papier – d’un rattrapage dans
la construction de ces logements. Mais il leur serait permis de déroger aux
objectifs légaux aujourd’hui en vigueur, d’autant que le Sénat a élargi les
critères d’exemption de quotas et supprimé les sanctions en cas de
non-respect. Ces dernières ont en revanche été alourdies si le « contrat de
mixité sociale », à minima, n’est pas respecté. Pour la sénatrice
Génération.s du Val-de-Marne, Sophie Taillé-Polian, « le dispositif
est un affaiblissement de la portée de la loi SRU. (…) Il y a une ségrégation
socio-spatiale qui se poursuit et qui est liée à des choix politiques ».
Les mesures semblent « dégager un maximum de collectivités de leurs
obligations en matière de mixité sociale », abonde Éliane Assassi,
présidente du groupe CRCE au Sénat.
Les mineurs isolés fichés par les départements
L’article 39, lui, prévoit un fichage des mineurs isolés étrangers
imposé à tous les départements. Les mineurs non-accompagnés (MNA) devront se
présenter à la préfecture où un certain nombre de données personnelles (prise
d’empreinte digitale, photo, numéro de téléphone entre autres) sont collectées
et enregistrées – avant d’être comparées au fichier « Visabio » qui répertorie
les demandes de visa formulées depuis l’étranger. « Qu’il soit rendu
obligatoire ou non, cet outil est important, car il évite des appréciations
différentes d’un département à l’autre », argue René-Paul Savary
(LR) . Déjà présent dans le projet de loi sur la
protection des enfants et adopté par les sénateurs, le fichier est contesté par
les associations. Dans un communiqué interassociatif signé par le Gisti, Médecins
du Monde ou encore le Secours Catholique, elles dénoncent un « fichage
policier systémique », ou encore la volonté de l’État d’imposer un fichier
qui « [confond] protection de l’enfance et lutte contre l’immigration ».
Cet article est également critiqué par la gauche, pour laquelle il va à
l’encontre de la présomption de minorité établie par le droit international des
enfants. « Ce dispositif est très clairement un frein à l’accès des
mineurs non-accompagnés à la protection qui leur est due », a fustigé le
sénateur EELV Guy Benarroche. La communiste Éliane Assassi a également
dénoncé le fait qu’avec cet article un « conseil départemental
puisse demander à l’autorité judiciaire de recourir aux tests osseux dans le
cadre de l’évaluation de minorité ».
Le projet de loi,
largement adopté par le Sénat, n’en est cependant qu’au début de son parcours
législatif. La prochaine étape ? L’Assemblée nationale, probablement à la
rentrée.
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