À la suite de la publication d’un
tableau de 114 salariés voués au départ, certains d’entre eux ont contacté l’Humanité.
Ils racontent comment ils ont été poussés vers la sortie.
Un simple coup d’œil aura suffi. À la lecture du dossier de l’Humanité du 18 février, sur la liste cachée d’Adecco France et ses filiales,
avec 97 ruptures conventionnelles et 15 licenciements (plus deux cas de
litige) envisagés entre 2020 et 2021, des salariés se sont immédiatement
reconnus. Si la direction du groupe a assuré aux syndicats que ce tableau de
114 noms voués au départ, daté d’octobre 2020, était un « document de
travail », certaines de ces prévisions ont bien été mises en œuvre.
Marie (1), chargée d’affaires sur les métiers du tertiaire, s’est identifiée
sans difficulté dans ce listing. Mais, à ses yeux, tout clochait déjà dans son
licenciement.
Récits de souffrance
Dès son premier jour, le 1er juillet,
dans l’agence du 15e arrondissement de Paris, à peine fusionnée avec la sienne
du 9e arrondissement, le quotidien part en vrille. Dans ce nouveau pôle, la
responsable aurait d’emblée fait comprendre à Marie et ses quatre collègues
arrivants qu’ils n’étaient pas les bienvenus. « Nous n’avons pas été
accueillis, se souvient-elle . Nous n’avions pas de clé. J’ai
dû rester vingt jours à travailler dans nos anciens locaux avec mes deux
stagiaires car nous n’avions pas de bureaux. Ensuite, on nous les a imposés.
Mais mes affaires sont restées dans le 9e arrondissement jusqu’à mon licenciement. » La
jeune femme comprend rapidement qu’elle est en doublon. « Nous étions
deux sur le même poste, je n’ai jamais su sur quoi j’allais travailler. Lors de
deux entretiens avec ma manageuse, j’ai fini en pleurs. Elle me reprochait de
ne pas avoir assez de commandes alors que je revenais de vacances. Elle me
rabaissait et refusait que je change de place, même pour téléphoner ! »
Pour ces professionnels aux carrières sans
nuage, la dégradation des conditions de travail est simultanée. Les récits de
souffrance entrent en écho. « Nous avons compris qu’on cherchait à nous
sortir ! tranche Pierre, directeur des ventes. Cette manageuse
n’était pas vraiment ma cheffe, mais elle se permettait des remarques. Comme
nous avons fait remonter ces problèmes, elle nous a accusés de harcèlement,
mais le dossier était vide ! Nous avons en retour déclenché un droit d’alerte.
La société fait n’importe quoi avec son personnel. »
Après treize ans d’activité jalonnée de
lauriers, Marie, qui fut classée première collaboratrice en performance chez
Adecco France et quatrième mondiale en 2018, tombe de haut. « C’était
ma première entreprise, j’en étais super-fière. J’ai adoré mon métier, et ça a
été la chute », résume-t-elle, encore estomaquée. Durant ces vingt
jours de travail dans une ambiance délétère, elle souffre de maux de dos liés
au stress. En arrêt maladie, la trentenaire ne remettra jamais les pieds dans
cette agence.
Marquée par une succession de vexations,
sa collègue, Stéphanie, chargée d’affaires en téléservice, a aussi sombré dans
la déprime. « On m’a reproché beaucoup de choses qui n’avaient rien à
voir avec mes compétences, comme des contraventions non payées avec la voiture
de fonction, soupire-t-elle. L’échange n’était jamais
constructif avec la manageuse. J’étais dans une situation de mal-être, mais on
me disait que c’était moi qui me comportais mal. Durant quatre ans et demi,
personne n’avait rien à redire sur mon travail. En réalité, on s’est retrouvés
dans un endroit où il n’y avait pas assez de place pour nous. J’ai dû changer
trois fois de bureau. »
Surveillée... et punie
Fin novembre 2020, Marie, Pierre et
Stéphanie sont licenciés pour faute grave, sans indemnités, sur des motifs
d’insubordination et de résistance au changement. « On nous a punis
pour avoir alerté la hiérarchie à plusieurs reprises sur cette oppression. Ça
s’est retourné contre nous », analyse Stéphanie, qui s’est elle aussi
identifiée sur ce listing de salariés destinés à la sortie. Pour Géraldine,
responsable recrutement depuis six ans, les débuts dans ce nouveau pôle avaient
été un peu moins chaotiques. Mais, pour avoir dénoncé le comportement de cette
même manageuse, elle est remerciée pour faute simple. « J’ai signalé à
la direction que cette responsable avait fouillé dans les mails des collègues
dans son collimateur. J’ai ensuite été convoquée à un entretien préalable à
licenciement. Dans notre ancienne agence, il y avait de la convivialité ; là,
on sentait que le moindre geste était épié. »
« Incompréhension totale »
De son côté, maître Agnès Cittadini, leur
avocate, a informé la société du lancement d’une procédure, pour licenciements
abusifs, devant les prud’hommes. Pour elle, peu de place au doute : « Les
licenciements de ces professionnels irréprochables semblent montés de toutes
pièces. Il n’y a rien dans le dossier. Leurs lettres de licenciement sont
quasiment identiques. S’ils avaient eu le droit à un licenciement
économique individuel ou à un plan social avec cette fusion, ils auraient
bénéficié de propositions de reclassement, d’un contrat de sécurisation
professionnelle (CSP)… Là, leurs licenciements pour faute
grave n’ont rien coûté à l’entreprise. L’existence de cette liste de noms
montre que cela était concerté. Ça a été un gros choc pour mes clients d’être
sortis de manière aussi brutale. »
Depuis la parution de ce tableau, d’autres
salariés, paniqués, se sont manifestés auprès de la direction et des
syndicats. « Ils sont dans l’incompréhension totale, constate
Lætitia Gomez, déléguée syndicale centrale CGT. Si Adecco veut opérer
des réorganisations, elle doit se conformer aux obligations légales. D’autant
que ces personnes pourraient très bien être reclassées en interne. » Soudés
et en colère, tous les quatre espèrent désormais obtenir justice : « Je
me voyais continuer longtemps dans cette entreprise, souligne
Marie. Je n’imaginais pas qu’il puisse y avoir de telles pratiques chez
le leader mondial des ressources humaines. » Contactée, Adecco a
confirmé que cette liste de noms était bien « un document de
travail », mais « ne fera pas de commentaires sur les
procédures prud’homales en cours ».
(1) Les prénoms ont été changés.
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