vendredi 23 juillet 2021

Loi « 3DS ». Sous couvert de décentralisation, le Sénat adopte des mesures de régression sociale



Sarah Lavoine

Après deux semaines de débats, les sénateurs ont adopté le projet de loi sur la décentralisation avec, en son sein, des dispositions régressives ciblant les plus précaires.

L’examen par le Sénat en première lecture du projet de loi 3DS pour « différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification » est arrivé à son terme mercredi 21 juillet. Porté par la ministre Jacqueline Gourault, ce texte initialement composé de 84 articles a été étoffé par la Chambre Haute, le portant à plus de 200. Lors du vote solennel, les sénateurs ont ainsi adopté (242 pour, 92 contre) des mesures antisociales contestées par la gauche et certaines associations portant notamment sur le RSA, les logements sociaux ainsi que le fichier sur les mineurs non-accompagnés.

Le RSA dan​​​​​​​s le collimateur

Alors qu’actuellement le Revenu de solidarité active (RSA) est ouvert aux personnes sans revenus, le projet de loi « 3DS » modifie les conditions d’accès. Le Sénat a accordé la possibilité pour le président du conseil départemental de demander directement aux bénéficiaires des documents justificatifs (composition du foyer, domicile, étendue des ressources). En cas de non-communication, le versement du revenu de solidarité peut être suspendu. Une condition de patrimoine pourra aussi être ajoutée pour l’attribution de l’allocation. Une «  chasse aux pauvres », selon la sénatrice socialiste Monique Lubin, au prétexte de contrer la fraude, et ce alors même que taux de non-recours au RSA s’élève à 36 %. «  Si chaque  département établit son règlement pour le versement des aides sociales, nous franchissons un pas vers la fragmentation de la solidarité nationale », dénonce également la sénatrice communiste Laurence Cohen. Sur les bancs écologistes, la tonalité est la même : «  Nous sommes loin de l’universalité de notre système de protection sociale », proteste Guy Benarroche.

Le Sénat autorise les communes à négocier leurs quotas de logements sociaux

La loi 3Ds s’attaque aussi aux quotas de logements sociaux. Jusqu’en 2025, la loi SRU (Solidarité et Renouvellement urbain) impose aux communes de disposer d’un minimum de 20 à 25 % de logements sociaux. Pourtant, certaines ne respectent pas cette obligation. Un « contrat de mixité sociale » est mis en place par le projet de loi 3Ds : ce contrat conclu entre le préfet et les municipalités affiche l’ambition – sur le papier – d’un rattrapage dans la construction de ces logements. Mais il leur serait permis de déroger aux objectifs légaux aujourd’hui en vigueur, d’autant que le Sénat a élargi les critères d’exemption de quotas et supprimé les sanctions en cas de non-respect. Ces dernières ont en revanche été alourdies si le « contrat de mixité sociale », à minima, n’est pas respecté. Pour la sénatrice Génération.s du Val-de-Marne, Sophie Taillé-Polian, «  le dispositif est un affaiblissement de la portée de la loi SRU. (…) Il y a une ségrégation socio-spatiale qui se poursuit et qui est liée à des choix politiques ». Les mesures semblent «  dégager un maximum de collectivités de leurs obligations en matière de mixité sociale », abonde Éliane Assassi, présidente du groupe CRCE au Sénat.

Les mineurs isolés fichés par les départements

L’article 39, lui, prévoit un fichage des mineurs isolés étrangers imposé à tous les départements. Les mineurs non-accompagnés (MNA) devront se présenter à la préfecture où un certain nombre de données personnelles (prise d’empreinte digitale, photo, numéro de téléphone entre autres) sont collectées et enregistrées – avant d’être comparées au fichier « Visabio » qui répertorie les demandes de visa formulées depuis l’étranger. « Qu’il soit rendu obligatoire ou non, cet outil est important, car il évite des appréciations différentes d’un département à l’autre », argue René-Paul Savary (LR)​​​​​​​ . Déjà présent dans le projet de loi sur la protection des enfants et adopté par les sénateurs, le fichier est contesté par les associations. Dans un communiqué interassociatif signé par le Gisti, Médecins du Monde ou encore le Secours Catholique, elles dénoncent un «  fichage policier systémique », ou encore la volonté de l’État d’imposer un fichier qui «  [confond] protection de l’enfance et lutte contre l’immigration ». Cet article est également critiqué par la gauche, pour laquelle il va à l’encontre de la présomption de minorité établie par le droit international des enfants. «  Ce dispositif est très clairement un frein à l’accès des mineurs non-accompagnés à la protection qui leur est due », a fustigé le sénateur EELV Guy Benarroche. La communiste Éliane Assassi a également dénoncé le fait qu’avec cet article un « conseil départemental puisse demander à l’autorité judiciaire de recourir aux tests osseux dans le cadre de l’évaluation de minorité ».

Le projet de loi, largement adopté par le Sénat, n’en est cependant qu’au début de son parcours législatif. La prochaine étape ? L’Assemblée nationale, probablement à la rentrée.

 

 

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