Le gouvernement mise sur
l’avancée de la campagne pour viser un début de réouverture du pays d’ici six semaines.
Un défi réalisable mais risqué. Explications.
Un peu plus d’un mois à tenir. C’est la perspective qu’Emmanuel Macron a
donnée avant de pouvoir commencer à « desserrer les contraintes sanitaires ».
La métropole est reconfinée, les établissements scolaires fermés pour au moins
trois semaines mais le bout du tunnel est proche, selon le gouvernement, qui
parie sur l’avancée de la vaccination pour envisager un début de retour à la
normale. À partir de la mi-juin, les rendez-vous pour recevoir une première
dose seront ouverts « à l’ensemble des Françaises et Français de moins
de 50 ans », a promis le chef de l’État.
D’ici là, l’exécutif ambitionne d’avoir vacciné 30 millions de
personnes avec une première dose. Neuf millions ont déjà reçu leur première
injection. Pour avoir vacciné les 21 millions restants en juin, il
faudrait injecter 300 000 doses par jour. « Entre le 26 mars et le
1 er avril, environ 275 000 injections
quotidiennes en moyenne ont été dénombrées », indique la Direction générale
de la santé (DGS). Le calendrier fixé semble réalisable, mais à certaines
conditions.
1 Des promesses de livraisons à respecter
« On nous parle d’accélération, mais la réalité vécue par beaucoup de
médecins sur le terrain, c’est la pénurie de doses », déplore Jacques
Battistoni, généraliste et président du syndicat MG France, qui fustige « un
manque de visibilité » dû au déficit de vaccins pouvant amener à « annuler
des rendez-vous ». La situation devrait changer au deuxième trimestre pour
arriver à tenir les objectifs gouvernementaux : 12 millions de doses au
mois d’avril, soit autant qu’au premier trimestre, selon la DGS, avant une
montée en puissance des livraisons jusqu’à juin pour atteindre 55 millions
de doses. En plus des sérums Moderna, AstraZeneca et Pfizer (2 millions de
doses hebdomadaires), l’exécutif compte sur l’arrivée prochaine des premières
doses du vaccin Janssen de Johnson & Johnson. Mais le laboratoire ne
livrera que 500 000 doses la seconde quinzaine d’avril, sur un total de
8 millions de doses promises fin juin.
Encore faut-il que toutes ces multinationales pharmaceutiques respectent
leurs engagements. AstraZeneca n’a livré à ce jour qu’un quart de ce qui avait
été négocié. Pfizer a cumulé des semaines de retard. Autant de perturbations
sur l’avancée de la campagne. Si Emmanuel Macron s’est bien gardé d’évoquer une
levée des brevets des vaccins anti-Covid, qui entraînerait une production à
plus grande échelle, il a assuré que le pays obtiendrait des doses « en
accélérant (les) chats et surtout en produisant en France et en Europe ». Sans
donner de détails ni lever les doutes. « Nous sommes fatigués
d’entendre depuis des semaines “vous allez voir ce que vous allez voir” pour
ensuite constater que les livraisons sont revues à la baisse. On espère avoir
maintenant un approvisionnement régulier mais on a du mal à le croire », s’agace
Jacques Battistoni. « Aujourd’hui, on n’arrive pas à vacciner toutes
les personnes prioritaires faute de doses », regrette-t-il.
2 soignants, matériels… La logistique doit suivre
Médecins, pharmaciens, infirmiers et vétérinaires appelés sur le pont de la
vaccination, mise sur pied de vaccinodromes… L’arrivée de doses doit
s’accompagner de moyens matériels et humains, alors que remontent partout en
France des alertes de personnes éligibles (âgées de plus de 70 ans ou de
plus de 50 ans avec des comorbidités) ne parvenant pas à obtenir de
rendez-vous. Une campagne téléphonique a ainsi été lancée pour aider les
2,7 millions de personnes âgées de plus de 75 ans qui n’ont pas
encore été vaccinées.
« Il est raisonnable de protéger en priorité les populations pour
lesquelles le risque de mourir est plus élevé, la vaccination dans les Ehpad a
permis de faire diminuer le nombre de décès, mais, actuellement, c’est trop lent », estime l’épidémiologiste
Catherine Hill.
Et le défi logistique devrait continuer de grandir à mesure que doit
s’élargir la campagne. Certaines professions très exposées, comme les
enseignants, devraient bénéficier de la vaccination avant les autres, a annoncé
le gouvernement. Si la protection des plus fragiles ne semble pas faire débat,
la priorisation pourrait être questionnée à plus long terme.
« On pourrait discuter selon quelles priorités il faut vacciner les jeunes
adultes, puis j’espère bientôt les enfants, expose l’épidémiologiste
Antoine Flahault . Il est clair que les jeunes contribuent
majoritairement aux chaînes de transmission, mais il est plus difficile de
distinguer quel groupe social particulier devrait être prioritaire en raison de
risques plus élevés de transmission. Il s’agit davantage de priorités
sociétales et politiques que sanitaires. »
3 Atteindre l’immunité collective ?
En plus des mesures sanitaires, l’avancée de la vaccination va-t-elle
permettre de contenir l’épidémie pour pouvoir commencer à rouvrir les
établissements sans nouvelle flambée ? Rien n’est moins sûr. « Si, à la
mi-juin, 30 millions de personnes sont vaccinées, nous atteindrons le
niveau actuel des Britanniques, compare Antoine Flahault . Ils
sortent d’un confinement strict avec fermeture des écoles pendant
deux mois. Ils ont moins de 4 000 nouvelles contaminations par jour.
La France pourrait choisir de se retrouver dans une situation tout à fait
analogue à celle du Royaume-Uni à la mi-juin. » Mais sous certaines
conditions, ajoute l’épidémiologiste . Tout d’abord, qu’elle
accepte un confinement jusqu’à ce que le niveau de nouvelles contaminations
atteint soit suffisamment bas.
« Si le gouvernement abandonne l’objectif de descendre au-dessous de 5 000
cas par jour, et qu’il rouvre les écoles après trois semaines comme annoncé, le
risque serait très grand de se retrouver à la mi-mai avec plus de
15 000 cas par jour. Cela nous ferait retomber durant l’été dans la
situation qui a perduré ces quatre derniers mois, pendant lesquels la vie
sociale et économique du pays a tour né au ralenti sans donner
aucune perspective de sortie aux Français. » Des craintes partagées
par Catherine Hill : « Avant de gagner avec la vaccination, on risque
d’avoir à déplorer beaucoup de morts. »
Les doutes sur astrazeneca freinent la vaccination
De plus en plus de patients refusent le
vaccin AstraZeneca. Des doses n’ont pas trouvé preneur, notamment dans des
centres de vaccination du Nord et du Pas-de-Calais. « Une réticence
émerge, il ne faut pas le cacher », souligne Jacques Battistoni,
président du syndicat MG France. Affichant un taux d’efficacité moins élevé que
ses concurrents, initialement déconseillé aux plus de 65 ans, le sérum
suédo-britannique inquiète aussi en raison des cas de thrombose, certaines
mortelles, recensées parmi ses utilisateurs.
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