Ces femmes et ces hommes
s’occupent de la moitié des enfants placés, mais, faute de reconnaissance, ils
sont de moins en moins nombreux. Le projet de loi voté la semaine dernière ne
s’attaque pas vraiment au problème.
« Les familles d’accueil trouvent qu’elles font un beau métier. Mais
vu la difficulté, je comprends que les candidats ne se bousculent pas. » Ce
constat du sociologue David Grand, auteur d’une étude sur les assistants
familiaux pour l’Observatoire national de la protection de
l’enfance (Onpe), est largement étayé par les chiffres. Le nombre de
familles d’accueil de la protection de l’enfance est passé de 50 000 en 2012 à
38 300 en 2015, selon les dernières données disponibles. Et les trois quarts
des assistants familiaux ont entre 55 et 65 ans, ce qui traduit l’absence
de renouvellement. « Il y a un problème sévère de recrutement et de
pyramide des âges », résume Marc Chabant, directeur du développement de la
Fondation Action Enfance.
Le rôle de ces familles est pourtant essentiel. Celles-ci accueillent et
élèvent plus de la moitié des 170 000 enfants placés. Mais ce qu’elles offrent
à ces enfants qui ont subi maltraitance et négligence, c’est bien plus que du chiffre. « L’accueil
familial est le plus protecteur du droit de l’enfant, car il offre une
stabilité affective », rappelle Lyes Louffok, lui-même ex-enfant placé et
militant de la cause. Et le projet de loi pour mieux prendre en charge ces
enfants, voté la semaine dernière par l’Assemblée nationale, risque fort de ne
pas résoudre cette crise des vocations. « Nous sommes très déçus. Ce
projet est vide de substance. Il y a quelques points encourageants mais ça ne
répondra certainement pas au manque de renouvellement », analyse Sabine
Carme, présidente du Syndicat des assistants familiaux (SAF), qui a participé
pendant deux ans aux négociations avec les équipes d’Adrien Taquet, le
secrétaire d’État chargé de la Protection de l’enfance.
La nouvelle loi instaure ainsi le Smic dès l’accueil du premier enfant,
contre 980 euros en moyenne actuellement. L’avancée est saluée, mais jugée
insuffisante. « Les départements vont rester maîtres d’œuvre. Si cela
leur coûte trop cher, ils vont se rattraper en diminuant l’augmentation liée à
la prise en charge d’un deuxième enfant », s’inquiète Sabine Carme, qui
déplore la quasi-absence de l’Assemblée des départements de France lors des
discussions avec le ministère. « Il faudrait une vraie politique de
ressources humaines, avec une valorisation de l’expérience, du diplôme, et des
possibilités d’avancement. On ne pourra pas penser le recrutement si on
n’arrive pas à rendre attrayant le revenu », renchérit Michèle Créoff,
ex-inspectrice aux affaires sanitaires et sociales.
Autre point de friction : le dédommagement journalier pour l’entretien de
l’enfant, qui passe de 11 euros à 23 euros, selon les départements.
Un montant qui n’avait pas été adapté pendant le confinement. S’y ajoute la
difficulté, pour les assistants familiaux, d’obtenir un temps de répit pour
souffler. Légalement, ils peuvent prétendre à un week-end par mois et cinq
semaines de congés. Mais, faute de familles-relais pour s’occuper des enfants,
ces moments ne peuvent être pris.
« Sacralisation du lien biologique »
Les difficultés du métier vont pourtant en s’accroissant. « Les
enfants qu’on accueille ont des troubles de plus en plus lourds. Ils restent
souvent trop longtemps au domicile de leurs parents et se retrouvent avec un
handicap induit par la maltraitance et le manque de sollicitation. Du coup, on
fait du thérapeutique déguisé. Certains enfants devraient être placés dans des
institutions psychiatriques. Mais en raison des fermetures de lits, ils
basculent dans l’aide à l’enfance. Et obtenir un suivi dans le secteur
médico-social est compliqué car il est saturé lui aussi », explique Sabine
Carme, forte de ses vingt-cinq années de métier. En France, on hésite encore
trop souvent à séparer un enfant d’une famille maltraitante. Résultat, « l’âge
moyen à l’ASE est de 12,5 ans. Les enfants nous arrivent très tard et en
urgence, quand les troubles sont installés et que les symptômes sont déjà
lourds », confirme Michèle Créoff. Cette dernière dénonce « une
sacralisation du lien biologique et une vision familialiste », qui
consiste à « penser l’enfant comme la propriété de ses parents ».
Face à ces difficultés, les familles d’accueil se retrouvent dans une
grande solitude. « L’accompagnement par les travailleurs sociaux est
inexistant, parce qu’ils sont eux aussi débordés et qu’il y a beaucoup de
turnover », observe Delphine Depay, qui s’occupe de la filière
médico-sociale pour la CGT. Alors que ces familles devraient être pleinement
intégrées dans les équipes, elles sont également souvent considérées dans une
relation hiérarchique. « Certains éducateurs ne considèrent toujours
pas les assistants familiaux comme des pairs et rechignent à les prendre en
compte », observe David Grand. « En rattachant la prise en charge à
un travail d’équipe et en envoyant plus fréquemment les référents dans les
familles d’accueil, on pourrait davantage prévenir les situations à risques »,
estime Anne Oui, chargée de mission à l’Onpe.
Injonction paradoxale
Même par rapport aux familles maltraitantes, les accueillants sont en
situation d’infériorité, car sous prétexte de maintenir le lien, les premières
gardent l’autorité parentale. « On n’a aucun droit. On ne peut pas
signer le livret scolaire, ou donner d’autorisation de sortie. C’est dommage
que les parents défaillants aient cette autorité et que ceux qui vivent avec
eux 24 heures sur 24 ne puissent même pas les autoriser à faire une soirée
pyjama », déplore Annick Moine, présidente de la Fédération nationale des
assistants familiaux et de la protection de l’enfance. « Il n’y a pas
de reconnaissance de leurs savoir-faire, de cette expérience du quotidien.
Pourtant, ce sont ces personnes qui élèvent les enfants et qui les
connaissent », rappelle Michèle Créoff. Du coup, souligne le sociologue
David Grand, les assistants familiaux « se retrouvent souvent pris dans
une injonction paradoxale où on leur demande d’être à la fois distants et dans
l’affection ».
Le problème, c’est que
la pénurie de familles d’accueil risque de dégrader les conditions d’accueil
des enfants. « Il y a de plus en plus de pression pour prendre six,
voire huit enfants. Il y a un remplissage forcené des familles d’accueil »,
affirme Sabine Carme. « On va s’arracher les assistants familiaux,
regrette Michèle Créoff. On va donc de moins en moins contrôler les
conditions d’accueil. »
Lutter contre la maltraitance
Si les abus sont minoritaires, ils
existent. Le projet de loi présenté par le secrétaire d’État à la Protection de
l’enfance y répond en instaurant enfin un fichier national des familles
d’accueil. Demandé depuis des années par tous les acteurs du secteur, il
devrait permettre d’éviter qu’une famille qui se voit retirer son agrément pour
maltraitance ne puisse en obtenir un autre dans un département voisin. Mais,
pour éviter que les assistants familiaux ne perdent tous leurs revenus à la
première dénonciation, un délai de quatre mois pendant lequel ils continueront
à être payés a été instauré. Insuffisant pour les professionnels, qui
voudraient que le salaire soit maintenu toute la durée de l’enquête.
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