La récente baisse des températures fragilise les
populations les plus démunies. Chaque samedi, à Paris, l’association Une chorba
pour tous organise des maraudes pour leur venir en aide. L’Humanité a
accompagné l’une d’entre elles.
De loin, dans la nuit, on ne distingue que
leurs gilets jaunes. Trois silhouettes progressent sur le trottoir d’une longue
avenue du 19e arrondissement de Paris. Élisabeth, Awa et Sabrina (1)
tirent à la main des chariots à roulettes dont le son répétitif, en glissant
sur le sol, brise le calme d’un samedi soir sous couvre-feu. Un jeune Malien
s’approche timidement de la petite équipe, commence par demander un café,
accepte le plat chaud qu’on lui propose et finit par en demander un deuxième,
pour une de ses connaissances qui passe, comme lui, la nuit dans la
rue. Alors que le thermomètre affiche - 4 degrés, l’homme frissonne dans
sa fine doudoune noire. Il échange quelques mots avant de partir
rejoindre « une bouche de métro encore ouverte » pour,
explique-t-il, tenter « de (se) protéger un peu du froid ».
Des repas chauds, des vêtements et des kits d’hygiène
Tous les samedis, depuis le mois de
novembre 2020 et le second confinement, des bénévoles de l’association Une
chorba pour tous organisent des maraudes dans les 18e et
19e arrondissements, distribuant des repas chauds, des vêtements et des
kits d’hygiène. Une action mise sur pied en supplément des distributions
alimentaires effectuées en semaine, en raison de l’explosion de la précarité
constatée par l’association à l’aune de la crise sanitaire. « Les
demandes ont beaucoup augmenté et des personnes qui n’avaient pas besoin d’aides
avant la crise ont basculé dans la misère », justifie Abdenour Dadouche, le
président de l’association. Illustration dans une rue adjacente à la longue
avenue de Flandre : les trois solidaires en maraude croisent la route de deux
ouvriers dans le bâtiment, qui rentrent chez eux après leur journée de travail.
Bien qu’ils ne soient pas à la rue, ils ne dédaignent pas une portion de
couscous chaud et un petit sac de produits alimentaires de base.
Avec la chute des températures, ces
maraudes sont d’autant plus nécessaires, bien qu’il « y ait moins de
monde dans la rue », précise Élisabeth. « Pendant les périodes de
grand froid, on a plus de mal à repérer les personnes qui s’abritent où elles
peuvent, souvent dans des endroits cachés ou moins accessibles », témoigne
Sarah Douidi, une autre militante de l’association.
À la demande des organisations de
solidarité, l’activation du plan Grand Froid, mardi 9 février, a permis
d’ouvrir de nouvelles places d’hébergement et de réquisitionner des
hôtels. « Environ 900 places ont été ouvertes en Île-de-France, dont à
peu près la moitié à Paris », indique le directeur de la Fédération des
acteurs de la solidarité (FAS), Florent Gueguen. Au niveau national, depuis le
début de la crise du Covid, en mars 2020, « 40 000 places
supplémentaires ont été créées. Le parc d’hébergement dépasse aujourd’hui
200 000 places », poursuit-il. Une hausse conséquente, mais qui ne suffit
pas à mettre tout le monde à l’abri.
« J’ai essayé d’appeler le Samu social,
mais je suis toujours mis en attente. Je dors dehors depuis vingt jours et,
avec le froid, c’est de plus en plus difficile », raconte Jily, croisé un peu plus tard dans la nuit.
Enroulé dans une couverture, il s’est réfugié avec un petit groupe d’hommes
sous une station du métro aérien, à proximité d’une bouche d’aération qui
souffle de l’air chaud. « Je suis venu en France travailler mais je
n’ai pas de papiers. Et à cause du Covid, des fermetures de commerces, de
restaurants, c’est devenu quasiment impossible de trouver des jobs au noir. Je
n’ai plus de revenus », explique le jeune Sénégalais.
Le couvre-feu a accentué
l’invisibilisation des plus démunis. À partir de 18 heures, « plus
possible de faire la manche », indique un homme à proximité de la place
Stalingrad. À côté de lui, un autre reste silencieux. Il a du mal à ouvrir le
sachet de sucre que lui proposent les maraudeuses avec son café. Ses mains sont
rouges et gonflées sous l’effet du froid. En plus des plats chauds et des colis
alimentaires, les bénévoles d’Une chorba pour tous proposent des chaussettes,
vêtements et couvertures. « En ce moment, ça, c’est plus important que
de manger ! » lance un jeune Indien en pointant du doigt une veste et
une couverture.
Le long des berges du canal Saint-Martin,
quelques tentes s’alignent sur le sol verglacé. « Il y a
quelqu’un ? » lance Awa en s’approchant de l’une d’elles. Pas de
réponse. Devant la fine porte en toile, un pack de bouteilles d’eau a
gelé. « La semaine dernière, on est tombées sur un homme pétrifié, qui
se tenait debout dans la rue, frigorifié », souffle Élisabeth, qui espère
que les occupants des tentes vides se sont rendus « à une
distribution ».
« Les ouvertures de places en hiver sont
indispensables pour protéger les personnes des intempéries et éviter les décès liés
au froid, mais celles ouvertes depuis mardi dans le cadre du plan Grand Froid
sont très temporaires et les personnes en ressortent la plupart du temps sans
solution et obligées de retourner dans la rue », déplore Florent Gueguen. S’il « salue » néanmoins
l’effort de création supplémentaire depuis le début de la crise sanitaire, il
estime qu’il faudrait à présent « pérenniser ces places au-delà du 1er juin
et de la fin de la trêve hivernale ».
Les limites de la « politique du thermomètre »
Certains sans domicile fixe, et c’est
compréhensible, refusent de se déplacer « pour seulement quelques
jours » et dans des lieux de mise à l’abri, où règne souvent une
promiscuité qui, en pleine épidémie, peut décourager. « Qu’est-ce que
j’irais faire dans un gymnase ? » se demande un homme qui a installé
sa tente quai de Jemmapes. « La dernière fois, on m’a volé mes
affaires, et puis il y a trop de drogue pour moi là-bas », soupire celui
qui préfère rester dehors. C’est l’un des effets malheureux de la « politique
du thermomètre », qui conditionne l’ouverture de places à un certain degré
de baisse des températures. « Mais dans la rue on meurt toute l’année »,
martèle Florent Gueguen. Un pic de décès est généralement enregistré « au
début du printemps », note-t-il cependant. Les températures remontent à la
fin de l’hiver, mais celles et ceux qui l’ont enduré fatiguent et voient le
nombre de places d’hébergement diminuer à nouveau.
Initialement, les maraudes organisées par
Une chorba pour tous ne devaient durer que quelques mois. Mais, face à
l’urgence des besoins, « nous sommes en train de réfléchir pour réussir
à maintenir le dispositif au printemps », indique Élisabeth.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
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