vendredi 30 avril 2021

Philippe Martinez : « Pas besoin de faire sonner le réveil social : les colères sont déjà là !


 

Stéphane Guérard

Philippe Martinez compte sur ce 1er Mai pour placer les questions sociales au cœur du débat public. Avant de nouvelles journées d’action en mai et juin. Entretien.

PHILIPPE MARTINEZ, Secrétaire général de la CGT

Quelques heures avant de nous recevoir, Philippe Martinez provoquait un éclat de rire d’Emmanuel Macron en lui faisant remarquer qu’ « heureusement que nous avons eu notre modèle social pour faire face à la crise ». À peine sorti de cette réunion des syndicats et patronats à l’Élysée en vue du prochain sommet social européen, le secrétaire général de la CGT s’est à nouveau saisi de la défense de ce modèle pour envisager les défilés de samedi.

À quoi ce 1er Mai va-t-il ressembler ?

Philippe Martinez L’an dernier, il y a eu de la frustration de ne pas pouvoir défiler. Nous reprenons nos bonnes habitudes avec des rassemblements qui expriment deux choses. Les mécontentements qui se sont accumulés cette année écoulée. Et nos revendications, qui sont toujours plus d’actualité.

Est-il bien raisonnable d’appeler à manifester ?

Philippe Martinez Nous défilerons dans le respect des consignes sanitaires. Si j’ai bien compris, celles-ci appelaient les gens à aller dehors. C’est exactement ce que nous faisons.

Est-ce le réveil des mobilisations sociales ?

Philippe Martinez Pas besoin de faire sonner le réveil. Ça n’a pas été le calme plat jusqu’ici et les colères sont déjà bien là. Dans la métallurgie, les salariés sont très mobilisés, comme les agents de l’énergie contre le projet Hercule, les professionnels de santé ou les intermittents et les travailleurs de l’événementiel qui occupent les lieux de culture. Et j’en oublie, comme les salariés de Carrefour… Tous défilent samedi pour l’emploi et les salaires. Et il y a la réforme de l’assurance-chômage…

Craignez-vous que cette réforme n’annonce d’autres tours de vis budgétaires ?

Philippe Martinez Le quinquennat d’Emmanuel Macron s’est ouvert sur la casse du Code du travail et s’achève avec cette réforme qui cogne sur les privés d’emploi. Pourtant, il y a tant d’attentes sociales à satisfaire. Mais le « quoi qu’il en coûte » n’est clairement pas pour tout le monde. Il y a quatre ans, Macron supprimait l’ISF. Aujourd’hui, il tape sur les plus précaires.

Ne faut-il pas contenir les dépenses publiques alors que la dette a explosé ?

Philippe Martinez De quoi parle-t-on quand on évoque la dette ? Une partie reste liée à l’argent public qui s’est déversé lors de la crise de 2008 pour sauver les banques. Il serait temps qu’elles remboursent. Aujourd’hui, la dette est indispensable. Contrairement à ce que disent Bruno Le Maire ou Jean Castex, elle n’est pas une tare. Nous, comme tous les autres pays, en avons eu besoin pour faire face à cette crise jamais vue et, maintenant, pour moderniser les hôpitaux, recruter dans l’éducation nationale… Ce n’est pas une dette, mais un investissement. Quand une entreprise emprunte ou fait appel à ses actionnaires pour investir, ça ne choque personne. Pourquoi l’État, les collectivités locales, l’hôpital ne pourraient-ils pas faire de même ? Regardez Biden aux États-Unis.

Vous êtes devenu pro-Biden ?

Philippe Martinez Il n’était pas étiqueté comme le plus révolutionnaire des candidats ! Et il dit juste : nous avons besoin d’un État fédéral fort, de grands travaux pour les infrastructures, d’un système de santé performant, de lutter contre la pauvreté… Pourquoi nous en effrayer ? Ce que fait Biden nous montre que notre modèle social n’est pas si mauvais. La seule question que pose la dette est celle de ce que nous faisons de l’argent public : mettons-le en faveur du bien commun ou pour soutenir des intérêts privés ? Il est scandaleux que l’État donne 5 milliards d’euros à Renault et que l’entreprise s’en serve pour tailler dans ses effectifs.

Les mesures en faveur de l’intéressement, de la participation, la prime Macron ou les donations entre générations ne répondent-elles pas aux enjeux de pauvreté et d’inégalités ?

Philippe Martinez L’intéressement et la participation, c’est bien s’il s’agit de donner plus aux salariés. Mais ce que propose Bruno Le Maire revient à diminuer la part socialisée des salaires, le « brut », qui finance notre protection sociale. C’est donc un jeu de dupes. Il y aurait une façon simple de régler le problème des rémunérations : augmentons le Smic et négocions au niveau des branches pour faire de même à tous les échelons. Le « coup de pouce » au Smic du gouvernement pour 2021 correspond au prix d’une demi-baguette par mois, sans la tranche de jambon ni le beurre dedans !

Pourquoi la CGT ne participe-t-elle pas aux discussions entre syndicats et patronat pour envisager de futurs sujets de négociation ?

Philippe Martinez On ne pratique pas la politique de la chaise vide. Ce qui était proposé consistait à dresser un état des lieux du paritarisme. Aucun salarié ne m’a interpellé sur ce sujet. On ne refuse jamais une négociation. Mais quand on discute, c’est pour du concret.

Ce 1er Mai survient à quelques mois d’échéances électorales. Comment la CGT compte-t-elle faire entendre sa voix ?

Philippe Martinez On n’attend pas tous les cinq ou six ans pour travailler un programme. Le nôtre est connu ! Je ne minimise pas les questions de sécurité. Mais l’emploi, les salaires font partie des préoccupations majeures des Français. Ce 1er Mai doit servir à les imposer dans le débat public. D’autres journées d’action en mai et juin scanderont ce printemps offensif.

 

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