Enfermé en France, il
est maintenant septuagénaire. Défenseur du droit des Palestiniens et plus ancien
prisonnier d’Europe, il est libérable depuis 1999. Il suffirait pourtant d’un
arrêté d’expulsion pour que les portes de sa cellule s’ouvrent.
Georges Ibrahim Abdallah fête ses 70 ans aujourd’hui. Ses yeux de
nouveau septuagénaire apercevront le monde comme ils les voient depuis plus de
trente-six ans maintenant : derrière les barreaux d’une prison. C’est ce monde
justement qu’il rêvait de changer quand, dans sa jeunesse au nord du Liban, il
a commencé à comprendre l’injustice faite aux paysans et aux ouvriers libanais,
aussi bien qu’à ces centaines de milliers de Palestiniens, réfugiés au pays du
Cèdre. Un rêve qu’il n’a jamais abandonné, qui illumine l’obscurité lorsqu’il
clôt ses paupières pour que la persistance ne soit pas que rétinienne.
Georges Ibrahim Abdallah a toujours été un résistant. Un combattant. Y
compris lorsque, après des études à Beyrouth, il est devenu instituteur dans la
plaine de la Bekaa. Comment apprendre la justice et la fraternité aux enfants
lorsque la partie sud du pays est envahie par Israël ? La force du mot n’est
pas toujours suffisante lorsqu’il s’agit d’affronter des commandos militaires.
Alors, Georges, issu d’une famille chrétienne maronite, qui a troqué les
Évangiles pour Marx et Lénine, va s’engager et suivre des entraînements
militaires dans divers pays progressistes de la région. Il est alors proche du
Mouvement nationaliste arabe (MNA) et du Front populaire de libération de la
Palestine (FPLP). Puis, il participe à la création des Fractions armées
révolutionnaires libanaises (FARL), organisation communiste et
anti-impérialiste.
Avec d’autres militants, il est envoyé en France pour poursuivre le combat.
Le contexte d’alors est terrible. La guerre civile fait rage au Liban et
l’armée israélienne se déchaîne dans le sud du pays. Les assassinats politiques
se multiplient de tous les côtés. Survient alors, en janvier 1982, l’assassinat
de l’attaché militaire adjoint de l’ambassade des États-Unis à Paris. Trois
mois plus tard, un diplomate israélien est également abattu. Les deux hommes
auraient en commun leur appartenance à la CIA et au Mossad. Georges Ibrahim
Abdallah est arrêté en 1984. Il est condamné en 1986 à quatre ans de prison
pour détention d’arme et usage de faux papiers. Il est de nouveau jugé le
28 juillet 1987, malgré ses dénégations, pour complicité d’assassinat et
condamné à la perpétuité à une époque où la peine de sûreté n’existe pas (lire
l’entretien avec Jean-Louis Chalanset ci-contre). À titre de comparaison, on
rappellera que plusieurs dirigeants de l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP) ont été assassinés à Paris, vraisemblablement par les services
israéliens, sans qu’aucune arrestation ait lieu. La représentante de l’ANC (le
parti de Nelson Mandela), Dulcie September, a elle aussi été abattue dans la
capitale française mais aucun assassin n’a été retrouvé. Quant à l’enlèvement
et à la disparition de l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, on en est encore
aux supputations.
Chape de plomb sur les raisons de l’acharnement français
C’est dire le caractère éminemment politique de l’affaire et de
l’acharnement des autorités françaises. Georges Ibrahim Abdallah est
aujourd’hui le plus vieux prisonnier d’Europe. Il a déjà passé plus de temps en
prison que Nelson Mandela. Or, il est libérable depuis 1999. Toutes ses
demandes de libération ont été rejetées. Et si un tribunal accède finalement à
la demande, il y a toujours une cour ou un ministre pour faire appel. Que
peuvent invoquer les dirigeants français pour expliquer cet acharnement ? Il y
a d’abord eu une chape de plomb. Puis, petit à petit, grâce aux comités de
soutien qui se sont formés en France et dans le monde (voir encadré), un voile
a été levé sur le sort de ce prisonnier politique. Mais les pressions
états-uniennes et israéliennes (évoquées par l’ancien patron des services
secrets français Yves Bonnet) restent fortes et sont partagées par des hommes
comme Manuel Valls. Celui-ci, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, avait
la possibilité de mettre fin à ce calvaire en signant un arrêté d’expulsion. Il
s’y est refusé. Paradoxalement, cet arrêté, qui est demandé par l’avocat de
Georges Ibrahim Abdallah devant le tribunal administratif de Paris, s’il était
émis, ouvrirait la porte de la prison. Il pourrait alors rentrer chez lui, au
Liban.
Georges Ibrahim Abdallah est incarcéré sous le numéro d’écrou 2388/A221 au
centre pénitentiaire de Lannemezan, au pied des Pyrénées. « Calme et
déterminé, l’homme semble indestructible par sa prestance et la solidité de ses
convictions renforcées au fil des ans et des soubresauts du monde. Embrassades
et mots d’accueil avec un brin de malice, involontaire sans doute quand ses
premiers mots sont pour nous demander comment nous avons supporté les deux mois
de confinement. » Voilà ce qu’écrivait dans nos colonnes Alain Raynal,
collaborateur de l’Humanité, qui lui avait rendu visite en
août de l’année dernière. Un journal, l’Huma, qui parvient à
Georges Ibrahim Abdallah, dans sa cellule. Animateur du collectif des
Hautes-Pyrénées, Daniel Larregola va aussi le voir régulièrement. Des visites
plus espacées à cause de la pandémie. Il confirme son état d’esprit lucide et
combatif en faveur des Palestiniens, des migrants et de toutes les causes
progressistes dans le monde.
Ce 2 avril marque
les 70 ans de Georges Ibrahim Abdallah. Demander sa libération, dénoncer
l’acharnement des gouvernements français successifs, porter son nom en une de
notre journal, c’est aussi lui dire : « Bon anniversaire Georges ! »
Une carte-pétition adressée à emmanuel macron
De nombreuses personnalités à travers le monde ont apporté leur soutien à
Georges Ibrahim Abdallah. Parmi celles-ci, Angela Davis, qui sait ce qu’être
pourchassé et emprisonné veut dire lorsqu’on est anti-impérialiste. Mais c’est
sans doute le collectif des Hautes-Pyrénées (4, rue des Haras, 65000 Tarbes)
pour la libération de ce militant libanais qui a su le mieux maintenir la
flamme pour qu’il ne soit pas oublié. Des manifestations sont régulièrement
organisées devant la prison de Lannemezan. Les parlementaires de tous bords,
interpellés, ont saisi le garde des Sceaux et le ministre de
l’Intérieur. Il y a une dizaine de jours, l’ambassadeur du Liban en France
et la ministre libanaise de la Justice ont rendu visite à Georges Ibrahim
Abdallah en prison.
Le collectif vient d’éditer une
carte-pétition « 37 ans, Stop ! » à adresser à Emmanuel Macron, demandant
un arrêté d’expulsion pour que Georges puisse retrouver son pays natal. Enfin,
il est possible de lui écrire directement : Georges Ibrahim Abdallah,
2388/A221, CP de Lannemezan, 204, rue des Saligues, BP 70166 65307 Lannemezan.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire