mercredi 27 janvier 2021

« Le moment est peut-être venu de passer à la doctrine du zéro Covid », plaide l'épidémiologiste Antoine Flahault



Lola Scandella

Des mesures peuvent permettre d’éviter une flambée de l’épidémie, assure le chercheur et professeur de santé publique. Il plaide pour un changement de stratégie, qui passerait par « un contrôle très strict de la circulation » du virus. Contrôle qui, estime-t-il, s’accompagne de beaucoup moins de jours de confinement, d’écoles fermées, d’impacts sociaux et économiques.  ENTRETIEN.

Le spectre d’un reconfinement plane sur la France où les variants anglais et sud-africain commencent à se développer et soulèvent des inquiétudes sur une reprise incontrôlée de l’épidémie de Covid-19. En France, les différents indicateurs de sa progression se maintiennent toujours sur un « plateau haut », mais des mesures plus restrictives appliquées dès à présent pourraient permettre, selon l’épidémiologiste Antoine Flahault, de mieux la contrôler.

Où en est la progression de l’épidémie en France et en Europe ?

 

ANTOINE FLAHAULT En Europe, la situation est assez favorable sur le plan des nouvelles contaminations dont le nombre descend dans la plupart des pays. Deux pays font exception, l’Espagne et le Portugal, qui ont des taux de reproduction du virus (ou R effectif) au-dessus de 1,15 depuis au moins deux semaines, ce qui est préoccupant. Quelques autres pays, comme la France, la Belgique, l’Autriche ou encore la Croatie sont sur un plateau assez élevé, avec un taux de reproduction qui oscille entre 0,90 et 1,10. Ce n’est pas une situation stable, mais elle n’est pas encore alarmante d’un point de vue épidémiologique. Pour mémoire, lorsque les Britanniques se sont reconfinés au début du mois de janvier, cela faisait plus d’un mois que leur taux de reproduction était supérieur à 1,20. Ce n’est pas la situation actuellement en France.

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ANTOINE FLAHAULT Nous sommes peut-être en train de changer de doctrine en Europe, de passer de celle qui prônait jusqu’à présent de vivre avec le virus à une autre qui prônerait le zéro Covid. On passerait d’une stratégie où on se disait que l’on pouvait s’accommoder d’une circulation du virus à un niveau assez élevé, assumant une mortalité quotidienne importante, tant que les hôpitaux n’étaient pas engorgés, en attendant avec espoir que les vaccins règlent le problème. Entre-temps, on s’est rendu compte que les « champions » de cette pandémie se trouvent plutôt en Asie du Sud-Est et en Océanie. Ils appliquent la doctrine du zéro Covid. Ils enrayent la progression du virus à chaque fois qu’un foyer apparaît et ne le laissent pas circuler. Ce contrôle très strict de la circulation épidémique s’accompagne de beaucoup moins de jours de confinement, d’écoles fermées, d’impacts sociaux et économiques. On en a l’opportunité aujourd’hui en Europe et c’est peut-être le bon moment de le faire, de façon coordonnée, pour atteindre une baisse très substantielle de la circulation du virus. Au niveau des chiffres, nous sommes environ à 20 000 nouveaux cas par jour en France. Si le taux de reproduction est maintenu à 1, nous resterons au même niveau. S’il monte, les nouvelles contaminations vont augmenter. En revanche, si le R baisse à 0,9, elles diminueront de moitié en un mois, et on atteindra les 10 000 nouveaux cas par jour. Si le taux R réussit à baisser à 0,7, les nouvelles infections diminueront de moitié en une semaine, et cela nous permettrait d’arriver aux 5 000 cas journaliers en moins de quinze jours, c’est-à-dire au seuil que le chef de l’État avait proposé comme zone de sécurité. On aurait là repris complètement la main sur cette épidémie.

Les différents variants ne risquent-ils pas de contrecarrer ces plans ?

ANTOINE FLAHAULT Si. Les variants sont des sources d’inquiétude, d’autant que l’efficacité des vaccins à leur encontre n’apparaît pas encore de manière complètement claire. On pense également aujourd’hui qu’ils ont tous une transmissibilité accrue, même s’il y a encore des débats sur le niveau de cette hausse. Mais une transmission plus élevée fait que le taux de reproduction a tendance à augmenter et devient donc encore plus difficile à faire baisser. Ce n’est pas une bonne nouvelle, mais cela ne change pas vraiment la stratégie : moins on a de cas et plus on est capables de contrôler ces émergences.

Comment y parvenir ?

ANTOINE FLAHAULT Il devient plus facile, lorsque la situation épidémique est à la décrue et qu’il y a peu de nouveaux cas, de séquencer systématiquement les nouvelles souches pour pouvoir suivre l’évolution de ces variants, voire d’en bloquer la diffusion, en plaçant des cordons sanitaires dans les zones où ils seraient détectés, c’est-à-dire par des confinements locaux. Les contrôles aux frontières permettraient aussi d’éviter d’importer ces nouveaux variants.

Un confinement strict est-il à ce stade inévitable pour endiguer l’épidémie ?

ANTOINE FLAHAULT Toutes les mesures qui permettraient de ramener le taux de reproduction au-dessous de 0,7 seraient très bienvenues, tant sur le plan sanitaire que social et économique, car elles permettraient en deux ou trois semaines de ramener le pays en zone de sécurité pour ensuite reprendre, par d’autres types de mesures, sans confinement, le contrôle de l’épidémie. Donc, il est possible que, pour arriver à un taux de reproduction inférieur à 0,7, il soit nécessaire de prendre transitoirement, et pour une courte période, des mesures complémentaires fortes, peut-être en profitant des vacances scolaires de février, en les rassemblant au lieu de les répartir par zones. Je pense qu’on pourrait même chercher à étendre les vacances de février d’une semaine cette année, un ajustement qui ne nécessiterait pas d’avoir à fermer les écoles. Nous sommes dans une période clé, en ce moment, où faire baisser substantiellement la circulation du virus pourrait permettre de reprendre le contrôle sur la pandémie, à l’échelle de l’Europe. C’est ensuite la mise en œuvre d’une méthode de tests, de traçage et d’isolement efficace, qui prendrait le relais, c’est-à-dire des mesures plus légères, à l’asiatique, et qui seraient un premier pas vers un retour à une vie plus normale, alors que la vaccination de la population se poursuivrait.

 

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