"Je me suis fait
avorter". Le 5 avril 1971, le Nouvel Observateur publie le Manifeste
des 343, un texte en faveur du droit à l’IVG signé par des anonymes et des
personnalités. Cinquante ans après, il inspire toujours le combat féministe contre
les violences sexistes et sexuelles.
Acte de rébellion et de prise de parole par les femmes, le Manifeste des 343, qui va fêter ce lundi son cinquantième anniversaire, reste une référence pour les féministes d’aujourd’hui. « Pour nous c’est un moment très important et fascinant, qui renvoie à toutes les luttes en faveur de l’avortement », commente la militante Fatima Benomar. « C’est un événement marquant qui s’inscrit dans les mobilisations des années 1960-1970, qui ont permis de faire du féminisme un véritable enjeu politique, souligne Céline Piques, porte-parole d’Osez le féminisme. Il y a un parallèle avec le mouvement #Metoo. C’est aussi un combat culturel, pour faire sortir de la sphère privée les violences sexistes et sexuelles, viols, harcèlement, violences conjugales… »
Publié le 5 avril 1971 dans le Nouvel Observateur,
le manifeste, évoqué par Charlie Hebdo sous le nom des « 343 salopes », fait
l’effet d’une bombe dans une France corsetée. 343 femmes clament avoir eu
recours à une interruption volontaire de grossesse, alors interdite et
largement condamnée socialement. Les signataires, même soutenues par
l’avocate Gisèle Halimi, prennent un risque pénal. Elles
s’exposent aussi à l’opprobre social, et certaines ont été menacées ou ont
perdu leur travail. Mais l’acte de bravoure modifie le débat public.
« Irruption dans l’espace public »
« Cela change profondément les termes du débat. C’est une étape cruciale
pour associer la question de l’avortement à celle de la libération des femmes,
et pour mettre en avant l’idée que le corps des femmes leur appartient », explique
l’historienne du féminisme Bibia Pavard.
Après le manifeste, le procès de Bobigny en 1972, qui va aboutir à
l’acquittement d’une adolescente accusée d’avoir avorté après un viol, marque
une autre étape. Ce combat va permettre d’obtenir en 1975 la légalisation de
l’IVG, courageusement portée au Parlement par la ministre Simone Veil.
« C’est un moment fondateur dans le rôle joué par l’engagement des
élites », note Fatima Benomar. Au-delà des nombreuses anonymes, le texte est signé
par des personnalités : Simone de Beauvoir, les actrices Jeanne
Moreau et Catherine Deneuve, les écrivaines Marguerite
Duras et Françoise Sagan. « Comme avec le mouvement
#Metoo, la mise en avant de personnalités permet que le débat sorte des milieux
militants féministes et entre dans le débat public », explique Céline
Piques.
Accélérer la prise de conscience collective
D’une certaine façon, des Adèle Haenel ou des Sandrine Rousseau, en prenant la parole et en disant
« moi aussi j’ai été agressée », jouent dans le mouvement d’aujourd’hui le même
rôle que leurs aînées pour accélérer la prise de conscience collective. « Avec
ce texte, ce sont les femmes elles-mêmes qui font irruption dans l’espace
public, pour dire “cela nous concerne avant tout’’ », souligne Bibia
Pavard.
« On retient souvent Simone Veil et Simone de
Beauvoir, mais le combat pour le droit à l’avortement est avant tout
collectif », nuance Céline Piques. Les militantes féministes d’aujourd’hui rappellent
que si le Manifeste des 343 est un moment charnière, il a été précédé par les
manifestations organisées par le Mouvement pour la liberté de l’avortement et
de la contraception et le Mouvement de libération des femmes. Mais aussi
l’organisation d’avortements clandestins, pour accompagner les femmes et les
aider à contourner la loi.
Rien n'est jamais gagné
Sur ce point aussi, Céline Piques dresse un parallèle avec Metoo. « Le
mouvement féministe aujourd’hui articule aussi combat public et accompagnement.
Il y a les mobilisations sous forme de manifestations et de pétitions pour
mener le combat culturel. Mais les associations sont aussi aux côtés des
victimes de violences sexistes et sexuelles, pour les écouter, pour les
accompagner dans leurs démarches juridiques. »
Du manifeste, on retient
que rien n’est jamais gagné et qu’il faut rester mobilisé. « Certaines
féministes m’ont mise en garde. Elles pensaient que le combat était gagné, mais,
dans les années 1980, il y a eu une période de recul », note
Fatima Benomar. Même sur le droit à l’avortement, rien n’est définitif. Ceux
qui le remettent en question ouvertement sont rares, mais l’opposition
insidieuse est toujours à l’œuvre. Alors que, faute de structures,
5 000 femmes vont avorter tous les ans à l’étranger, des députés proches
de la Manif pour tous viennent de faire capoter un projet de loi pour en faciliter l’accès en
déposant 432 amendements. Avec la bénédiction de l’Ordre des
médecins, qui s’est dit, lui aussi, opposé à toute amélioration du
dispositif…
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