Paul Ricaud. Emilio Meslet. Lola Scandella. Lucas Martin-Brodzicki
Après l’annonce d’une
fermeture des écoles à partir de mardi et l’extension des mesures de
restriction, de nombreux Français se démènent, bon gré, mal gré, pour
s’organiser. Et redoutent de perdre du salaire, voire leur boulot. Récit.
Dans l’artère principale de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), Fatou fait
quelques courses, accompagnée de son fils de 7 ans. À partir de mardi
prochain, celui-ci ne retournera pas à l’école pendant trois semaines. « Ça,
ça ne change pas grand-chose. Je suis déjà au chômage partiel depuis un an et
je peux le garder, raconte la gouvernante d’hôtel. Par contre,
je suis privée d’un quart de mon salaire depuis tout ce temps, c’est le plus
dur. » À la tête d’une famille de quatre enfants, Fatou
accepte de « se serrer la ceinture » et de « mettre sa
vie entre parenthèses », dans l’idée que les restrictions « servent
une bonne cause ». Ses économies s’épuisent, mais elle garde l’espoir
« de voir le bout d’un tunnel » qui n’en finit pas.
Dans la plus grande ville du département, les rues s’adaptent aux
contraintes des confinements successifs. Depuis deux semaines que
l’Île-de-France est placée sous couvre-feu à 19 heures, sans restriction
de sorties, la vie s’organise à l’extérieur. Dans le centre-ville, les
habitants profitent des beaux jours pour se retrouver dans les rues et faire
quelques achats depuis le pas de porte des commerces autorisés à ouvrir. Une
manière de repousser, encore un peu, le casse-tête à venir. Dans les quartiers
populaires, les annonces d’Emmanuel Macron ont jeté à nouveau un froid. Et les
populations, déjà surexposées à la précarité et au virus, redoutent les effets
de la fermeture des établissements scolaires et du renforcement des mesures de
restriction.
Dans ce département, le plus touché par la pandémie, le taux d’occupation
des lits de réanimation a atteint un pic de 172 % ces derniers
jours. « On n’a pas le choix. La maladie est là et il faut s’adapter »,
concède Ismaël. Père d’une famille de deux enfants, il sait que ni son emploi
de préparateur de commandes ni celui de sa femme, employée d’un Ehpad, ne leur
permettront de garder leurs enfants de 6 et 13 ans à partir de la
semaine prochaine. « On les fera tester et les grands-parents les
garderont, on ne peut pas faire autrement », prévoit-il, conscient du
risque pour les enfants de transmettre le virus. Amel, 27 ans, est
rassurée de voir les écoles enfin fermées « pour que les enfants
restent en sécurité ». Elle continuera d’exercer son travail depuis
chez elle, sans pouvoir s’occuper de ses jeunes enfants de 3 et
6 ans. « J’ai déjà essayé et c’est impossible, la petite crie
partout », glisse-t-elle, un sourire sous le masque. Elle déposera donc les
enfants chez ses parents tous les matins avant de commencer ses journées. « De
toute façon, ils ont déjà eu le Covid. J’espère juste qu’ils ne retomberont pas
malades. »
Lyon « Si ça ne dure que quatre jours, ça ira… »
À la Guillotière, quartier populaire en plein cœur du 7e arrondissement de
Lyon (Rhône), c’est la traditionnelle effervescence de la pause déjeuner.
Postés à la sortie du métro ou à l’arrêt de tramway, de jeunes hommes tentent
de vendre un peu de cannabis ou des paquets de cigarettes. Les annonces
d’Emmanuel Macron ? « J’ai pas suivi », lâche Hakim, sans
emploi ni enfants. Quelques centaines de mètres plus loin, place Mazagran,
Charlotte, elle, a regardé l’allocution présidentielle. Et depuis,
l’enseignante d’une classe de CP et son conjoint, parents de Paul, 6 ans,
retournent dans leur tête l’organisation des prochains jours. « Il
semblerait qu’on puisse choisir notre lieu de confinement. Nous hésitons à
rejoindre mes parents dans le Sud… », avance-t-elle, pendant que le
garçon dévale son toboggan préféré.
Pour Lyon et l’ensemble du Rhône,, le nouveau tour de vis ne va pas
bouleverser l’organisation des parents : en zone A, les vacances de printemps
étaient déjà prévues pour s’étaler du 10 au 26 avril. Néanmoins, la
semaine prochaine, il va falloir assurer les cours à distance tout en
s’occupant du petit. « Il y a l’expérience de l’an dernier, se
rassure l’enseignante. Je sais déjà ce que je vais proposer à mes élèves.
Et puis, ça ne dure que quatre jours avant les vacances scolaires, ça ira.
Enfin, si la reprise des cours a lieu le 26 avril… »
Paris « Je fais comment pour garder mon fils ? »
Le doute est permis. Et beaucoup des parents que nous avons croisés prennent
les annonces présidentielles avec prudence, tout en songeant déjà au casse-tête
de lundi prochain. À Paris, devant l’école primaire des Épinettes, dans le 17e
arrondissement, c’est l’heure de la pause méridienne. Les familles se pressent
sur le parvis. Pas trop le temps de répondre aux questions. Elles doivent déjà
jongler entre le télétravail et le déjeuner des enfants qui trépignent… « Champion
en maths », Bouraoui est, lui, plutôt ravi de cette mesure, car cette
pipelette de 6 ans « adore faire l’école à la maison », même
si ses copains vont lui « manquer ». Ravi, son père, Lotfi,
chauffeur VTC, l’est moins : « Je travaille la nuit et je dors le jour.
Je fais comment pour le garder ? »
En coup de vent, Corinne nous confie son soulagement de voir l’école d’Eva,
7 ans, fermer. « J’étais inquiète de la propagation du virus. Je
ne comprends pas qu’ils ne l’aient pas décidé avant », commente-t-elle.
Pour autant, cette caissière, actuellement en arrêt maladie, aimerait que la
situation ne se prolonge pas éternellement : « Si Eva ne reprend pas le
26 avril, je serai obligée de me mettre au chômage partiel. Et je perdrai
de l’argent… » Une jeune femme prénommée Silence est venue chercher
son petit Malley. Elle travaille sous le statut d’indépendante dans l’événementiel.
Elle sait déjà qu’elle va devoir s’occuper de son fils. « Je vais
m’adapter, comme il y a un an », glisse-t-elle résignée. L’annonce de
la fermeture des écoles lui a « coupé l’herbe sous le pied ». Elle
qui espérait « prochainement » retrouver du travail devra
rester à la maison .
Cahors « On oublie ceux qui vivent dans les campagnes »
Loin des grands centres urbains, l’angoisse est la même. « Maman,
promets-moi qu’ils ne vont pas tout refermer… » Quelques jours avant
l’allocution présidentielle, Florence ne savait pas quoi répondre à sa fille,
élève en première à Cahors (Lot). Mercredi, cette assistante sociale de
45 ans, résidant dans un petit village à quelques kilomètres de la ville,
retrouve sa fille « dans sa chambre, en pleurs ». Ses amis, scolarisés
dans le même lycée qu’elle, habitent tous dans des villages alentour, au-delà
des 10 kilomètres fatidiques à ne pas dépasser… Pour la jeune fille, c’est
la tristesse de ne pas pouvoir croiser ses amis pendant un mois, au
moins. « Elle est à un âge où elle pourrait commencer à faire des
soirées, où ses copains tiennent une place importante dans sa vie. Elle a
l’impression de perdre des choses qu’elle ne pourra pas rattraper »,
souffle sa mère, qui réfléchit à une manière de « s’organiser pour
qu’elle puisse quand même inviter des copines ».
À une centaine de
kilomètres, dans le village de Moustier-Ventadour, dans la campagne
corrézienne, Eva Bordas, élève de terminale, s’inquiète des conséquences d’un
retour de l’enseignement en distanciel. « Certaines de mes amies
habitent dans des communes où il n’y a pas beaucoup de réseau, c’est compliqué
de suivre les cours en visioconférence, et, si elles habitent à plus de 10
kilomètres, ça va être difficile de leur apporter les miens »,
craint-elle. « On dirait que ces mesures ont été pensées pour ceux qui
habitent en ville, mais elles oublient ceux qui vivent dans les campagnes »,
se désole Marie-Claude Gamaury, une retraitée de 72 ans, habitante de
Saillat-sur-Vienne (Haute-Vienne), commune limousine à 30 kilomètres de
Limoges. Avec son mari Lucien, Marie-Claude allait garder ses petits-enfants un
mercredi sur deux. Elle ne sait pas si elle pourra encore le faire. Son fils,
Raphaël, sera bien en télétravail, mais elle aimerait « pouvoir l’aider
quand il travaille à la maison ». Peut-être qu’une attestation pour « motif
familial impérieux » pourrait marcher ? « Je n’ai pas tout compris aux
annonces, je les ai trouvées imprécises », conclut-elle.
Un tour de vis qui passe bien
D’après un sondage Harris Interactive
consécutif à l’allocution présidentielle de mercredi, les Français sont
71 % à adhérer aux mesures annoncées par Emmanuel Macron. Ils approuvent
notamment à 89 % l’accélération de la vaccination et à 87 % la
systématisation du télétravail pour ceux qui le peuvent. Preuve de l’inquiétude
chez les parents d’élèves due à la circulation du virus dans les écoles,
69 % cautionnent leur fermeture. Au total, 77 % des interrogés
assurent qu’ils vont strictement respecter ce nouveau tour de vis.
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