mercredi 21 juillet 2021

Pierre Laurent : « L’accès aux archives deviendra un parcours du combattant.



L’article 19 du projet de loi verrouille l’accès à certains documents. Un déni de démocratie que dénonce le sénateur PCF Pierre Laurent. Entretien.

PIERRE LAURENT, Sénateur communiste et vice-président du Sénat

Alors qu’à la remise du rapport Stora sur la guerre d’Algérie Emmanuel Macron s’est engagé à ouvrir les archives, vous dénoncez, au contraire, leur fermeture via l’article 19 du projet de loi sur le renseignement examiné mercredi au Sénat. En quoi est-ce un problème démocratique ?

Pierre Laurent : L’accès aux archives publiques est garanti par la Constitution et est inscrit de longue date dans le droit commun, ainsi la communication des archives de plus de cinquante ans est un acquis de plein droit. Or, le projet de loi du gouvernement restreint considérablement cette libre communicabilité au-delà de ce délai pour les archives classées « secret-défense ». L’exécutif avait déjà mis en cause cet accès par une instruction ministérielle déclarant que ces documents devaient être au préalable déclassifiés. Le Conseil d’État a purement et simplement cassé cette instruction début juillet en rappelant la règle constitutionnelle. Pourtant, le gouvernement persiste en introduisant, avec cet article 19, des dispositions restrictives qui vont rendre, dans les faits, extrêmement difficile l’accès aux archives pour les historiens et les chercheurs, et a fortiori pour le grand public.

Pourtant, le gouvernement assure que c’est une loi d’ouverture et que très peu de documents sont et seront concernés. En quoi ces arguments ne vous paraissent pas convaincants ?

Pierre Laurent : L’article 19 n’offre aucune garantie qui permet de donner du crédit à la parole gouvernementale. Au contraire, l’administration, et en particulier le ministère de la Défense, pourrait décider la restriction d’une archive sans limite de délai, et sur la base de critères qui ne sont pas clairement définis. La loi de 2008 sur les archives publiques comprend déjà des dispositions sur l’encadrement très strict de certains documents qui peuvent faire l’objet de restriction à la libre communication. Au Sénat, cinq groupes parlementaires, sensibles aux préoccupations des chercheurs, ont fait des propositions convergentes pour en revenir à l’esprit de cette loi. Mais les aménagements concédés restent très en retrait par rapport aux garanties qu’apporte le texte de 2008 et auxquelles on n’aurait pas dû déroger.

Concrètement, qu’est-ce qui va changer dans les conditions de recherches des historiens avec cet article 19 ?

Pierre Laurent : : Quand un historien ou ses étudiants voudront engager des recherches sur un fond d’archives, ils ne sauront pas s’ils pourront accéder aux documents, avec un risque d’augmentation très important des contentieux portés devant la Commission d’accès aux documents administratifs. Dans les faits, ce parcours du combattant dissuadera de très nombreuses recherches car il sera extrêmement difficile, si ce n’est impossible, et aléatoire d’obtenir l’accès aux archives.

Après l’adoption de la loi, envisagez-vous de mener un recours auprès du Conseil constitutionnel ?

Pierre Laurent : Après le vote de la loi, la seule possibilité qui nous restera sera le recours auprès du Conseil constitutionnel. Nous devons être suffisamment de parlementaires pour le conduire. Les communistes ne suffiront pas. Nous espérons que des socialistes, écologistes et centristes allieront leurs efforts pour réunir les conditions requises. C’est le souhait que j’émets au nom des parlementaires communistes qui se sont engagés dans ce combat auprès des historiens. Si nous ne réussissons pas, la mobilisation citoyenne devra se poursuivre afin de montrer qu’il s’agit bien d’une loi de restriction de l’accès aux archives, contrairement à ce que prétend le gouvernement, et ainsi obtenir, le plus tôt possible, une nouvelle délibération législative pour revenir sur ce déni de démocratie.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire