Qui se distingue ? Ceux qui se battent pour la dignité des plus faibles…
Citoyen. Malraux lui-même, pour ne pas
provoquer une société qui confondait déjà «sacré» et «divin», évoquait non la
sacralité mais convoquait souvent l’esprit de la «valeur suprême». Partant
du principe que là où il y a du sacré, il y a de l’enclos, de l’interdit mais
surtout du dépassement, une question crucifie le bloc-noteur ces temps-ci : la
France est-elle encore sacrée ? Au sens par lequel s’engager possède un double
sens : se mettre au service d’une cause et bloquer son agenda au profit de
l’indicible. Mais quand maintenant, tout est maintenant, broyé par le
court-termisme, le « nous » a-t-il encore autorité sur le «moi» ? Que
deviennent l’utilité commune, l’avantage de tous, la volonté générale, la
nation ? Ces mots étaient à l’honneur chez nos grands révolutionnaires de
1789-1793, qui reconnaissaient des droits aux « membres de la société », aux
hommes définis comme citoyens de par leur appartenance à un corps politique. La
République selon la France. Comprenez bien la différence : dans le préambule de
la charte européenne des droits fondamentaux, la personne se retrouve au centre
du monde, tandis que la société a disparu comme sujet. L’individu versus le
citoyen. En bas, la pente est au nombril. En haut, au bonapartisme. Deux
dictatures menacent de tout temps le bonheur des citoyens : celle du tout sur
la partie, et celles des parties sur le tout. Chez Rousseau, Hugo et Jaurès, ce
«tout» a-t-il encore valeur suprême ?
Crise. France, l’affaire
est entendue. Archipélisée, émiettée. Civisme en berne. Industrie moribonde.
Indépendance politique et juridique bafouée. Le pays de Pasteur et du CNR ne
sait plus s’imposer et relier ce qui se délite. Même l’espérance dans le pacte
commun – cet horizon qui nous dépasse tous – semble avoir disparu.
Notre Jean-Jacques doit se retourner dans son Panthéon qu’on ait si peu lu son Contrat
social, où tout a été consigné scrupuleusement pour les générations
futures, notamment que dans une République, où le droit ne passe pas les bornes
de l’utilité publique, il est impossible «d’être un bon citoyen» sans
une «profession de foi purement civile». Comme l’écrit Régis Debray
dans D’un siècle l’autre (Gallimard) : «On pense
beaucoup en France. On constate un trop-plein d’intelligence et un flagrant
manque de courage. Crise de la volonté ? Oui et non. Au fond, crise de la
croyance. On n’y croit plus. En rien ni en personne. Résultat : dans notre
rapport au temps, avenir disparu et futur interdit. Dans notre rapport aux
autres, repli sur soi et chien méchant. Et face au risque, la trouille ou
l’accusation. La crise de confiance générale soulève une question prioritaire
de religiosité, au sens banal du terme : ce qui nous lie à nos semblables. (…)
Telle est la situation de la France actuelle. Elle est sans précédent dans
notre histoire.»
Mémoire. Recoller les
morceaux, unir un peuple désuni, condamner les séparatismes – celui des
riches n’est pas moins puissant que ceux des fanatiques de dieux. Manque, en
politique, les reliques fondamentales et patrimoniales. L’Internationale ouvrière
se transmet de moins en moins, et la Marseillaise se chante en
sourdine. Debray demande : «Qu’est-ce qui, en dehors de la famille, n’a
pas de prix et ne pourrait s’échanger contre rien d’autre ?» Ici-et-maintenant,
dans cet assèchement symbolique, tout est à reconstruire. Au moins, dans la
mémoire collective, reste-t-il une place pour la Révolution et la Bastille,
pour les luttes, pour la révolte, pour les sacrifices. En politique comme en
toutes choses, ceux qui se distinguent et laissent une trace sont toujours les
mêmes : ils battent d’abord pour la dignité des plus faibles. Parce que la
France est la France, voilà ce qu’il y a de plus sacré.
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