L’opération de
communication au Stade de France dissimule un déficit de doses sur tout le
territoire, y compris en Seine-Saint-Denis, département le plus touché par le
virus.
Dès l’extérieur du bâtiment, la file d’attente laisse entrevoir l’ampleur
du dispositif. Au sous-sol, une large artère du Stade de France a été
réaménagée pour accueillir les patients. Pendant que quelques dizaines
attendent debout, papiers à la main pour remplir les formalités
administratives, la quinzaine de toiles de tente blanches s’ouvrent et se
referment au gré des injections, qui ne durent qu’une poignée de minutes. « Il
y a du monde toute la journée ! On ne s’arrête pas de piquer sauf pour prendre
nos pauses », décrit un pompier de Paris, mobilisé sur le dispositif depuis
le début de la journée. Sur deux niveaux, vingt postes de vaccination injectent
les sérums de Moderna et de Pfizer. Tenus par les sapeurs et les équipes de la
Croix-Rouge, ils devraient permettre d’injecter 2 000 doses par jour aux
habitants de Seine-Saint-Denis et de ses alentours. « On change
d’échelle avec 10 000 personnes vaccinées par semaine », s’est
félicité le premier ministre Jean Castex lors de l’ouverture de ce « centre
de vaccination géant » de Saint-Denis, mardi 6 avril.
L’événement, largement médiatisé, devait être l’occasion pour l’exécutif de
répondre aux critiques sur la lenteur de la campagne vaccinale française
portées notamment par l’Organisation mondiale de la santé. Mais cette
démonstration de force arrive dans un contexte tendu pour les autorités
sanitaires. La pression épidémique reste très élevée, les soupçons autour du
vaccin AstraZeneca grossissent et les centres de vaccination de proximité se
plaignent d’un manque criant de doses disponibles.
« Avec les retards de livraison, la liste d’attente s’allonge »
« Le gouvernement a privilégié sa communication pour pouvoir cacher que les
promesses ne seraient pas tenues », pointe du doigt Christophe Prudhomme,
médecin au Samu 93 et tête de liste du département (FI) aux élections
régionales. Selon lui, l’opération de communication menée au Stade de France a
surtout des effets négatifs. « Les doses ne sont toujours pas au
rendez-vous. Ouvrir un vaccinodrome, pourquoi pas, mais il faudrait déjà que
l’on vaccine dans les centres de proximité du département », assure-t-il. À
en croire les retours des professionnels sur le terrain, ce n’est pas le cas.
Depuis le centre de Rosny-sous-Bois où elle est mobilisée, Sabrina Ali
Benali constate depuis des semaines un manque de doses disponibles. Le médecin
dénonce un décalage entre les effets d’annonce comme celui du Stade de France
et la réalité de la vaccination dans les communes de Seine-Saint-Denis. « On
a libéré nos horaires pour monter jusqu’à 1 000 doses par semaine. Mais on n’en
a reçu seulement 288 cette semaine, déplore-t-elle . On s’est
préparés pour répondre à une montée en puissance qui n’est jamais arrivée. Il
faut batailler chaque jour pour avoir des doses, c’est devenu un véritable
combat de rendre service à la population ! » Pourtant, assure-t-elle,
les habitants des environs de son centre vaccinal sont demandeurs .
« Avec les retards de livraison, la liste d’attente s’allonge. Quand il y a des
annulations, on appelle en fin de journée et les gens arrivent en dix minutes,
prêts à se faire vacciner. C’est assez dramatique de voir qu’il y a une telle
demande et qu’on n’a pas de quoi y répondre », regrette-t-elle.
Plus encore, Pierre Laporte, vice-président du conseil départemental de
Seine-Saint-Denis, craint que les flacons attribués aux centres de proximité ne
soient aspirés par le vaccinodrome du Stade de France. L’élu rapporte une
baisse de près de la moitié des doses disponibles au centre de
Tremblay-en-France cette semaine. « Il ne disposera plus que de 100
doses par jour, quand il vaccinait plus de 190 personnes jusque-là », pointe-t-il.
Au-delà du problème du nombre d’injections, Pierre Laporte dénonce un ensemble
d’inconvénients à l’ouverture d’un vaccinodrome, alors que les centres de
proximité ne piquent pas assez. « Tout centraliser à Saint-Denis, cela
complique les démarches et fait parcourir de longues distances à des personnes
qui peuvent avoir du mal à se déplacer. Ce ne sont pas les plus précaires qui
s’y rendront, projette-t-il. On a besoin de savoir qui sont les
gens à vacciner et de les contacter. Dans les communes, c’est le cas. On les
appelle et on les connaît. »
À Bagnolet, un centre de vaccination tenu dans un gymnase aurait dû
répondre à ce besoin de proximité et renforcer l’action du petit centre médical
communal. Faute de doses disponibles, il n’a pas pu ouvrir ses portes. « La
mairie a annoncé cette ouverture en grande pompe, mais elle n’a jamais pu se
faire, raconte l’élu communiste de l’opposition Laurent Jamet. Dans
notre centre communal, on n’a reçu que 240 doses fin mars. C’est très peu. »
En Île-de-France, la situation ne devrait pas s’améliorer de sitôt
La capitale, elle aussi,
subit une réduction du nombre de doses disponibles. Paris a accusé une perte de
près d’un quart de ses doses disponibles cette dernière semaine, passant
brusquement de 40 000 à 32 000. Dans ses 24 centres de vaccination, on
sait déjà que les objectifs annoncés par le gouvernement ne seront pas tenables
si les établissements ne tournent pas à plein régime et ne sont pas renforcés
par l’ouverture d’un vaccinodrome. « J’ai fait le calcul. Pour
vacciner toutes les personnes de plus de 50 ans d’ici mi-juin, il faudrait
que l’on dispose de 100 000 doses par semaine. Et je ne compte pas les
personnes prioritaires », constate Anne Souyris, adjointe (EELV) en charge
de la santé à la Ville de Paris. Dans toute l’Île-de-France, la situation ne
devrait pas s’améliorer de sitôt. Le million de doses prévu pour avril
représenterait une augmentation de 20 % par rapport au mois précédent, mais il
devrait surtout servir à accorder aux patients déjà vaccinés leur deuxième
injection. Dans le même temps, la restriction de l’usage du sérum produit par
AstraZeneca aux plus de 55 ans obligera les autorités sanitaires à
diminuer les quantités de vaccins Pfizer et Moderna disponibles au grand public
pour en attribuer une partie aux professionnels de santé.

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