L’emblématique école des
hauts fonctionnaires avait déjà été la cible du président durant le mouvement
des gilets jaunes, en 2019.
Emmanuel Macron a donc décidé de supprimer l’ENA, l’École nationale
d’administration, comme annoncé jeudi. Ce n’est pas la première fois que le
président de la République évoque cette hypothèse. Lors du mouvement des gilets
jaunes, en 2019, il en avait déjà fait la promesse. La suppression de l’ENA et
son remplacement par une école d’un autre nom reviennent cette fois sur la
table en pleine polémique sur des dîners clandestins auxquels auraient pu
participer des membres du gouvernement…
Malgré son image élitiste et oligarchique, la vocation de cette école était
au départ progressiste… Elle avait été fondée en 1946, après la Libération, en
même temps que le statut de la fonction publique, par le ministre communiste
Maurice Thorez. Il s’agissait alors de démocratiser la haute fonction publique,
jusque-là marquée par un fort népotisme. Depuis, cet esprit originel s’est
largement étiolé, attisant ainsi la défiance populaire à l’égard d’une école
accusée d’assurer la reproduction d’une caste privilégiée.
« Une diversion à l’impéritie de l’exécutif »
En 2019, l’ancien ministre de la Fonction publique Anicet Le Pors avait
réagi dans nos colonnes à la première annonce d’Emmanuel Macron. « Je
ne modifierai en rien ce que j’ai dit il y a deux ans », nous
confirme-t-il aujourd’hui. Il s’agit selon lui d’une « décision
démagogique », destinée « à faire diversion à l’impéritie de
l’exécutif macronien aussi bien concernant la situation sanitaire que les
grands problèmes de notre époque ». En 2019, dans un entretien accordé
à l’Humanité, il expliquait déjà que la proposition d’Emmanuel
Macron consistait en une « diversion à la réforme de la fonction
publique. L’idée est de tout changer pour que rien ne change au niveau de la
fabrication des castes », nous expliquait-il. Il avançait même des
raisons « psychologiques » touchant au président de la
République, lui-même issu de l’ENA : « Je crois qu’il est à un degré de
vanité tel qu’il refuse d’être le produit d’une cause identifiable, aussi
prestigieuse soit-elle. » Anicet Le Pors rappelait également la
vocation progressiste de l’ENA à sa fondation : « Je veux aussi
rappeler qu’à gauche, on a longtemps vu dans l’ENA une manière d’être
progressiste par rapport au système de recrutement népotique qui existait
avant. » Au sein du gouvernement de Pierre Mauroy, Anicet Le Pors
avait tenté de ranimer cette vocation progressiste en réservant la troisième
voie d’accès à l’ENA aux militants syndicaux, aux dirigeants d’association et
aux élus. « Cette novation déclencha la révolte de l’aristocratie
bourgeoise », rappelait l’ancien ministre de la Fonction publique.
« Une mise au pas de la haute fonction publique »
Le président de
l’Association des anciens de l’ENA, Daniel Keller, fustigeait également cette
décision le 8 avril sur France Info : « Ce n’est pas en rayant
d’un trait de plume le nom de l’École nationale d’administration que l’on agira
plus efficacement et plus intelligemment, souligne-t-il. La
critique de l’entre-soi est un faux procès. L’ENA n’est pas responsable de la
manière dont la carrière du haut fonctionnaire se déroule. Si aujourd’hui il y
a une interrogation sur la gestion des carrières, il faut que le problème soit
pris à bras-le-corps par ceux qui nous gouvernent. » Il faut également
comprendre ce qui se joue derrière cette annonce, au-delà de la démagogie. Mise
en perspective avec sa loi de transformation de la fonction publique de l’été
2019, Anicet Le Pors y voit surtout une volonté de « mise au pas de la
haute fonction publique pour servir dans un contexte néolibéral ». Il
est fort probable que l’école remplaçant l’ENA soit davantage adaptée au
contexte en question…

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