L’article 19 du
projet de loi verrouille l’accès à certains documents. Un déni de démocratie
que dénonce le sénateur PCF Pierre Laurent. Entretien.
PIERRE LAURENT, Sénateur
communiste et vice-président du Sénat
Alors qu’à la remise du rapport Stora sur la guerre d’Algérie Emmanuel
Macron s’est engagé à ouvrir les archives, vous dénoncez, au contraire, leur
fermeture via l’article 19 du projet de loi sur le renseignement examiné
mercredi au Sénat. En quoi est-ce un problème démocratique ?
Pierre Laurent : L’accès aux archives publiques est garanti par la
Constitution et est inscrit de longue date dans le droit commun, ainsi la
communication des archives de plus de cinquante ans est un acquis de plein
droit. Or, le projet de loi du gouvernement restreint considérablement cette
libre communicabilité au-delà de ce délai pour les archives classées
« secret-défense ». L’exécutif avait déjà mis en cause cet accès par une instruction
ministérielle déclarant que ces documents devaient être au préalable
déclassifiés. Le Conseil d’État a purement et simplement cassé cette
instruction début juillet en rappelant la règle constitutionnelle. Pourtant, le
gouvernement persiste en introduisant, avec cet article 19, des
dispositions restrictives qui vont rendre, dans les faits, extrêmement
difficile l’accès aux archives pour les historiens et les chercheurs, et a
fortiori pour le grand public.
Pourtant, le gouvernement assure que c’est une loi d’ouverture et que très
peu de documents sont et seront concernés. En quoi ces arguments ne vous
paraissent pas convaincants ?
Pierre Laurent : L’article 19 n’offre aucune garantie qui permet
de donner du crédit à la parole gouvernementale. Au contraire,
l’administration, et en particulier le ministère de la Défense, pourrait
décider la restriction d’une archive sans limite de délai, et sur la base de
critères qui ne sont pas clairement définis. La loi de 2008 sur les archives
publiques comprend déjà des dispositions sur l’encadrement très strict de
certains documents qui peuvent faire l’objet de restriction à la libre
communication. Au Sénat, cinq groupes parlementaires, sensibles aux
préoccupations des chercheurs, ont fait des propositions convergentes pour en
revenir à l’esprit de cette loi. Mais les aménagements concédés restent très en
retrait par rapport aux garanties qu’apporte le texte de 2008 et auxquelles on
n’aurait pas dû déroger.
Concrètement, qu’est-ce qui va changer dans les conditions de recherches
des historiens avec cet article 19 ?
Pierre Laurent : : Quand un historien ou ses étudiants voudront
engager des recherches sur un fond d’archives, ils ne sauront pas s’ils
pourront accéder aux documents, avec un risque d’augmentation très important
des contentieux portés devant la Commission d’accès aux documents
administratifs. Dans les faits, ce parcours du combattant dissuadera de très
nombreuses recherches car il sera extrêmement difficile, si ce n’est
impossible, et aléatoire d’obtenir l’accès aux archives.
Après l’adoption de la loi, envisagez-vous de mener un recours auprès du
Conseil constitutionnel ?
Pierre Laurent : Après
le vote de la loi, la seule possibilité qui nous restera sera le recours auprès
du Conseil constitutionnel. Nous devons être suffisamment de parlementaires
pour le conduire. Les communistes ne suffiront pas. Nous espérons que des
socialistes, écologistes et centristes allieront leurs efforts pour réunir les
conditions requises. C’est le souhait que j’émets au nom des parlementaires
communistes qui se sont engagés dans ce combat auprès des historiens. Si nous
ne réussissons pas, la mobilisation citoyenne devra se poursuivre afin de
montrer qu’il s’agit bien d’une loi de restriction de l’accès aux archives,
contrairement à ce que prétend le gouvernement, et ainsi obtenir, le plus tôt
possible, une nouvelle délibération législative pour revenir sur ce déni de
démocratie.
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