mercredi 21 juillet 2021

« Dans les boîtes noires », l’éditorial de Maurice Ulrich dans l’Humanité.



C’est comme une éclipse. L’ouverture des débats à l’Assemblée sur le passe sanitaire et l’obligation vaccinale passe devant le vote définitif par le Sénat, aujourd’hui, de la loi sur la prévention des actes terroristes et le renseignement. Elle restera dans l’ombre. Au même moment, l’affaire Pegasus fait se lever une vague d’indignation. Scandale. Un logiciel israélien a permis à des États de tracer et de traquer des milliers de smartphones de journalistes, de politiques. Pas de ça chez nous. Il est juste question d’algorithmes.

Dans les milieux informés, on parle de boîtes noires. En clair, il s’agit d’étendre le champ de la surveillance des réseaux expérimenté depuis 2015 avec les outils mathématiques permettant le croisement des informations. Les mêmes outils qu’utilisent les géants du ­numérique pour définir le profil des utilisateurs et leur envoyer les pubs et les contacts correspondant à leurs centres d’intérêt. Pour Gérald Darmanin, c’est clair. Si quelqu’un consulte régulièrement « des vidéos de décapitation », on peut détecter un risque de radicalisation. Sans doute, mais encore ?

On ne trouve jamais dans le chapeau du prestidigitateur, disait Lacan, « que le lapin qu’on y a mis ». Mais que met-on dans les boîtes noires ? Que cherchent les services ? Des terroristes réels, potentiels, supposés, et sinon ? La réponse du gouvernement est sans appel quand des parlementaires la posent : « secret-défense ». Les algorithmes ont été inventés il y a plus de mille ans par le mathématicien persan Al Khwarizmi, qui ne s’attendait certainement pas à un tel succès. Leur utilisation est devenue politique.

Elle peut être une aide, mais elle exige la transparence. Où se situe la frontière entre la lutte antiterroriste et la « sécurité nationale », quand on sait que le gouvernement s’apprête à faire revenir par la fenêtre ce qui avait été sorti par la porte dans la loi de sécurité globale. La menace, l’urgence, toujours, comme justifications. Un état d’exception qui dure, a pu dire le philosophe italien Giorgio Agamben, « est une méthode de gouvernement ».

 

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