Pour Leïla SHAHID, les
attaques menées contre la jeunesse ont réunifié le peuple palestinien.
L’ex-ambassadrice analyse la crise de légitimité des autorités palestiniennes
et dénonce l’impunité accordée à Israël. Entretien.
LEÏLA SHAHID, Ancienne
ambassadrice de Palestine auprès de l’Union européenne
Observatrice attentive des événements du Proche-Orient, Leïla SHAHID met en
garde contre une nouvelle explosion de colère si la nouvelle génération de
Palestiniens n’obtient rien, ne serait-ce que le droit à la justice.
Comment analysez-vous les événements de ces dernières semaines et l’annonce
d’un cessez-le-feu ?
Leïla SHAHID : Je me félicite d’un cessez-le-feu qui va sauver
des vies à Gaza, à Jérusalem, en Cisjordanie mais aussi en Israël. Même si la
disproportion est énorme entre les quelque 250 morts, dont 66 enfants et 39
femmes (ainsi que 75 000 déplacés), à Gaza et les douze Israéliens, dont un
enfant.
Mais je suis profondément attristée et même choquée que les médias – et je
ne parle pas de l’Humanité – ne parlent des Palestiniens que
lorsqu’ils meurent. Cela fait pratiquement quatre ans que personne ne parlait
plus d’eux, comme s’ils étaient devenus des fantômes.
Je suis persuadée que Benyamin Netanyahou ayant échoué à former un
gouvernement après la quatrième élection législative s’est dit que le meilleur
moyen était de provoquer un incident. Au début, c’est lui qui a envoyé ses amis
sionistes, nationalistes, racistes tabasser les jeunes Palestiniens aux cris
de « mort aux Arabes » à la porte de Damas. Puis à l’esplanade
des Mosquées la nuit du destin, la plus importante du mois du ramadan, où les
amis de Ben Gvir, aujourd’hui membre de la Knesset, protégé par l’immunité
parlementaire grâce à Netanyahou, ont sciemment provoqué les incidents avec les
jeunes de Jérusalem. Et le lendemain, ils sont aussi allés défiler dans le
quartier de Cheikh Jarrah. Le Hamas a profité de cet état des choses pour
s’arroger le rôle de défenseur de Jérusalem et du Haram Al-Charif.
Les jeunes en ont ras le bol d’entendre l’Autorité palestinienne rabâcher
le processus de paix, les négociations, les accords d’Oslo. Il n’y a plus d’accords
d’Oslo signés il y a vingt-huit ans. Il faut que Mahmoud Abbas ait le courage
de reconnaître cet échec. Les attaques menées contre ces jeunes ont réunifié le
peuple palestinien. La société palestinienne est une société de résistance.
Elle a ses propres règles, ses propres perceptions du moment historique. Le
cessez-le-feu ne signifie pas la paix. Mais cela permet de limiter le nombre de
morts. Nous sommes un petit peuple mais nous avons le droit de vivre.
Comment jugez-vous l’attitude de ce qu’on appelle la « communauté
internationale » ?
Leïla SHAHID : Une des raisons de l’explosion de violences réside dans
le fait que la jeunesse n’en peut plus de la lâcheté, de l’hypocrisie et de la
complicité de ce qu’on appelle la communauté internationale. C’est une gifle
pour les États arabes qui ont normalisé leurs relations avec Israël alors que
tout ce qui les intéresse, c’est de s’opposer à l’Iran.
Il y a aussi l’Union européenne, très investie sur le plan financier mais
absente sur le plan politique. Lorsque l’impunité est accordée à un État ou à
une armée, c’est en soi producteur de violence et de destruction. Or, cette
impunité est accordée à Israël depuis cinquante-quatre ans. Depuis le
5 juin 1967, cinq millions de personnes vivent sous occupation militaire.
Pour vaincre, il faut gagner l’opinion publique. D’où l’importance de la
solidarité internationale. Je regrette d’ailleurs que les autorités françaises
se soient crues obligées d’accuser les militants de la solidarité
d’antisémitisme et d’empêcher la manifestation à Paris au moment où il y en a
eu dans chaque capitale du monde.
La structure politique palestinienne n’est-elle pas en crise ?
Leïla SHAHID: La crise palestinienne est très profonde. C’est celle de la
légitimité de l’Autorité palestinienne (AP) issue de l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP). Il y a vingt-huit ans, elle avait promis que
nous aurions, petit à petit, une souveraineté sur notre territoire et un État à
Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Nous en sommes plus loin que jamais.
L’AP devait organiser des élections que le président Abbas a décidé d’annuler
en disant qu’on n’avait pas la possibilité de les tenir à Jérusalem. On aurait
pu faire ces élections sans demander la permission à l’occupant. S’il avait eu
le courage de le faire, nous aurions eu un mouvement magnifique et non
militaire. Nous aurions pu gagner une grande bataille politique, en particulier
à Jérusalem. Nous aurions unifié les Palestiniens partout.
La situation israélo-palestinienne fonctionne en miroir. C’est parce que
nous sommes affaiblis que le Hamas s’est renforcé. C’est parce qu’il n’arrive
pas à former un gouvernement que Netanyahou déclenche les hostilités militaires
à Gaza.
La crise de légitimité et les mauvaises décisions de l’Autorité palestinienne
ont permis au Hamas de gagner le cœur des gens. Lorsqu’on est écrasé par une
puissance militaire, humainement on a besoin d’une réponse similaire. Il y a un
terrorisme d’État avec les avions israéliens. Et il y a un terrorisme qui fait
qu’on envoie des roquettes sur des civils. Or, lorsque des civils israéliens
sont tués on parle de terrorisme, jamais lorsque ce sont des civils
palestiniens. On affirme que des terroristes ont été tués : les 66 enfants
morts sont donc des terroristes ?
Et maintenant, qu’attendez-vous ?
Leïla SHAHID : L’histoire n’a pas commencé il y a deux semaines, mais
il y a cinquante-quatre ans avec l’occupation des territoires palestiniens par
la force et la colonisation. Jérusalem-Est a été annexée de même que le plateau
du Golan, la bande de Gaza est assiégée depuis plus de quatorze ans avec les
conséquences terribles pour la population.
Le président Biden, un peu honteux de s’être opposé pendant dix jours à
toute résolution du Conseil de sécurité, content d’avoir assuré le
cessez-le-feu à travers l’Égypte, promet maintenant une aide très généreuse
pour la reconstruction. Mais la question de Gaza et de la Palestine n’est pas
seulement humanitaire. Nous vivons depuis cinquante-quatre ans une dépossession
de notre droit à la liberté et à la souveraineté.
La réalité palestinienne s’est imposée. Mais s’ils reviennent au jargon du
processus de paix, on n’ira nulle part. Ça va exploser de nouveau. Ceux nés
après Oslo n’ont plus aucun espoir mais ils savent une chose : ils ont droit à
la justice, à l’égalité des droits. En tant que citoyens du monde, ils
considèrent que la lutte n’est plus confinée à ces territoires qu’on nous avait
imposés à Oslo.
Pour se libérer de ce carcan, les Palestiniens mènent ce combat de manière
pacifique, culturelle, politique. Cette façon d’internationaliser le combat
renforce les Palestiniens. Et ça, ce n’est pas le processus de paix qu’on a
connu pendant vingt-huit ans et qui nous imposait de patienter. Nous n’aurions
jamais dû attendre autant. Nous aurions dû nous rendre compte plus rapidement
qu’ils n’étaient pas sérieux à propos de la souveraineté, la liberté et l’État
de Palestine. Nous ne pouvions pas être les seuls à respecter les accords alors
que tous les premiers ministres israéliens depuis l’assassinat de Rabin ont
lutté contre.
En Israël même, ce sont
les jeunes colons que l’on a vu défiler dans les rues de Jérusalem et ailleurs
aux cris de « mort aux Arabes ». Or, la plupart des démocrates israéliens ne
veulent pas cela. Il y aura, je pense, une prise de conscience dans la société
israélienne pour défendre leur propre démocratie. En 2021, il existe autant de
Palestiniens que de juifs israéliens si l’on prend en compte Gaza, la
Cisjordanie, Jérusalem et Israël. Les Israéliens doivent comprendre qu’il faut
donner des droits égaux aux deux parties. Il ne s’agit pas d’une guerre de
religion. C’est une guerre coloniale, c’est une résistance anticoloniale. Nous
continuerons cette nouvelle lutte avec tous nos amis israéliens
anticolonialistes. Mais certainement pas dans les petits pas d’un processus de
paix du type de celui que nous avons connu. Il faudra que cela se fasse de
manière beaucoup plus saine dans la reconnaissance que les citoyens
palestiniens doivent avoir les mêmes droits. Sous quelle forme ? On en
discutera. Mais avant, il faut mettre fin à l’occupation.
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