Ce samedi 5 juin,
dans la capitale azuréenne, se tiendra « Toutes aux frontières », première
action féministe transnationale pour une Europe sans barrières. L’occasion de
mettre en lumière le sort invisibilisé des femmes en exil et les violences subies
lors de ce parcours.
Agrippés au sommet d’une barrière grillagée, des corps de mâles noirs prêts
à déferler sur les sociétés européennes pour en déstabiliser l’équilibre
patriarcal et capitaliste : voilà l’image inlassablement brandie par les
cassandres xénophobes, défenseurs de « l’Europe forteresse ». Les femmes sont
constamment absentes des représentations médiatiques et politiciennes du
phénomène migratoire. Elles représentent pourtant, selon l’ONU, 48 % des
personnes migrantes dans le monde, 50 % des réfugiés et entre 51 % et
54 % des personnes en migration vers l’Europe…
Ce samedi 5 juin, aux abords de la frontière franco-italienne, à Nice
(Alpes-Maritimes), des féministes venues de toute l’Europe se donnent
rendez-vous pour briser ce sort d’invisibilité fait aux femmes exilées. « Nous
refusons les politiques de criminalisation des migrations qui tuent, qui
torturent et qui pèsent particulièrement sur les femmes, notamment sur les
lesbiennes et les personnes trans », explique Pinar Selek,
instigatrice de ce rassemblement d’un genre nouveau baptisé « Toutes aux
frontières ». Elle-même réfugiée en France, l’avocate, sociologue, poète et
bête noire du bourreau d’Ankara, Recep Tayyik Erdogan, a été condamnée, en
2017, à la réclusion criminelle à perpétuité en Turquie. « Notre action
veut rendre visible ce qui ne l’est pas, clame la militante. Elle
est bien sûr ouverte à tous, mais cette fois-ci le féminin l’emportera sur le
masculin. Durant sa trajectoire migratoire, toute personne non conforme à
l’ordre patriarcal est cible de violences sexistes. Féministes habitantes de
l’Europe, nous allons déployer nos forces pour rendre visible ce qui ne l’est
pas, en dénonçant les frontières politiques, constructions viriles et
militaristes, fond ées sur des guerres, des violences et des
morts. »
De fait, il existe très peu de statistiques chiffrées concernant les femmes
et personnes LGBTQI+ en migration. Elles sont pourtant les plus nombreuses à se
noyer en Méditerranée centrale. Subissant le regard sexiste des passeurs, des
forces de sécurité sur leur parcours, mais aussi de leurs compagnons sur le
chemin de l’exil, parfois même des citoyens solidaires et des institutions qui
leur tendent la main, elles sont contraintes à des parcours toujours plus
longs, plus onéreux et plus dangereux. « Elles sont placées à
l’intérieur et au centre de l’embarcation par leurs compagnons d’infortune afin
de les protéger de la noyade, peut-on lire ainsi dans un des carnets
de bord de l’ Ocean-Viking, le nouveau navire de sauvetage de
SOS Méditerranée. Cette position est particulièrement dangereuse.
Assises au centre des canots pneumatiques, elles sont particulièrement
vulnérables aux fuites d’essence, qui, au contact de l’eau salée, se
transforment en substance corrosive qui brûle la peau et dégage des gaz
toxiques. (…) Les personnes assises au fond de l’embarcation sont souvent les
premières victimes de noyades à bord même du canot, des suites de
bousculades, de piétinements et d’asphyxie. »
Une augmentation constante du nombre d’exilées enceintes
L’association, qui a annoncé, en mars dernier, avoir sorti des eaux
5 000 femmes en cinq ans, témoigne également des viols quasi systématiques
dont elles sont victimes dans les centres de rétention gérés par les milices
libyennes, que financent les pays membres de l’Union européenne. Elle indique
par ailleurs une augmentation constante du nombre d’exilées enceintes. Elles
représentaient 4,6 % des femmes accueillies à bord de l’ Aquarius au
début des opérations de SOS Méditerranée, en 2016. L’année suivante, elles
étaient déjà 10,5 %.
Le calvaire vécu sur leur parcours migratoire ne s’arrête pas pour autant
lorsque ces femmes exilées atteignent l’Europe. « Elles arrivent pour
la plupart complètement détruites, pointe Violaine Husson, responsable
des questions genre et protection à la Cimade. Mais les organismes qui
étudient les demandes d’asile ne se concentrent que sur les risques encourus en
cas de retour dans leur pays d’origine, sans prendre en compte les violences
subies sur leur parcours migratoire. » Les lesbiennes et femmes
transsexuelles souffrent particulièrement du manque de prise en compte de la
vulnérabilité inhérente à leur « sexo-spécificité ». Une fois
en Europe, les exilés s’appuient habituellement, pour trouver un logement ou
des moyens de se nourrir, sur les communautés de personnes originaires de leur
pays de départ. Mais les trans et lesbiennes, vivant à la rue, se retrouvent
vite confrontées aux mêmes rejets transphobes et homophobes qu’elles ont
fuis. « Elles doivent cacher leur identité pour ne pas subir les mêmes
violences et agressions », explique Mireille Franzini, du Centre
LGBTQI+ de la Côte d’Azur. Il en va de même dans les centres d’hébergement
d’urgence et autres centres d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada).
« Cette procédure administrative est intrusive et subjective »
Pour obtenir ce statut, elles doivent, en outre, prouver à la fois leur
orientation sexuelle, leur identité de genre et le fait que celles-ci
constituent un motif de persécution. Elles se retrouvent obligés de divulguer
au grand jour des situations qu’elles se sont, une vie durant, employées à
dissimuler. Avec un impératif : convaincre les inspecteurs de l’Office français
de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). « Cette procédure
administrative intrusive et subjective, combinée aux obstacles linguistiques,
accentue la difficulté des démarches, insiste le Bureau d’accueil et
d’accompagnements des migrants (Baam). De fait, l’appréciation des
agents de l’Ofpra repose sur la conformité à des stéréotypes de genre et la
capacité des demandeur.se.s à parler de leur sexualité. »
Les femmes exilées en quête de refuge en France parce qu’elles fuient des
violences conjugales, des mutilations sexuelles, l’esclavage, la prostitution
ou le mariage forcé ne sont d’ailleurs pas forcément mieux loties. Le statut de
réfugié est accordé à ces femmes dès lors que l’Ofpra reconnaît leur
appartenance à un « groupe social » prédéfini par l’institution. « Ces
groupes sociaux sont définis par jurisprudence, précise Violaine
Husson. Ça permet des avancées, mais on voit aussi de nettes
régressions. » Depuis un an et demi, face aux grand nombre de
demandeuses nigérianes appartenant au groupe « traite sexuelle », l’Ofpra
conditionne, par exemple, pour ces dernières, l’obtention du statut au fait de
s’être extraite des réseaux de prostitution. Une Nigériane étant encore sous
l’emprise de ses proxénètes sera déboutée. Mais pas une ressortissante d’un
pays de l’Est. Idem concernant l’excision. « Depuis 2008, les parents
maliens cherchant à protéger leur fille d’un acte de mutilation sexuelle
n’obtiennent plus l’asile en France », indique encore la responsable
de la Cimade. Et ce, au nom du fameux « appel d’air »… En clair, les violences
subies par les femmes en exil sont prises en compte selon des critères fixés
par des agendas politiques.
Une triste réalité que
vont rappeler ce week-end, à Nice, les nombreuses exilées invitées à prendre la
parole. L’occasion de souligner la violence des politiques migratoires
européennes à l’encontre des femmes et de toutes les personnes non conformes à
l’ordre patriarcal.
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