Rencontre avec Eric Alt, vice-président de
l'association de lutte contre la corruption, Anticor qui ne cache pas
son inquiétude. L’agrément qui lui permet de saisir la justice arrive à
échéance le 15 février. Jean Castex qui doit prendre la décision de son renouvellement
l’a déjà repoussée à plusieurs reprises et reste pour l’heure silencieux. ENTRETIEN
Votre agrément doit être renouvelé au plus tard le 15 février, quelles
seraient les conséquences s’il ne l’était pas ?
ERIC ALT : Nous
ne pourrions-nous constituer partie civile. En général, si nous intervenons
c’est que les affaires sont sensibles, délicates. Si nous perdons notre
agrément, dans ces dossiers où le parquet soit est prudent soit a classé
l’affaire, nous ne pourrons plus intervenir pour saisir un juge afin d’obtenir
une instruction indépendante. Dans deux affaires relativement célèbres, les
affaires Alexis Kohler (le secrétaire général de l’Élysée soupçonné de conflits
d’intérêts, NDLR) et Richard Ferrand (le président de l’Assemblée nationale
accusé de prises illégales d’intérêts, NDLR), le parquet avait classé le
dossier. L’instruction a suivi son cours grâce à l’action d’Anticor. Ce ne sera
plus possible. De la même façon, nous ne pourrions intervenir à l’audience pour
porter une parole citoyenne, à côté de celle du parquet. Par exemple, dans
l’affaire des achats de votes de Corbeil-Essonnes, il existe un intérêt général
qui s’attache à la régularité des élections mais aussi une voie à faire
entendre en raison des effets délétères sur le terrain de la corruption.
Qu’en serait-il pour vos affaires en cours ?
ERIC ALT : Pour
nos deux affaires principales, nous nous sommes accordées avec une autre
association agréée. Ils ne feront pas l’économie de devoir répondre devant la
justice. Mais on ne peut pas imaginer que l’intégralité de nos dossiers soit
reprise. Cela pose un grand problème juridique. La question sera de savoir si
les parquets concernés reprendront la main ou s’ils décideront d’abandonner. Ce
sera un test pour leur indépendance.
La procédure d’agrément est entamée depuis combien de temps et quelles ont
été les différentes étapes jusqu’à présent ?
ERIC ALT : Nous
avons déposé le dossier au mois d’août, nous avons le récépissé. Il a été
perdu. Nous l’avons renvoyé et son examen officiel a débuté le 2 octobre.
L’instruction est de 4 mois, la réponse aurait donc dû être donnée le
2 février. Mais le décret prévoit aussi la possibilité d’une prolongation.
C’est la raison pour laquelle nous avons reçu une avalanche de questions supplémentaires
début février. L’échéance a été repoussée une première fois au 10, puis une
deuxième fois au12 février. Or le 15 février notre agrément expire.
Théoriquement, une prolongation supplémentaire de deux mois est possible. Mais
durant cette période nous n’aurions plus d’agrément. Ce serait d’une grande
hypocrisie alors que l’instruction, devenue très intense ces derniers jours, a
déjà duré plus de quatre mois.
Pourquoi est-ce le premier ministre Jean Castex qui se charge de votre
dossier ?
ERIC ALT : En
principe, c’est du ressort du ministre de la justice. Mais dans la mesure où
Anticor a saisi la Cour de justice de la République d’agissements d’Eric
Dupond-Moretti, celui-ci ne peut pas instruire le dossier. Comme il ne peut pas
se prononcer sur d’autres dans lesquels il a des conflits d’intérêts, en
particulier, les affaires disciplinaires concernant les magistrats du PNF.
C’est donc Jean Castex qui prend la décision.
Pour quelles raisons dénoncez-vous une procédure politisée ?
ERIC ALT : D’abord,
on pensait nous refuser l’agrément au motif que nous ne donnions pas la liste
de nos principaux donateurs. Il a fallu qu’un avis de la CNIL conforte
notre position. Mais surtout, par la force des choses, nous nous attaquons à
des affaires sensibles, concernant des personnalités plutôt proches du pouvoir.
Or il nous faut demander au pouvoir le droit de continuer à agir de la sorte.
On peut parier sur la loyauté républicaine de Jean Castex, mais c’est une
situation délicate. Il aurait été bien préférable que le législateur désigne
une autorité administrative indépendante. Par exemple, la Haute autorité pour
la transparence de la vie publique serait beaucoup plus apte à se prononcer de
façon indépendante sur le renouvellement de l’agrément des associations.
En cas de refus du renouvellement de votre agrément, avez-vous une voie de
recours ?
ERIC ALT : Oui,
devant le juge administratif. Bien sûr je pense que nous obtiendrions
l’annulation d’un tel refus par le juge administratif, mais comme tous les
délais en justice, celui-ci serait assez long, quelques mois au moins,
peut-être un an. Et pendant ce temps, nous ne pourrons pas agir.
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