L’éditorial
de L’Humanité Dimanche du 25 février 2021 – par Patrick Le
Hyaric.
L’Italie
vient de basculer vers un scénario inédit : un gouvernement dit « d’union
nationale » dirigé par Mario Draghi pour utiliser les 209 milliards d’euros du
plan de relance européen. Voici donc, à la manœuvre, l’apôtre des marchés
financiers, lequel fit ses classes sous les lambris dorés de la banque
états-unienne Goldmann Sachs alors que celle-ci s’illustrait en inondant les
marchés de créances toxiques qui allaient déclencher la crise de 2008. Il a
également maquillé les comptes d’Etats européens. Et le voilà installé à la
tête de la troisième puissance européenne à la demande des industriels et des
banquiers avec l’ardent soutien de Mme Merkel et de M. Macron.
A la
présidence de la Banque centrale européenne, il épongeait l’écroulement
financier qu’il avait contribué à créer pour offrir des débouchés au capital en
manque d’investissements lucratifs tout en exigeant des peuples privatisations
et sacrifices sociaux, non sans avoir dépecé la Grèce au nom de la « stabilité
monétaire ». Nous avons ici le prototype de ceux qui sont présentés comme les
représentants d’une « élite apolitique » par ceux qui veulent cacher qu’il
s’agit d’un valet du capital.
La grande
nouveauté du scénario italien tient à un renversement des données d’un débat
initié depuis plus d’une décennie, dans lequel, à la faveur de
l’affaiblissement des partis communistes, les structurations politiques ont été
déportées des enjeux des antagonismes de classe vers l’invention de catégories
nouvelles : d’un côté les « européistes », représentants des « élites », de
l’autre des « populistes » de droite ou de gauche censés être les opposants des
premiers. Sous couvert de « gouvernement technique », l’alliance scellée sous
l’égide de l’ancien président de la BCE réunit le Parti démocrate, la droite de
Forza Italia, les populistes du Mouvement cinq étoiles et l’extrême droite de
la Ligue du Nord. Autrement dit les représentants « des élites » et « les
populistes » de toutes tendances font gouvernement ensemble.
On aura noté
les cris unanimes des forces se réclamant du consensus libéral pour célébrer
cette « entente » au nom d’un intérêt supérieur que l‘on voudrait faire passer
pour l’intérêt général. Mais l’intérêt supérieur, ici, n’est autre que celui du
grand capital européen qui compte bien faire du cas italien un cas d’école pour
tous les pays européens. Car l’union nationale est la condition pour faire
accepter aux peuples des « réformes » imposées par la Commission européenne.
Cette « réconciliation nationale » s’opère ainsi sous les auspices du marché
capitaliste et d’un nouveau degré de « financiarisation » de l’économie. Mais
surtout sur le dos des travailleurs qui sont une fois de plus appelés à servir
de monnaie d’échange contre les lignes de crédit de la Banque centrale
européenne. Par ricochet, la voie est ainsi ouverte aux néofascistes du parti
Fratelli d’Italia pour incarner l’opposition à ce consensus bruxellois
droitier, mais sur des bases précisément et ouvertement… fascistes.
Le discours
d’investiture de Mario Draghi en dit long sur la nature de ce consensus : une
dose de xénophobie pour complaire à la Ligue du nord, une autre d’écologie pour
satisfaire le Mouvement cinq étoiles, une autre encore de baisse de la
fiscalité sur le capital pour neutraliser la droite berlusconienne, et enfin
une ode à l’Union européenne pour s’accorder les faveurs du Parti démocrate. Le
tout agrémenté d’un serment de fidélité à l’Alliance atlantique.
Les
représentants des classes dominantes considèrent à juste titre qu’elles ne
disposent plus de majorité populaire pour progresser vers l’étape nouvelle que
réclame le système capitaliste pour son déploiement. Ils travaillent à
l’alliance des anciens partis sociaux-démocrates et des forces baptisées
populistes de droite ou de gauche pour tenter de s’assurer la majorité sociale
et politique qui leur échappe, pour ainsi éviter toute forme de contestation
trop radicale. Les mouvements sociaux discontinuent et celui des Gilets jaunes
avec le soutien massif qu’ils ont reçu, comme la sourde protestation qui se
répand sur les enjeux de santé fait cogiter en haut lieu et bien au-delà de la
France. Ceci au prix d’une inquiétante redéfinition du champ politique qui se
déporte toujours plus vers la droite et tend à gommer toute expression
anticapitaliste. L’ingestion par le pouvoir macroniste et la droite des thèses
de l’extrême droite en France, spectaculaire ces derniers jours, laisse augurer
une nouvelle recomposition politique si ceux qui ont intérêt à un changement de
politique et de société ne se lèvent pas. Entre des pans entiers d’électorat
socialiste conquis en 2017 et neutralisés depuis, et M. Darmanin qui braconne
sans vergogne sur les terres idéologiques de l’extrême droite, l’arc macroniste
n’est en effet pas si éloigné de celui de M. Draghi. Avec, une fois encore, les
réformes structurelles contre les retraites, la propriété publique et la
Sécurité sociale pour viatique.
On observera
dans l’actualité italienne la grande faiblesse de la force communiste. Celle se
réclamant du populisme de gauche, qui, en refusant de s’organiser sur une base
solide de classe et recourant à des raccourcis souvent outranciers, se trouvent
finalement ballotée par le vent politique. Jusqu’à se fondre dans un
gouvernement au service des puissances financières.
Ceci nous
oblige à réagir. Les forces libérales, instruites par le succès de Trump et des
extrêmes droites européennes, sont en train de pactiser avec ces dernières pour
défricher le terrain d’une offensive redoublée contre les droits sociaux et
démocratiques. Avec pour notable conséquence un glissement considérable du
débat public vers l’extrême droite. La séquence xénophobe orchestrée par le
pouvoir la semaine dernière — entre le rapprochement Darmanin/Le Pen, la loi
séparatisme, la polémique sur Trappes puis sur un prétendu « islamo-gauchisme »
l’illustre parfaitement.
Cette
opération d’envergure a pour principale fonction de rendre invisible le
durcissement de la lutte de classes, les désastres sociaux, la corruption de
l’industrie pharmaceutique, la misère galopante et les mauvais coups en
préparation contre le monde du travail, la jeunesse et les familles populaires
sous prétexte des dettes contractées par l’Etat pour faire face aux
conséquences de la pandémie.
Sans
l’organisation d’une résistance contre la dé-civilisation capitaliste, sans
force ni visée communiste rassembleuse sur un projet de civilisation nouvelle,
la stratégie adoptée par les forces capitalistes risque d’entraîner notre
continent vers de très sombres lendemains. Travailler à l’union populaire pour
des changements de politique et de société relève d’une urgente nécessité.
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