En pleine récession, l’augmentation du déficit des
organismes sociaux (assurance-chômage, Sécurité sociale…) peut servir de
justificatif trompeur aux réformes libérales. L’économiste Michaël Zemmour met
en garde contre cette tentation. Entretien.
MICHAËL ZEMMOUR. Économiste, spécialiste des
politiques sociofiscales
C’était prévisible : le déficit de l’Unédic
(assurance-chômage) devrait grimper à 10 milliards d’euros cette année, et
sa dette flamber à 70 milliards d’euros, fin 2022. C’est dans ce contexte
anxiogène que se tiennent les discussions sur l’avenir de l’assurance-chômage.
Faut-il s’inquiéter du déficit record de l’Unédic, et plus généralement de
l’alourdissement de la dette sociale ?
MICHAËL ZEMMOUR : D’un point de vue strictement
économique, il n’y a pas de raison de s’inquiéter de la dette qui est
contractée en ce moment. Tous les macro-économistes s’accordent sur ce point :
dans le contexte de crise que nous vivons, la dette publique est un moindre
mal. L’urgence était de sécuriser le revenu des ménages, ce que nous avons fait
avec le chômage partiel. Il aurait même fallu, selon moi, investir davantage
(et donc alourdir la dette) pour venir en aide à toutes les personnes qui
passent entre les mailles des filets de protection : de nombreux travailleurs
échappent aux aides, soit parce qu’ils ont épuisé leurs droits au chômage, soit
parce qu’ils n’en avaient pas au début de la crise.
Vous avez expliqué à plusieurs reprises que le gouvernement avait fait le
choix de faire supporter aux organismes sociaux le poids de sa politique.
C’est-à-dire ? Comment aurait-il pu faire autrement ?
MICHAËL ZEMMOUR : En mai 2020, le gouvernement a
décidé que le déficit de la Sécurité sociale qui se constituait durant la crise
allait être stocké à la Cades (Caisse d’amortissement de la dette
sociale) et que l’Unédic allait porter son propre déficit. Pourtant, une
bonne partie de ce dernier provient de l’activité partielle et d’exonérations
de cotisations non compensées dans le cadre de la crise. C’est une décision
dangereuse, car cela revient à demander à ces organismes de rembourser la dette
dans les dix-quinze années à venir : on va leur demander, avec leurs seules
ressources habituelles, de financer le remboursement en plus de leurs dépenses
courantes. À la place, l’État aurait très bien pu prendre cette dette à sa
charge. Cela aurait eu deux conséquences : un allègement de la dette, dans la
mesure où l’État emprunte à des taux plus faibles que les organismes sociaux,
et un allongement considérable de son remboursement, car l’État peut faire
rouler cette dette, c’est-à-dire réemprunter en permanence.
Quels sont les risques du choix retenu par le gouvernement ?
MICHAËL
ZEMMOUR : On va faire porter à l’Unédic une
dette exceptionnelle, qui peut être utilisée comme une arme politique. On sait
que le gouvernement a pour projet de prendre le contrôle des deux assurances
sociales encore autonomes, c’est-à-dire la retraite et le chômage. Il veut le
faire pour des raisons de finances publiques, mais aussi pour pouvoir piloter
ces prestations, afin de les rendre plus « incitatives », selon ses
mots. Traditionnellement, les déficits sociaux sont un instrument politique
extrêmement puissant pour justifier les réformes. Un gouvernement ne vous dira
jamais qu’il faut réduire des prestations sociales car elles sont trop
importantes ; en revanche, il vous dira qu’il faut le faire pour sauver un
système en déficit. On peut craindre que ce type de discours ne soit encore
plus utilisé dans le futur.
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