Trente ans après sa disparition,
l’auteur-compositeur-interprète continue d’incarner une modernité dont s’est
emparée une partie de la jeune scène française. Entretien avec Didier Varrod,
de Radio France.
DIDIER VARROD. Directeur musical
des antennes de Radio France
Disparu
il y a trente ans, Serge Gainsbourg continue d’irriguer l’imaginaire musical de
la scène française. Rencontre avec Didier Varrod, qui lui a consacré, en 2009,
un documentaire, Gainsbourg, l’homme qui aimait les femmes.
Que représente Serge Gainsbourg, trente ans après sa mort ?
DIDIER VARROD Gainsbourg, comme tous les
théoriciens de la musique, avait l’habitude de parler d’architecture. Derrière
Trenet, le fondateur de la chanson française moderne, arrivent Brassens et
Gainsbourg, qui vont la bousculer. Gainsbourg a compris comment partir de la
singularité de la chanson française, de tradition écrite et poétique, pour
faire se rencontrer la modernité et les sons du monde entier. Il a une
dimension d’explorateur et de peintre. Gainsbourg a eu ses périodes : rive
gauche, musique du monde, yé-yé, swinging london, pop, reggae ou funk. Il a
fusionné ces courants musicaux venus d’ailleurs dans une chanson française très
architecturée. C’est un aller-retour permanent entre ce qui fait notre singularité
et notre exception culturelle, avec les épices de la modernité. Cette œuvre
pousse sans arrêt les murs. Elle permet d’être dans un regard protéiforme. Des
gens adorent le Gainsbourg classique, celui qui a succédé à Boris Vian.
D’autres, comme la jeune scène française, n’écoutent que le Gainsbourg pop et
se réfèrent à l ’Homme à la tête de chou et à Melody
Nelson. D’autres adorent le Gainsbourg tailleur pour dames, styliste
de la chanson pour les autres. D’autres, moins nombreux, écoutent le Gainsbourg-Gainsbarre
de la fin, le Gainsbourg funk de Love on the Beat et You’re
under arrest . Je n’imagine pas qu’on puisse aujourd’hui
faire de la chanson française sans éviter de passer par les territoires de
Gainsbourg.
Comment Gainsbourg a-t-il décloisonné et rendu musicale la langue
française ?
DIDIER VARROD C’est son travail essentiel. À
partir d’une culture très classique, il n’hésite pas à bousculer cette langue
et à la confronter à l’anglais, à des onomatopées, à faire en sorte que ce qui
ne peut être facilement assimilable en tant que mot devienne un son. Il a fait
du français une langue qui sonne. Personne ne lui a contesté sa culture
classique et littéraire, son goût des mots, son appréciation très juste de la
poésie. Un fidèle serviteur de la langue française est plus apte pour la
retailler, la refaçonner, la rendre plus souple, véloce et mouvante. Quand la
pop anglaise et le rock américain sont arrivés, il était compliqué pour la
langue française de lutter. Gainsbourg a été un des artisans pour qu’elle
puisse devenir pop, musicale et se coltiner tous les genres musicaux.
Qui sont ses héritiers et ses héritières ?
DIDIER VARROD Je préfère parler de continuum. Daho
a la même fascination pour le travail de studio et le son, la capacité
d’évoluer dans des territoires différents et le désir de faire chanter d’autres
artistes féminines et de faire bouger la langue. Comme Gainsbourg, Benjamin
Biolay, artiste-auteur-compositeur-interprète prolifique aux racines
classiques, a su s’en émanciper pour toucher la chanson française, mais aussi
la pop. Il a fait chanter des actrices. Ils ont aussi connu des traversées du
désert et ont eu des moments difficiles dans la perception de leur œuvre. C’est
assez constitutif quand on s’inscrit dans la lignée de Gainsbourg.
Qu’a apporté Gainsbourg en faisant chanter des femmes, souvent
comédiennes ?
DIDIER
VARROD Il aimait, avec les actrices, mettre
en lumière le fait qu’elles n’étaient pas chanteuses. Il ne leur demandait pas
de faire la chanteuse, mais de capter ce territoire qui les faisait sortir de
leur zone de confort et interpréter avec beaucoup de fragilité, de grâce et
d’innocence les textes qu’il leur offrait.
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