mardi 25 mai 2021

Transport ferroviaire. Perpignan-Rungis : le refus du train fantôme



Marion d'Allard

Ce mardi, aux deux bouts de la ligne, la CGT appelle à la mobilisation pour la relance effective d’un train de fret indispensable, mis à l’arrêt en juillet 2019.

Mickaël Meusnier ne s’est pas assis dans la cabine de conduite du Perpignan-Rungis depuis près de deux ans. En juillet 2019, l’unique train de fret transportant des produits périssables en France a effectué son dernier trajet. Officiellement, ce terminus n’est alors que « temporaire ». Mais depuis, inexorablement, la route a pris le relais du rail. Les milliers de poids lourds qui transportent désormais fruits et légumes frais depuis le marché Saint-Charles de Perpignan jusqu’à celui de Rungis hypothèquent un peu plus chaque jour la remise en service de la ligne.

« Je ressens comme un immense dégoût, confie le cheminot perpignanais, cette ligne, qui était la vitrine du fret ferroviaire, est devenue le symbole de sa casse. » Militant de la CGT, Mickaël, de toutes les mobilisations pour sauver ce « train des primeurs », sera à Perpignan, ce mardi, à l’appel de son syndicat « pour que le gouvernement prenne enfin ses responsabilités ». Une mobilisation dupliquée le même jour, à près de 900 kilomètres au nord, devant les portes du ministère des Transports, à Paris.

Derrière les discours, rien ne bouge

Aberration écologique, erreur stratégique et gabegie économique, l’arrêt forcé du train des primeurs a bien du mal à trouver une justification. « En 2017, 138 000 tonnes de fruits et légumes ont été acheminées à son bord. Ils remontent désormais l’Autoroute du soleil à bord d’une cinquantaine de camions. À l’année, ce sont près de 25 000 poids lourds qui assurent la liaison Perpignan-Rungis », rappelle d’ailleurs la CGT des cheminots.

Aberration écologique et économique, près de 25 000 poids lourds assurent désormais la liaison du train des primeurs.

Face à l’évidence du gâchis, depuis deux ans, du ministère des Transports à Matignon, on jure la main sur le cœur que le train de fret reprendra le départ prochainement. « Je me bats pour rétablir le train des primeurs entre Perpignan et Rungis », lançait le premier ministre il y a moins d’une semaine, alors qu’il s’apprêtait à passer la nuit à bord du Paris-Nice renaissant. Au ministère des Transports, Jean-Baptiste Djebbari tente pour sa part de justifier tantôt par le Covid, tantôt par la baisse généralisée de la part modale du fret ferroviaire la stagnation du dossier. « Nous assistons au lent déclin de l’activité fret ferroviaire, il faut l’enrayer », affirmait à la Fête de l’Humanité le ministre des Transports en septembre 2020, assurant au passage que le gouvernement planchait sur l’extension du Perpignan-Rungis « au sud, vers Barcelone, et au nord, vers les ports d’Anvers et de Dunkerque ».

Mais derrière le discours, rien ne bouge. Les wagons réfrigérés du train des primeurs croupissent et le flou prédomine. Pire. Entre-temps, Ermewa, la filiale de la SNCF propriétaire des 80 wagons du Perpignan-Rungis, a été vendue par le groupe ferroviaire, « ce qui aboutira indéniablement à une augmentation des tarifs de location pour ce matériel », déplore Mickaël Meusnier.

«Le renouvellement de ce matériel roulant très spécifique se chiffrant en millions, ni les chargeurs, ni la SNCF, ni l’État ne veulent payer la note.»  CGT

Bref, « quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage », résumait récemment Charlotte Thillien, de l’union locale CGT de Perpignan sud. Selon la syndicaliste, si l’affaire est complexe et engage une multitude d’acteurs, le sort du train des primeurs a été scellé de longue date : « Les deux transporteurs, Rey et Roca (qui ont précipité l’arrêt du train en ne renouvelant pas leur contrat avec la SNCF – NDLR), ont décidé, dès juillet 2018, qu’ils passeraient tout par la route. » Une décision motivée, entre autres, par la vétusté des wagons, proches de 40 année d’ancienneté. Le renouvellement de ce matériel roulant très spécifique se chiffrant en millions, ni les chargeurs, ni la SNCF, ni l’État ne veulent payer la note. Pourtant, assure la CGT, « avec une maintenance adéquate et adaptée, la durée de vie des wagons pourrait être rallongée, comme les voitures Corail, qui elles aussi ont plus de 40 ans ».

« Ce qui bloque, ce sont les financements »

Devant la multiplication des mobilisations et la détermination de ses défenseurs à voir redémarrer le Perpignan-Rungis, l’État a lancé, il y a quelques mois, un appel à manifestation d’intérêt. « De voix plus ou moins officielles, on sait qu’entre six et huit dossiers ont été déposés avant la clôture définitive de l’appel le 29 janvier dernier », explique Mickaël Meusnier. Parmi lesquels Esifer, entreprise française de transport routier et ferroviaire, mais aussi Fret SNCF – désormais filiale du groupe public –, qui aurait déposé deux dossiers adossés à deux chargeurs différents.

La décision finale d’attribution devait tomber fin avril pour un redémarrage prévu en juin. Mais rien n’a été officialisé. Et le temps presse. « Pour réviser et remettre en état de marche des wagons qui n’ont pas roulé depuis des mois, il nous faudra du temps », explique Yvan, agent des ateliers de maintenance de Perpignan. À raison « de deux à trois wagons par semaine » pour près de 80 en tout, le calcul est vite fait… Le Perpignan-Rungis ne sera sans doute pas sur les rails à la date prévue.

« Ce qui bloque, ce sont les financements. On a les conducteurs, des chargeurs, on peut faire rouler les wagons existants, les sillons de circulation sont disponibles, la marchandise est là, égraine Mickaël Meusnier, il faut juste une décision politique. Le Covid vient de nous prouver que l’État est capable de trouver de l’argent lorsqu’il le juge nécessaire. Tout le reste n’est que communication. »

 

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